Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

Dites que vous appelez de ce jugement, vous souffe alors à l'oreille, un de vos introducteurs... -Sans doute, j'en appelle.

-Alors, ajoute le président, conduisez monsieur pardevant le souverain grand-juge.

Mais ici c'est bien autre chose. Le souverain grand-juge, c'est M. le Marquis de l'Arrière qui a établi son siége dans le cabaret principal sur la place du village.

Arrivé devant lui, le premier mot qui vient encore frapper vos oreilles, c'est cette maudite quittance que l'on réclame de vous pour la

troisième fois.

Pour voir sans doute jusqu'à quel point la plaisanterie sera poussée, vous prenez la peine d'exposer à M. le souverain grand-juge tous les déboires qui vous ont assailli depuis votre entrée dans la commune; vous ajoutez que vous êtes étranger que vous ne connaissez pas les usa

ges...

Je comprends parfaitement toutes les raisons que vous me donnez, vous répond gravement M. de l'Arrière, et je vais y faire droit; c'est pourquoi je double la dose et vous condamne de mon autorité souveraine, à quatre millions pour avoir osé traverser mes domaines sans une quittance...

Oh! alors, n'est-ce pas que ce serait à n'y plus tenir, si M. de l'Arrière, déposant sa gravité magistrale, ne vous expliquait comme quoi, lorsque deux veufs se marient on remet, à Préseau, la basse Loi en vigueur, comme quoi les étran

gers qui traversent la commune ce jour là sont sujets à une amende, comme quoi, l'amende payée, on leur délivre une quittance qui leur sert de passeport pendant toute la journée, et enfin, comme quoi une amende de deux millions représente la valeur de deux pots de bière, valeur qui est consacrée à secourir les malheureux.

paierez et vous recevrez, des mains Que ferez-vous après cela? Vous de M. le souverain grand-juge, un chiffon de papier, sur lequel est empreint un cachet noirci à la chandelle. Ce cachet, c'est votre quittance. Muni de ce sauve-conduit, vous pouvez, comme je l'ai fait, assister à la fête qui s'apprête, voire même vous mêler au cortège qui vient de s'organiser sur la place et qui se dispose à se mettre en marche.

D'abord vient la musique de l'endroit, composée de deux violons, d'une basse et d'une clarinette. Malgié la meilleure volonté possible, les musiciens n'ont pu parvenir à se mettre d'accord, ce qui ne les empêche nullement d'entamer, suivant l'usage antique et solennel, la marche des Tartares, ou l'air: Où peut-on être mieux, etc. .... Ces messieurs sont montés sur des ânes.

Viennent ensuite, deux par deux une quarantaine de jeunes gens, montés également sur des ânes; quelques-uns sont à cheval; mais

tous sont affublés de costumes bizarres. Les manans et les vilains, c'est-à-dire ceux qui n'ont pu se procurer une monture convenable

[merged small][ocr errors][merged small]
[ocr errors]

On se dirige alors vers la demeure des futurs époux. Là, deux autres ânes, ornés de rubans jaunes, de fleurs jaunes, de cocardes jaunes, on les peindrait volontiers en jaune eux-mêmes si c'était possible, sont présentés aux mariés, lesquels sont obligés d'enfourcher cette monture, non comme le reste du cortège, mais au rebours, la tête tournée vers la queue de l'âne.

Le cortège se remet enfin en marche vers la Mairie; la musique est en tête, puis viennent les mariés tournés vers l'âne de M. le Maire, puis la calvalcade, puis, enfin, le peuple.

Quant à M. le marquis de l'A1rière, sa place n'est nulle part et elle est partout. Tout à l'heure nous l'avons vu grand-juge, à présent nous le retrouvons maître des cérémonies et gendarme; il force le peuple à ne pas s'écarter de la route, il couvre de boue les récalcitrans; il est à droite, à gauche, en tête, en queue; c'est lui quia hissé

la mariée sur son âne, c'est encore lui qui lui donnera la main pouren descendre. Enfin c'est l'homme universel, c'est l'âme de la fête.

On s'arrête devant la Mairie ; les futurs époux entrent au son de la musique et au bruit des décharges de mousqueterie que font les jeunes gens. La musique et les mousquets se font entendre pendant toute la cérémonie nuptiale.

Après la célébration du mariage. chacun reprend sa monture et le cortège se remet en marche pour reconduire les époux. Là, d'ordinaire, un dîner est préparé pour les amis et les autorités de l'endroit. On mange, on rit, on chante, on boit, on fume; bref, c'est un repas flamand dans toute l'étendue de l'expression. Vers le soir, les masiciens reparaissent, mais à pied ; la danse s'organise, on se presse, on se heurte, on se pousse, mais on rit toujours...

Heureuse Flandre! Et c'est toi que l'on dédaigne!

Et longtems après, à la veillée, dans ces longues causeries du soir, auprès de la grande cheminée dans laquelle pétillent quelques morceaux de bois, on reparle de la basse loi et de Charles-Quint...

[ocr errors][merged small][merged small]

vray, de l'illustre Valenciennois Froissart, de cet écrivain que M. Buchon appelle le La Fontaine de l'histoire et dont la renommée, depuis long-temps européenne, s'est encore accrue par l'intérêt qui s'attache aujourd'hui à toutes les productions du moyen âge. M. Auvray ne s'est pas contenté d'exécuter ce buste, il a eu l'heureuse idée de reproduire les traits de notre vieux concitoyen dans des médaillons en plâtre, qui se sont distribués au prix le plus minime; en sorte que la petite propriété, pour qui le marbre et le bronze ne sont pas faits, a pu, comme les protégés de Plutus, se procurer ce précieux portrait. aussi Froissart brille-t-il maintenant dans beaucoup de nos habitations. Je m'en suis procuré un avec délices; il est logé chez moi dans l'asile du bonheur......., mon cabinet d'études, il est devenu mon compagnon, 'préside à mes faibles travaux, et nous nous chauffons pour ainsi dire au même foyer. Plaisir bien innocent et pas cher!

Il y a quelque temps, nous trouvant seuls, un soir, dans mon cabinet, Froissart et moi, je tomhai dans une douce et indolente rêverie, puis, les yeux fixés sur mon médaillon, je lui adressai mentalement la parole: :-- << Pauvre cher homme, mon vieil ami, toi si long-temps presque oublié

que maintenant une des rues de notre cité porte ton nom; que grâce à M. Buchon, qui a publié tes ouvrages sous le commode format de l'in-8°, tu es souvent entre les mains de personnes qui fréquentent notre bibliothèque, cela doit plaire à ton ombre. Ne mens pas, tu as souri d'aise en voyant lé jeune Auvray, poussé par une inspiration d'artiste, t'envoyer loger dans nos demeures. Ce n'est pas tout encore, écoute mon pressentiment : un jour, peut-être, un beau monument pour lequel je te promets de souscrire si je suis de ce monde, s'élevera pour toi sur l'une de nos places publiques. » (1)

Froissart a bien mérité cette insigne distinction, mais ce n'est pas là mon texte, et ramasse la. balle qui le doit.

[ocr errors]

A la suite de cette apostrophe muette, naturellement amenée à s'occuper mon imagination fut des autres célébrités que notre ville a produites. Certes nous n'en manquons pas ! et pourquoi leur refuserait-on les honneurs du buste, du modeste médaillon, et à nous le plaisir de nous procurer à peu de frais la représentation de tous nos concitoyens illustres? Dans plusieurs villes de notre département, même dans

[1] Si ce patriotique projet se réalisait

dans ta ville natale, après qua- je crois qu'on ne pourrait mieux choisir,

tre grands siècles enfin on s'est souvenu de toi. Tu auras été charmé d'apprendre là-bas ou làhaut, où je te verrai un jour,

pour l'inscription à placer sous la statue, que les mots suivants tirés de la préface même des Chroniques de Froissart; Si au cun quiert scavoir qui je suis; je m'appelle sire Jean Froissart, natif de le bonne et franke ville de Valentiennes. A. L.

[ocr errors]

une grande, grande ville, qui réserve toutes ses affections pour le mètre, mesure de l'étoffe non du vers, pour le poétique kilogramme et les capacités de l'hectolitre, une pareille idée serait accueillie avec dédain, avec mépris. Là, on en est encore où en était il y a environ cent ans la ville de Troye, alors que d'indignes troyens maltraitèrent Grosley pour s'être permis de vouloir ériger à ses frais des statues aux grands hommes de son pays (1); mais ici, dans une ville plus que

[1] Notre ami O. F. avait déjà dit : « Le » Bourgeois de Lille a un profond dédain pour tout ce qui s'occupe d'art, de science, et en » général de travaux d'esprit. Un peintre, un >> pocte, un avocat,un médecin, un musicien >> un magistrat même n'obtiendront pas dans >> son esprit le quart de la considération qu'il accordera à un homme qui vend desprunes » ou des sarraux. » Et tout le monde s'était

écrié : C'est cela, c'est bien là le Bourgeois de Lille et sa stupide indifférence pour tout ce qui ne peut se vendre ou s'escompter à la bourse. Cependant soyons justes: la ville de Lille a autrefois fait quelque chose aussi pour ses illustres enfans. En 1784, le sculpteur Roland, notre compatriote, pu

-

bija un médaillon du célebre et infortuné Feutry. Un exemplaire de ce médaillon est encore la propriété de la ville nous avons souvent l'occasion de le contempler, non

au musée, non à la bibliothèque où il devrait être, mais dans le vestibule qui y

conduit, dans l'antichambre où l'on se débarrasse de son parapluie et de ses socques.... Pauvre Feutry! dans ta vieillesse, Lille, que tu couvris de gloire, t'abandonna, et ton ingrate patrie, non contente de

l'avoir laissé mourir de misère, relègue aujourd'hui ton image dans le poste des valets et des laquais. Il est une manière d'honorer les grands hommes, manière dont la ville de Valenciennes a déjà use, et que nous recommandons aux méditations de notre conseil municipal elle consiste à donner les noms des hommes célèbres du pays aux rues de la cité. Ainsi Valenciennes a sa rue Froissart. >>

Extrait de l'ECHO DU NORD du 5 février 1834.

jamais amie des arts, des lumières, fière de ses renommées, une semblable proposition, que je pense, trouvera une forte sympathie. Que le jeune Auvray applique à d'autres personnages ce qu'il a heureusement tenté sur Froissart, et les souscripteurs, les encouragements ne lui manqueront pas, et, ce qui vaut mieux encore, il aura la gloire de rattacher son nom à des noms illustrés. Mais une condition sans laquelle il n'y a pas de réussite possible, c'est qu'il apporte une scrupuleuse sévérité dans le choix des originaux qui lui serviront de types. Quand il sera dans sa ville, les bustes de d'Outreman, Simon Le Boucq, Pater, de Pujol, du vertueux Desfontaines, de Coliez, se trouveront sous sa main. A Paris, qu'il se procure, s'il se peut et d'abord Antoine Watteau, dont le rang dans les arts est aujourd'hui plus distingué qu'il ne fut jamais, puis, Saly, Charles Eisen, Milhomme, la galante et spirituelle d'Epinay, le général Dugun, et Rosalie Levasseur. S'il parvenait à découvrir, à la bibliothèque nationale ou ailleurs, quelque portrait de Jacques de Guyse, historien Montois qui vécut et mourut dans nos murs, Molinet, Georges Chastellain, Brisselot, Claudin le Jeune, ce seraient autant d'heureuses trouvailles. Il est bien d'autres noms que nous pourrions citer, mais le peu d'espace s'y oppose et nous n'avons pas voulu non plus toucher à nos personnages vi

vants.

Parmi ces derniers, et depuis peu de jours seulement, ne se rencontre plus un jeune homme d'un beau talent qui ne pouvait manquer de s'agrandir encore; une mort prématurée vient de trancher sa vie si riche d'espérances! M. Louis Auvray trouvera dans son cœur de quoi nous retracer la plus fidèle image de son frère Félix trop tôt ravi aux

arts..

Voilà ce que je voulais dire à mes concitoyens et à M. Auvray lui-même; pour le faire, j'ai cru pouvoir m'adresser tout sans façon à un journal, car rien n'est plus commode d'un seul trait de plume on parle à mille personnes à la fois. Agréez, etc.

AIMÉ LEROY.>>

[ocr errors]

Lettre du 3 février 1834 adressée au même journal. << Messieurs, dans le dernier numéro de votre feuille, M. Aimé Leroy manifeste le désir plutôt que l'espoir de voir un jour l'une de nos places publiques décorée d'un monument en l'honneur de Froissart, cette idée me paraît d'une facile réalisation. Je me plais à croire au moins qu'une souscrip

tion ouverte au bureau de votre journal, ou partout ailleurs, serait promptement couverte de signatures, et témoignerait que notre ville apprécie et revendique avec orgueil son plus illustre enfant. Les souscript eurs détermineraient la nature du monument à ériger et feraient choix de l'artiste qui présiderait à son exécution

(1). Si j'osais émettre un vœu à cet égard, je dirais que malgré ces traits sévères, cette physionomie sérieuse, cette tête carrée et tudesque qui s'allient mal dans mon esprit avec les penchans faciles et les joyeuses habitudes de notre naïf historien, je le verrais avec plaisir dominer de son piédestal de marbre cette foule insouciante ou affairée qui parcourt les lieux où jadis, doublement illustre, il créa la ballade et se fit, sans précurseur lui-même, l'heureux précurseur des Comines et des Brantôme.

Le tems est bien choisi je pense, pour mettre ce projet à exécution. Une grande révolution s'est faite dans la manière d'envisager l'histoire. On s'est enfin aperçu qu'elle méritait d'être étudiée pour elle-même et non pour servir de base à des systèmes philosophiques ou à des relicroyances gieuses. Dès lors on s'est moins hâté de juger les choses et l'on s'est attaché à bien connaître ou à bien reproduire les faits. Il a fallu remonter aux sources; le texte a été préféré à la glose, l'original à la copie, le chroniqueur à l'historien. Froissart a repris la place qu'il méritait, et M. Buchon a osé tenter une entreprise qui eût sans doute excité le dédain des puristes du grand siècle et la verve moqueuse des amis de Madaine Denis ou des

[1] Notre concitoyen Lemaire, qui vient d'exécuter avec tant de bonheur le fronton de la Magdelaine, réunirait sans doute tous les suffrages.

« VorigeDoorgaan »