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sacrifier les exigences de la santé. Tenez compte, dans l'établissement du diagnostic, de l'instinct de retenue, de dissimulation même qui caractérise la plus belle moitié du genre humain; faites la part des exagérations et de la mobilité nerveuse : « Ce >> sexe délicat, dit FRED. HOFFMANN, donne » dix fois plus d'embarras de corps et d'esprit aux médecins que le masculin. » N'omettez jamais d'interroger les femmes sur l'état de leurs fonctions menstruelles, sous peine d'être soupçonné d'inexpérience à l'endroit des maladies du sexe. Vous obtiendrez d'elles tous les sacrifices de la pudeur, si vous savez leur persuader qu'un médecin n'a pas de sexe, si vous traitez sérieusement et sans affectation les détails relatifs aux secrets sexuels. Armez-vous donc de froideur et de dignité au sujet de ces matières délicates. Trop d'occasions vous seront offertes de manquer à la chasteté pour peu que vous soyez fragiles; et pour yous fortifier, rappelez-vous toujours qu'un instant de faiblesse peut vous valoir toute une vie de regrets et de honte.

Il y a deux choses embarrassantes dans » la pratique, dit encore FRED. HOFFMANN, » c'est de traiter les femmes grosses et les » enfants. » La raison de ces difficultés gît d'abord dans l'obscurité qui enveloppe souvent les maladies des uns et des autres, puis dans l'extrême circonspection qu'il importe d'observer quant à l'emploi des modificateurs appliqués à ces organisations délicates. La médecine des femmes et des enfants ne diffère pas fondamentalement de la médecine ordinaire; seulement les malades de ces catégories doivent être considérés comme étant doués d'une idiosyncrasie particulière, d'une susceptibilité fondamentale qui se rencontre parfois accidentellement chez les hommes et les adultes.

La médecine, dit-on, est un sacerdoce. Or, s'il est juste d'établir un parallèle entre le prêtre et le médecin, c'est surtout en ce qui concerne le secret qui doit être aussi sacré pour l'un que pour l'autre. Si j'avais à préciser les cas où le médecin peut être autorisé à violer les secrets qui lui sont confiés, je dirais que ce sont ceux-là même où il est permis au prêtre de divulguer les secrets du confessionnal.

Après tant de sollicitude, de labeur et d'abnégation, il arrive souvent que celui qui vous doit la santé et la vie vous en récompense par l'ingratitude et l'infidélité, et presque toujours alors, pour justifier son manque de cœur et de constance, il aura recours à la diffamation. Ces retours, pourtant si prévus, sont toujours pour le médecin un sujet de cruelle amertume, car il ne s'agit pas seulement ici d'intérêts compro

mis, d'amour-propre froissé; le coup pénètre plus avant au fond de l'âme : le médeein est comme une mère, dont la tendresse s'accroît par les peines, les soucis et les sacrifices; il couve d'un amour quasi paternel celui qu'il a ravi aux angoisses de la douleur, aux étreintes de la mort, et la répudiation de pareils sentiments lui brise le cœur à l'égal d'un parricide.

Tel est certainement un des côtés les plus hideux de l'humanité, celui qui justifie le mieux les élans de misanthropie qui se révèlent dans les œuvres de nos grands hommes, et cette espèce d'insensibilité à laquelle viennent aboutir la plupart des vieux praticiens insensibilité, misanthropie surabondamment légitimées par l'expérience du monde, mais que rien ne peut excuser aux yeux de la morale et de la haute philosophie. Le médecin n'a le droit de mépriser les hommes que pour rendre plus méritoire la grandeur d'âme dont il fait preuve en continuant de les servir. Tant de perversité pardonnée le relève à ses propres yeux et peut hausser son orgueil jusqu'à le porter à se poser en émule de la Divinité; c'est qu'en effet, dans le rôle respectif du public et du médecin, il y a souvent quelque chose d'analogue au drame ineffable du Calvaire.

Graviora tuli (SÉNÈQUE), telle doit être la devise et telle est fréquemment la destinée du vrai praticien.

Nous touchons à un des points les plus délicats de notre tâche, à l'article des honoraires, terme imaginé pour exprimer ce qu'il y a de relevé dans le salaire du médecin: Ce qu'on donne aux médecins pour » le bien qu'ils font est honorarium et non » pas merces », dit GUY-PATIN. Nous avons déjà fait observer que le lucre ne devait être que le but secondaire de l'art médical: «Ne parler que d'argent et de faire fortune » sont des conditions très-pernicieuses en » un médecin », a dit encore le spirituel auteur que je viens de citer. « Gardons» nous d'imiter ceux qui gagnent leur for» tune, non à la sueur, mais à la rougeur » de leur front », répète son ingénieux commentateur (Réveillé-Parise). Neanmoins il faut vivre; mais, ainsi qu'on l'a dit encore, la vie humaine n'est pas tout entière dans la satisfaction des intérêts matériels, et chez les organisations complètes la voix de l'âme ne parle pas moins haut que celle du corps.

VOLTAIRE a dit avec raison: « Un mé»decin promet ses soins et non la guérison; » il fait ses efforts, et on les lui paie.. (Diatr. du docteur AKAK.) Le poëte latin avait dit avant lui:

» Non est in medico semper releventur ut ægri, » Interdum docta plus valet arte malum. »

On ne paie le médecin que de ses peines, et nullement du service qu'il a rendu; car la vie et la santé sont sans prix équivalent,

« Medicus enim philosophus Deo æqualis habetur.» HIPPOCRATE.

« Homines ad deos nulla re propius accedunt quam salutem hominibus dando. » CICERON.

surtout pour celui qui a été menacé de les perdre; d'où suit qu'après les honoraires persiste toujours la dette de la reconnais

sance.

Quel que soit l'événement, le malade doit donc rétribuer le médecin. Il doit le faire en raison composée : 1o De son aisance propre, car il est un principe social et chrétien qui veut que le riche dédommage le médecin des soins que celui-ci donne gratuitement aux pauvres; 2o de la gravité de la maladie, car un mal qui menace la vie donne plus de peines et de soucis, impose plus d'efforts d'intelligence au praticien qu'une maladie légère; 3o de la position du médecin dans la hiérarchie de la science et de la renommée, car des travaux recommandables, une réputation dignement acquise font supposer plus de capacité; or, le salaire doit être proportionné au talent de l'ouvrier.

Si le malade ne s'exécute pas conformément à ces principes, mieux vaut accepter ce qu'il offre que de marchander avec lui, comme s'il s'agissait d'un vil objet de commerce. Si ce qu'il propose est complétement indigne de lui et de vous, ou bien si après un certain temps il ne songe point à s'acquitter, vous êtes autorisé à réclamer avec des formes convenables. En cas d'insuccès, vous aurez à voir si c'est impuissance ou mauvais vouloir de la part du débiteur: dans le premier cas, vous attendrez patiemment des temps meilleurs; dans le second, personne n'aurait droit de vous blâmer de recourir aux tribunaux. Heureux pourtant si vous êtes d'humeur ou en position de vous abstenir de ce moyen extrême qui porte toujours atteinte à la pureté du caractère tout philanthropique du médecin. Acceptez de bonne grâce le denier du pauvre, si vos refus devaient l'humilier.

On raconte que le médecin DUMOULIN recevait d'une main le petit écu de l'indigent et de l'autre déposait six francs sur son grabat pour fournir aux frais de la maladie. On gagne parfois beaucoup en refusant de gagner je ne sais quel célèbre médecin avait inscrit au seuil d'un cabinet rempli d'objets précieux : « Lucri neglecti lucrum.»

Nous n'avons pas besoin de dire combien il serait indécent d'imposer préliminaire ment des conditions au malade; il n'y a que les charlatans avérés qui se rendent coupa

bles d'un tel méfait. On n'a pas craint d'accuser quelques médecins de prolonger sciemment la durée de la maladie, dans le but de grossir leurs honoraires. MORTON rapporte que des praticiens de son temps s'opposaient à l'introduction du quinquina dans le traitement des fièvres, sous prétexte que les bénéfices de la profession s'en trouveraient diminués (et medicorum lucrum eripietur) ; ce qui lui fournit le texte d'une éloquente imprécation contre une si coupable cupidité. Le fait est que si pareil crime pouvait être constaté, il relèverait directement de la cour d'assises.

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Mais il est des praticiens qui, sans se livrer à ces odieuses spéculations, se montrent pourtant, comme on dit, âpres à la curée. Il leur faut de l'or, et beaucoup. Cela s'observe notamment parmi les vieux médecins, ceux surtout qui jouissent d'une renommée. Quand j'étais jeune, dit GuY-PATIN, je rougissais de ce qu'on m'offrait de l'argent; aujourd'hui je rougis quand on ne » m'en présente pas. » Cette tendance est, comme on sait, plus familière à la chirurgie qu'à la médecine, et personne n'ignore que certains spécialistes élèvent sur ce point des prétentions scandaleuses. On ne saurait trop flétrir l'insatiable et barbare vénalité de ces hommes qui, après avoir rendu au malade la santé ou la vie, la lui font regretter en le réduisant à la misère. La profession serait plus honorée si ces actes d'avidité se produisaient moins fréquemment. Il n'est pas interdit de profiter des occasions favorables pour s'assurer le juste prix de ses services. FR. HOFFMann recommande expressément de recevoir ce que le malade vous offre pendant la maladie; car lorsque la guérison est achevée, il arrive souvent que le médecin est un objet désagréable et importun. Ce précepte a été traduit sous forme d'aphorisme latin par M. A. PETIT, je crois : « Recipe dum dolet, nam sanus solvere nollet. » Peu de malades, en effet, ont la mémoire du cœur et se croient encore vos débiteurs lorsqu'ils vous ont gratifié de quelques écus; il en est peu qui se disent: «Hoc debeo, quod solvo adhuc debeo. »

Les malades les plus reconnaissants ne sont pas les plus riches et les plus haut placés dans la société. Tout médecin a pu vérifier cette remarque. Le petit bourgeois, comme on dit, connait le prix du temps et du travail; il sait que toute action mérite salaire; il a pour son médecin une vénération bien sentie, et parfois il arrive que celui-ci se voit consciencieusement obligé d'imposer des bornes à l'expression matérielle de sa gratitude; moins exigeant, plus docile, il est aussi plus généreux que le ri

che et le puissant, lesquels vous imposent un cérémonial fort gênant, vous font supporter le poids de leur humeur inégale, sément d'interminables difficultés les applications de la science, et finalement vous rétribuent souvent de manière à vous faire rougir pour eux-mêmes.

Beaucoup de gens comme il faut ne font du médecin leur ami que pour se dispenser de solder des honoraires; d'autres imaginent s'acquitter par quelques politesses ou par quelques menus cadeaux. D'autres, plus généreux, craignent de vous offrir de l'argent et vous font des présents de grand prix inais à peu près inutiles, si bien que, riche en bijoux, il pourrait vous arriver de ne pouvoir couvrir les dépenses de la maison.

La munificence des grands, ainsi qu'on les appelle, est souvent un acte d'ostentation ou de frayeur plutôt qu'une pure inspiration de la reconnaissance. On rapporte que Louis XI, ce monarque ombrageux qui tremblait sans cesse à l'idée de la mort et du poison, combla de trésors COYTIER, SON médecin, dans l'espoir de vivre plus longtemps et de le soustraire à la tentation de servir ses ennemis.

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En raison de cette inclination du public pour l'ingratitude, les praticiens calculateurs ont adopté certains axiomes justificatifs tels que ceux-ci : « Le peuple nous estime » ce que nous nous estimons nous-mêmes; Les hommes n'attachent du prix qu'à » ce qui leur coûte beaucoup. - Si tu veux » avoir le respect de tes semblables, mets » un haut prix à tout ce que tu fais, car le >> monde ne te saura aucun prix de ton dés >> intéressement, etc. » Rien de plus vrai que ces sentences; rien aussi de plus juste, surtout au point de vue des représailles; mais il est un noble sentiment de générosité qui commande au médecin de répudier toutes ces maximes et de se montrer désintéressé après avoir été humain, de peur de ternir, en quelque sorte, la pureté du bienfail.

La plupart des malades exigent que vous fixiez vos honoraires, d'autres se chargent de ce soin. Dans l'un et l'autre cas, l'esprit d'ordre commande d'inscrire régulièrement les visites journalières, pour en savoir le nombre au besoin. Il en est quelques-uns qui préfèrent ce qu'on appelle un abonnement; c'est-à-dire la fixation d'une somme annuelle pour les soins donnés par le médecin. Si ce procédé lie plus étroitement le médecin au client, il a, selon nous, l'inconvénient d'être peu juste, en ce sens que le client ou le médecin pourra se trouver dupe au bout de

l'an.

Pour éviter d'être victime de la mesquinerie du public et aussi de cette concurrence

au rabais souvent établie par les confrères au bénéfice des malades, il serait bon que tous les praticiens d'une localité convinssent d'un tarif approximatif auquel chacun prendrait l'engagement de se conformer. Cette innocente coalition, cette société d'assurance mutuelle existe déjà pour certaines professions, et notamment pour les pharmaciens de notre propre cité.

Quoi qu'il en soit, il conviendra toujours de s'en référer d'abord à la libéralité ou plutôt à l'équité des clients, et de recevoir d'un air digne et naturel, sans joie comme sans humeur, le produit, quel qu'il soit, de vos labeurs; et lorsque vous avez reçu le prix de vos œuvres, il convient encore de faire preuve de désintéressement en visitant le malade ou plutôt le convalescent une fois de plus, à titre de sollicitude pure et simple.

Les honoraires dus aux médecins appelės en consultation ont dû être fixés à l'avance ou doivent l'être postérieurement par le médecin ordinaire, qui est censé connaître les facultés pécuniaires du malade. Il est d'usage dans les grandes villes de rétribuer les consultants au moment où ils se retiren!. Si cette habitude, qui n'a rien d'inconve nant, existait partout, les médecins éprouveraient moins de pertes par l'oubli, l'ingratitude ou l'improbité des clients. Il appartient au médecin ordinaire de veiller à ce que cette dette soit acquittée, sans qu'il en soit responsable, bien entendu.

Les consultations dans le cabinet sont or dinairement acquittées séance tenante, et l'expérience apprend aux médecins le peu de fonds qu'ils doivent faire sur les clients qui s'abstiennent en promettant de revenir. Aussi ne doivent-ils jamais, par une fausse délicatesse, refuser ce qui leur est offert : il est une foule de gens oublieux et d'autres qui ne se font pas scrupule de frustrer du fruit de ses labeurs celui qui ne dépense que son temps et son génie.

Il est convenu, de par un sentiment de légitime bienveillance, que les médecins ne se doivent point d'honoraires entre eux. Cette convention s'étend à la famille, mais elle cesse ordinairement à l'égard des colla. téraux auxquels on laisse apprécier ce qu'ils ont à faire.

Lorsqu'il s'agit de relations entre confrères, on entend parler de relations professionnelles, de ces rapports qui mettent en jeu presque toujours l'intérêt et l'amour propre médical, l'appréciation des droits respectifs des praticiens soulève une question préalable: c'est celle de savoir jusqu'a quel point le malade peut être considéré comme la propriété du médecin traitant. Eh bien! la propriété, dans ce cas, repose pu

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rement et simplement sur la volonté du malade lui-même. Tant que celui-ci veut de son médecin, il y a forfait à chercher à supplanter ce dernier par des manœuvres directes ou indirectes; il y a forfait à prendre sa place, alors que le malade, ignorant ou ingrat, aveugle ou inconstant, n'a pas de motifs légitimes pour répudier son médecin ordinaire. Et pourtant les médecins moralistes de toutes les époques s'accordent à signaler et à flétrir la plaie la plus hideuse de notre profession, ce génie de l'intrigue ténébreuse, cette invidia medicorum pessima qui, plus encore que l'incertitude de l'art et l'ignorance des artistes, avilit la profession médicale aux yeux du public. « Ne voyez-vous pas tous les jours, >> dit ZIMMERMANN, de prétendus médecins, indignes de ce nom respectable, crier à » haute voix dans la société que telle ma» ladie n'est rien quand ce ne sont pas eux » qui la traitent, que cette maladie peut se guérir par le moindre médicament, et cela pour arracher un malade à un autre mé>> decin respectable par son mérite! Si l'ar» tifice leur réussit, ils traitent bien ou mal un malade souvent arraché au danger » avant leur arrivée. Ils continuent le même langage pendant le premier jour pour ga gner la confiance; mais si la maladie cmpire par son propre caractère ou par leur » mauvaise manoeuvre, dès le second jour » ils changent de ton; ils osent pronosti» quer une mort certaine, vu la maladresse » du premier médecin; que le malade se rétablisse, le public dit avec eux que ces » médecins l'ont guéri, malgré tous les in» convénients précédents. Mais s'il meurt, c'est le premier médecin qui l'a fait mou» rir, car le second savait dès le premier jour qu'il n'en reviendrait pas, et s'il n'a » rien dit alors, c'était de peur d'alarmer le » malade et la famille.» (De l'Expérience.) Nous rougirions d'exposer ici les mille moyens insidieux, perfides, calomnieux que mettent en jeu certains praticiens pour discréditer leurs confrères et monopoliser la confiance du public.

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D'autre part, le public n'est rien moins que délicat dans ses procédés envers les médecins. L'homme du monde quitte volontiers son médecin sans motif raisonnable, sans le prévenir, voire même sans s'acquit ter envers lui; on voit tous les jours des malades consulter plusieurs médecins à l'insu les uns des autres, s'exposant ainsi aux perplexités qui résultent nécessairement d'avis plus ou moins dissidents. On en voit même recevoir ostensiblement les soins simultanés de deux médecins ou plus, déterminés à ne suivre que les conseils d'un seul et n'osant pas congédier les autres.

C'est la nécessité de soustraire la profession à de pareilles humiliations, ce sont même les intérêts bien entendus du malade qui ont fait admettre tacitement certaines conventions auxquelles tous les praticiens doivent se soumettre, sous peine d'indignité. Ainsi, non-seulement le médecin ne devra rien dire ou faire qui puisse provoquer l'expulsion d'un confrère, mais encore la probité lui commande de s'opposer de toutes les forces de sa conscience à ces actes d'injustice ou d'ingratitude dont le monde est si prodigue. Il devra toujours en user ainsi, dût-il ne pas trouver de réciprocité.

S'il se voit obligé d'accepter la substitution, le nouveau médecin exigera que le premier soit congédié et payé de ses honoraires. Au besoin, il le préviendrait luimême, de manière à enlever tout soupçon de félonie.

Dans aucun cas, un confrère ne consentira à donner des conseils à l'insu du médecin ordinaire au domicile du malade. Si les circonstances l'empêchent de s'aboucher avec le médecin traitant, il ne donnera sa consultation que sous la condition qu'elle sera communiquée à celui-ci. Quelques médecins, sous prétexte qu'ils exercent une spécialité : chirurgie, accouchement, médecine des femmes ou des enfants, oculistique, maladies des voies urinaires, etc., sc croient affranchis de ces devoirs de bienséance à l'égard du médecin ordinaire. C'est là une erreur, ou plutôt une usurpation dont l'inconvenance ressort de l'universalité même du titre de docteur, lequel implique les notions de toutes les parties de la marche aujourd'hui légale de la médecine, que les obligations doivent être réciproques aussi bien que les droits. Si le public ne comprend pas cela, coiffé qu'il est de ses préjugés à l'égard des spécialistes eux-mêmes qui tiennent à honneur d'être médecins, qu'il appartient de rappeler le public à l'observation des convenances.

Enfin, il est superflu d'établir que, sous aucun prétexte, le médecin n'acceptera de conférer avec des confrères, sous la réserve clandestine de diriger seul le traitement.

Tous ces préceptes, on le voit, reposent sur les lois imprescriptibles de la probité, de la loyauté, qui imposent aux médecins d'agir au grand jour à l'égard les uns des

autres.

Par compensation, la délicatesse et la fierté du médecin lui font un devoir de se retirer lorsqu'il s'aperçoit qu'un autre a la confiance de son malade; de ne pas combattre sa volonté lorsqu'il convient à celuici de lui donner un successeur; de ne pas concevoir de rancune à l'égard du confrère qui le remplace, lorsqu'il est avéré que celui

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Si les malades n'avaient le droit naturel et incontestable de s'éclairer de plusieurs avis, en observant les règles de la bienséance, l'intérêt seul bien compris du médecin ordinaire lui prescrirait d'accepter les consultations dans le cas où quelque respon sabilité vint à peser sur sa conscience. « Dans les maladies graves, dit FR. HOFF» MANN, il convient de faire appel à un se⚫cond médecin, quand même il serait d'une

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capacité inférieure; on évite par ce moyen » d'être seul garant des événements. » En fait, la consultation provoquée par le maJade n'est pas toujours à son profit, car l'auteur ci-dessus a dit encore avec raison:

C'est une mauvaise coutume qui est pour» tant celle de certains malades, d'avoir à la fois plusieurs médecins, car ils se reposent l'un sur l'autre, et le malade est né gligé.» RAMAZZINI place cette circonstance au nombre des calamités de la grandeur, et les anciens avaient vulgarisé ce dicton : «Medicorum turba regem interfecit. »

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A tort ou à raison, les malades aiment à réunir plusieurs conseils; c'est un fait que, bon gré, mal gré, les médecins sont obligés d'accepter; autant le faire de bonne grâce, quelle que soit, du reste, la qualité de celui qu'on leur adjoint, pourvu qu'il soit honorable. Nous venons de voir qu'un médecin inférieur en renommée offrait au moins l'avantage d'alléger la responsabilité. HUFELAND produit d'autres raisons relatives à l'àge respectif des consultants : « Que le jeune médecin, dit-il, estime dans un » vieux praticien la maturité de l'expé»rience, l'étendue des connaissances, le >>tact pratique... mais que, de son côté, le » vieux médecin honore dans son jeune » confrère la fraîcheur et la pureté du coup » d'œil, les idées nouvelles, l'avidité de sa» voir, l'éducation théorique ; qu'il lui fasse >> cordialement remarquer ses fautes dans » l'intimité, les excuse et les couvre aux >> yeux du public. » Nonobstant, le refus d'accepter tel ou tel consultant et la prétention d'imposer tel ou tel autre, est un des méfaits les plus communs de la pratique. Le motif de ce refus est moins souvent l'indignité que la bonne renommée du praticien dont on récuse l'assistance. Pas besoin n'est de dire que, dans ce cas, le médecin récusé se trouve affranchi de toute obligation et de tous égards à l'endroit du médecin ordinaire. Pourtant il est vrai de dire que trop souvent il arrive que le médecin

consultant supplante son confrère, ce qui a lieu, ou bien parce que le consultant a use de moyens illicites pour supplanter son collègue, et c'est une action honteuse et criminelle qui retombe de tout son poids sur le coupable, ou bien parce que le malade a donné librement et obstinément la préférence au nouveau venu, et c'est un malheur inévitable qui accuse ou l'inconstance et l'injustice du malade, ou l'insuffisance du médecin. Se résigner est alors ce qu'il y a de mieux à faire.

L'exactitude est une obligation essentielle dans les consultations: celui qui se fait altendre, le fit-il involontairement, dérobe un temps précieux et manque d'égards à ses confrères.

Voici les consultants en présence du malade; c'est une des circonstances les plus délicates où puisse figurer le médecin ; car nous l'avons déjà dit, il suffit d'un mot, d'un geste, d'un regard peu bienveillant pour jeter la défaveur sur un confrère : tactique trop répandue, hélas! parmi les corsaires de la profession. Tout doit se passer loyalement, gravement, silencieusement même, dans cet examen en commun, et ce n'est qu'à huis-clos que les observations mutuelles doivent être échangées, toujours avec bienveillance, et en couvrant les fautes aux yeux du public, suivant l'heureuse expression d'HUFELAND. C'est toujours au détriment des praticiens et à la honte de la profession que se produisent au grand jour ces altercations passionnées que le génie de MOLIÈRE a frappécs d'un ridicule immortel. C'est que dans la consultation, les médecins, il faut le dire, se croient obligés de poser comme des gladiateurs dans le cirque, enclins qu'ils sont à voir de dangereux rivaux dans leurs confrères. Quelques médecins, pénétrés de leur supériorité, ont la prétention de convertir ou d'instruire les autres, et s'érigent, dans les consultations, en professeurs improvisés, tandis qu'il s'agit de déduire simplement et brièvement son opinion, de manière à la faire comprendre, tout prêt qu'on est à entrer en composition si la conscience le permet, et à se soumettre, en définitive, à l'avis de la majorité. Dans aucun cas, le médecin n'a le droit de faire un éclat, de proclamer ses dissidences, et d'abandonner le malade, en cas d'opposi tion; ce serait déserter le champ de bataille avant la fin du combat. S'il a raison seul contre tous, les événements le prouveront bien et lui rendront la prépondérance. On conçoit que si chacun prétendait imposer exclusivement ses opinions, il n'y aurait pas d'accord possible et le malade en pâtirail.

Dans les conférences entre consultants,

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