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donne aujourd'ui la traduction, eft écrit par un Arabe, par un homme foumis aux princes dont il écrit l'hiftoire: un tel morceau doit être précieux. Les faits de l'hiftoire, & la maniere de l'hiftorien fervent également à peindre le peuple que l'on veut connoître. Aujourd'hui fur-tout un pareil ouvrage peut avoir un grand intérêt. Une opinion, qui n'a pu devoir la forte de vogue qu'elle a eue qu'à fa bizarrerie même, a voulu faire des gouvernemens d'Afie & de ceux qui leur reffemblent, le modele de tous les gouvernemens; on a entrepris de nous prouver que c'eft dans les pays où la puiffance eft la plus abfolue qu'elle eft auffi la plus bienfaifante; que c'eft-là où elle a le moins de lumieres, qu'elle s'exerce avec le plus de fageffe. Nos regards fe détournoient avec effroi des trônes fanglans des defpotes de l'Afie; on a voulu nous faire prendre des leçons de morale politique dans les pays où regnent le fabre & le cordon. On eût dit que parce que les têtes des grands étoient fouvent abattues, celles des moindres efclaves étoient en fûreté, & que l'empire étoit infailliblement heureux lorsque la cour du defpote regorgeoit de fang. Quelques bons écrivains ont été obligés de combattre ces opinions par le ridicule, & même par le raisonnement; & encore n'ont-elles pas cédé dans tous les efprits: l'erreur & le paradoxe paroiffent toujours éloquent quand ils flattent des paffions qui ont un grand empire fur de certaines ames. C'est par l'hiftoire de ces gouyernemens qu'il faut fur-tout confondre leurs

admirateurs. Il faut remette fous les yeux du public les horreurs dégoûtantes de l'histoire de ces peuples dont on nous vante la félicité : c'est le moyen le plus prompt & le plus fûr de fixer enfin l'opinion générale; car il faut avouer qu'on a eu des doutes. On ne pourra pas accufer ici l'hiftorien d'être prévenu par nos préjugés. Ici l'historien eft Turc ou Arabe comme T'hiftoire même. On ne pourra pas le foupçonner non plus d'être un de ces efclaves chagrins, qui ne favent pas adorer leurs fers cet efclave, ou cet Hiftorien, eft prefque toujours en adoration devant les defpotes dont il écrit l'hiftoire. Il ne voit rien de fi beau fous les cieux que l'empire Ottoman. » Dieu veuille, » s'écrie-t-il dans un endroit, en augmenter la » gloire ! J'ai parcouru les histoires de toutes » les monarchies du monde, je n'en vois au»cune que l'on puiffe comparer à l'empire » Ottoman pour le bon ordre & la difcipline » qui y regnent, la manutention des ftatuts

qui s'y obfervent, l'obéiffance aux loix, le » refpect qu'on a pour les ulemas qui en font » les dépofitaires, les fondations pieuses pour foulager les pauvres, & pour l'entretien des » habitans de la Mecque & de Médine. «

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Ce bel enthoufiafme heureufement n'ôte pas à l'auteur fa bonne-foi; & il raconte des faits qui ne rendent pas fon admiration contagieufe. Les vertus dont il loue les princes Turcs pourroient faire quelquefois d'affez méchans princes par-tout ailleurs. Quand ils n'égorgent pas toujours, les defposes paroiffent

humains; quand ils ne pillent pas toujours, on met la juftice de leur trône tout à côté de celle du trône de dieu même. L'auteur de cette hiftoire reffemble un peu à cet esclave qui, ayant commis une légere faute, tomba la face à terre aux pieds de fon defpote, s'écriant » Seigneur, vous êtes la bonté mê» me; vous ne m'arracherez point les ongles, » vous ne me ferez point couper le nez & » les oreilles, & vous me laifferez la langue avec laquelle je dois vous bénir. «

Le traducteur de cet ouvrage, M. Digeon, a vécu quarante années dans le Levant, & affurément il ne feroit pas poffible de le deviner à fes opinions & à fa maniere d'écrire notre langue. Il reffemble, on ne peut pas moins, à ces voyageurs qui veulent nous étonner beaucoup plus que nous inftruire, & croient fe faire admirer eux-mêmes en tâchant de nous inspirer une grande admiration pour les pays qu'ils ont parcourus. On voit, par quelques petites notes que l'on trouve au bas des pages, qu'il a vu les chofes d'un autre œil que fon auteur, & qu'il y a pour lui fous les cieux quelque chofe encore de plus beau que l'empire Ottoman. On a d'autant plus de regret qu'il n'ait pas étendu & multiplié fes notes, que fa maniere d'écrire pouvoit répandre de l'intérêt fur les inftructions qu'il nous eût données fon ftyle eft pur, & ne manque pas de l'ef pece d'élégance qu'un pareil ouvrage peut recevoir. Ce mérite doit être fur tout remarqué dans un homme qui a quitté la France dès fog

plus jeune âge, & qui a vécu 40 années de fuite dans le Levant. On a vu le ftyle de certains écrivains le corrompre entiérement pour avoir été vivre feulement quelques années en Hollande. On fe fouvient de ces vers de Vol taire :

Si vous voulez qu'en vos écrits
Le dieu du goût vous accompagne,
Faites tous vos vers à Paris,

Et n'allez point en Allemagne.

Voltaire ne prévoyoit point, en faisant ces vers, que pendant près de trente ans il charmeroit Paris avec des vers qu'il feroit en Allemagne ou en Suiffe.

A la présentation à la Porte des ambaffadeurs des cours d'Europe, il y a un cérémonial trèsremarquable, mais dont on ignore l'origine. Au moment où les ambaffadeurs entrent dans l'appartement du trône, deux capidgi-bachis, (ou portiers du ferrail) les foutiennent pardeffous les aiffelles. S'il en faut croire l'auteur de cet abrégé historique, ce cérémonial, que l'on pourroit prendre pour un honneur décerné à nos ambaffadeurs a pris fon origine dans un événement qui prouve que c'eft une précaution très-injurieufe, & pour les ambaffadeurs, & pour les cours qui les envoient.

» Les chrétiens, dit-il, à l'article du fultan "Murad I, les chrétiens affoiblis par des pertes » continuelles, & incapables de s'oppofer aux forces toujours triomphantes de ce prince,

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»eurent recours à la trahifon. Belouache; » c'est le nom d'un de leurs princes, s'étant » présenté un jour devant fultan Marad, & » s'avançant dans l'attitude d'un homme qui youloit lui rendre hommage & lui baifer la » main, tira adroitement, lorfqu'il fut auprès » de lui, un poignard qu'il tenoit caché » dans fa manche, & lui porta un coup mor

tel, dont ce fultan expira fur le champ: "martyre qui couronna fon mérite héroïque de»vant dieu. C'eft depuis ce tragique événement qu'il a été ordonné, par des ftatuts de l'empire auxquels on n'a point dé. rogé jufqu'à ce jour, que les ambaffadeurs & les autres perfonnes envoyées de la part des princes chrétiens vers le fultan, ne » pourroient à l'avenir porter la moindre arme »fur eux lorfqu'ils feroient admis à fon au»dience; qu'on feroit d'exactes recherches à » cet égard avant de les introduire, & qu'ils y feroient conduits par deux officiers qui » s'affureroient d'eux en leur tenant les bras. «

Si cette origine eft vraie, elle montre combien la Porte eft encore éloignée de connoître les maximes & le caractere des peuples d'Europe. C'est bien peu les connoître que de prendre contre eux, en tems de paix, des précautions que la guerre feule peut autorifer, & de ne pas diftinguer des ambaffadeurs avec des foldats qui font la guerre.

Un morceau peut-être plus curieux encore que cet abrégé hiftorique, c'eft l'édit de Soli man fecond, fur l'adminiftration de l'Egypte

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