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L'amiral Bruix recula d'un pas, et mettant la main sur la garde de son épée :

— « Sire, dit-il en pâlissant,.... prenez garde !!! »

Tous les assistans étaient glacés d'effroi. L'empereur resta quelque tems immobile, la main levée attachant ses yeux sur l'amiral, qui, de son côté conservait sa terrible attitude. Enfin l'empereur jeta sa cravache à terre. M. Bruix lâcha le pommeau de son épée, et, la tête découverte, il attendit en silence le résultat de la scène.

Alors l'empereur reprit :

<< Monsieur le contre-amiral Magnon, vous ferez exécuter à l'instant le mouvement que j'ai ordonné.... Quant à vous, Monsieur Bruix, vous quitterez Boulogne dans les vingt-quatre heures et vous vous retirerez en Hollande...

Allez ! »

Et des regards de Napoléon sortaient des étincelles.

Le mouvement de la flotte fut exécuté.

A peine les premières dispositions furent-elles prises que la mer devint effrayante à voir. Le ciel chargé de nuages noirs, était sillonné d'éclairs, le tonnerre grondait horriblement, et le vent, par sa violence rompait toutes les lignes.

Enfin, ce qu'avait prévu l'amiral Bruix arriva, la tempête la plus affreuse dispersa les bâtimens de manière à faire désespérer de leur salut.

Alors l'empereur...... soucieux la tête baissée, se promenait sur la plage, quand tout-à-coup des cris terribles se firent entendre. Plus de vingt chaloupes canonnières chargées de soldats et de matelots venaient d'être jetées à la côte, et les malheureux qui les montaient, luttant contre la fureur des vagues, réclamaient des secours.

Profondément touché de ce spectacle, le cœur déchiré par les lamentations d'une foule immense que la tempête avait rassemblée sur les falaises et sur la plage, l'empereur voulut donner l'exemple du dévouement et malgré tous les efforts que l'on put faire pour le retenir, il se jeta dans une barque de sauvetage « laissez-moi, laissez-moi, il faut que je les tire de là.»

En un instant sa barque fut remplie d'eau, les vagues passaient et repassaient par dessus ; l'empereur

était inondé.... Une lame faillit le jeter à la mer, son chapeau fut emporté....

Electrisés par tant de courage, officiers, soldats, marins et bourgeois se mirent les uns à la nage, les autres dans des chaloupes pour essayer de porter du secours. Mais hélas! on ne put sauver qu'un très petit nombre des infortunés qui composaient l'équipage des canonniers....!

Et le lendemain la mer rejeta sur le rivage plus de deux cents cadavres, avec le chapeau du vainqueur de Marengo.

Ce triste lendemain fut un jour de désolation pour Boulogne.

L'empereur gémis sait de tant de malheur.... qu'il ne pouvait manquer d'attribuer à son obstination. Des agens chargés d'or parcoururent par son ordre la ville et le camp et arrêtèrent des murmures tout près d'éclater.

X.

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Entre un bois haut et touffu et le village de Damousies, assis sur des rocs, s'étend un vaste plateau dont les différentes extrémités se terminent en pentes plus ou moins inclinées. Il est borné dans toute sa longueur, d'un côté par des prairies, un bosquet, des terres arables, de l'autre par un vallon riant, au fond duquel le ruisseau de Dimont serpente sous des bouquets d'aulnes. Derrière le bois, au midi, s'élèvent à droite, le village de Wattignies, célèbre par la victoire que le général Jourdany remporta, on 1793, sur l'armée autrichienne, à gauche, le village de Dimechaux, dont le territoire est limité le par ruisseau de Dimont. En se tour

nant vers le Nord, on a devant soi le village de Damousies en perspective; à droite, sur une éminence, au bout du vallon, une tourelle couronnée d'un dôme conique et formant, avec un petit édifice attenant, la tête du village de Choisy, dont le reste se dérobe à la vue; au-delà, le village d'Obrechies, à l'extrémité d'une sorte de recoin, masqué par des hayes et des massifs d'arbres; à gauche, dans le lointain, le village de Beaufort. C'est sur ce plateau que fut passée, le 5 de septembre 1817, la grande revue. Champ aride, in- ' culte, sans valeur, sans autre souvenir que celui du village de Souvergeau, détruit pendant les guerres de Louis XIV en Flandre, et dont on retrouve des vestiges dans les hois voisins, il n'avait pas encore échangé son noble nom de Fri de Souvergeau (1) contre le nom imposant de camp de Wattignies; mais il retint dès lors celui de camp de Dimechaux, à la faveur de la confusion produite

par le voisinage. Ayant été emporté à la pointe de l'épée, par une division de l'armée de Jourdan, au fort de la bataille, on y dressa une batterie pour foudroyer Obrechies et en déloger l'ennemi.Maintenant, couvert des baraques uniformes, pittoresques, symétriquement alignées, pleines de vie et d'activité, d'un camp ces, il est l'objet d'une curiosité générale; mais il doit à la grande

d'exerci

(1) Fri, qui n'est pas français en ce sens, signific, dans l'idiome du pays, un champ aride et sans culture.

Revue de 1817 sa première célébrité. Aux 6,000 russes campés de l'autre côté du vallon, au-dessus du côteau, ou plutôt d'un escarpement très-élevé, sur le territoire de Dimechaux, il était venu s'en joindre 24,000 autres. Une foule de guerriers et de spectateurs étaient disséminés sur la plaine, que parcouraient, dans tous les sens, de jolies femmes, assises dans des chars découverts, élégants et légers. Une salve d'artillerie annonça les manœuvres. A l'aspect d'une armée entière dans une belle tenue, au bruit des tambours, des instrumens, de la voix des chefs; en contemplant la gracieuse variété des uniformes, le nombre et le luxe des équipages, la bonne mine des hommes, la beauté des chevaux, la promptitude, l'ordre, la précision des mouvemens, chacun parut éprouver une émotion soudaine, un sentiment indéfinissable tenant le milieu entre l'étonnement et l'admiration, mais que durent dissiper bientôt les réflexions pénibles qu'inspirait la vue de tant d'étrangers en armes sur le sol français. Après les évolutions, les troupes défilèrent au pas de charge devant le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume, ayant à sa droite le duc de Wellingtun et le comte de Voronsow; à sa gauche le prince d'Orange, GuilJaume-Frédéric, aujourd'hui roi de Hollande, le général Oudom, et le maréchal duc de Reggio, tous à cheval et rangés en haye. Parvenus à l'extrémité du plateau, chaque compagnie et chaque escadron disparaissait comme par enchan

tement. Une formidable artillerie de campagne, au galop, parut et disparut à son tour. Une partie de cette armée se remontra sur les hauteurs dépendantes de Dimechaux et s'enfonça dans le camp qui, s'animant alors en quelque sorte, réfléchissant de toutes parts la lumière éclatante d'un beau soleil, et s'étendant à perte de vue au milieu d'un charmant paysage, présentait une perspective tout-àfait romantique. La foule se porta du côté opposé pour voir les princes à table. A quelques pas du bosquet, sous une tente spacieuse, ornée de festons de verdure, de trophées d'armes et de guirlandes de fleurs, une longue table, couverte de nappes d'une blancheur éblouissante, était chargée de toutes sortes de fruits aussi beaux que rares et de quantité de confitures. Les princes s'y assirent, et à leurs côtés, les généraux, avec un grand nombre d'officiers supérieurs: on leur servit des viandes froides.Tandis que l'air retentissait des sons d'une musique guerrière, répétés par les échos, et que les coupes se remplissaient de vins exquis et de liqueurs parfumées, d'ignobles et sales courtisanes, vautrées, [dans le bosquet, sur une mousse imprégnée d'ordure, d'où s'exhalait une odeur fétide, se prostituaient à des goujats. Un chœur de cosaques entonna des chants héroïques. Leurs accens mâles et presque sauvages, en se mêlant en accords, produisaient un ensemble plein d'expression et d'harmonie : on eût dit d'un choeur antique de bardes chantant, au jour du com

bat, les exploits des héros (1). Les convives s'étant levés, tout le monde se retira, et le reste de la journée fut employé, suivant l'usage, en remarques, en dissertations, en commentaires sur un spectacle dont l'impression, alors si vive, est aujourd'hui presque entièrement effacée.

Le grand duc Michel passa, dans les premiers jours de juin 1818, aux mêmes lieux, une autre revue presqu'aussi solennelle, qui fut suivie d'une petite comédie de circonstance, jouée sous la tente, par des acteurs ambulans (2).

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(1) En supposant que les bardes connussent, comme il est difficile d'en douter, l'art de former des accords.

(2) Cette piéce, qui n'a guère d'autre mérite que celui d'un memento, a été imprimée à Maubeuge, chez J. Levecque,

sous ce titre : Le camp de Dimechaux ou le double mariage, impromptu de circonstance, en un acte mêlé de vaudevilles, par MM. J.B.-A. Chatelain et Narcisse. Les auteurs y prêtent aux habitans de Dimechaux, les habitudes, les idées, le langage des villageois des environs de Paris, et cette espéce de

galanterie, quelquefois un peu grivoise,

qu'on est convenu d'appeler de l'amour au théâtre.

rantis le fait sincère et véritable.

C'était en 1793, les Autrichiens étaient rentrés à Mons, et, ma foi on les avait revus avec autant de plaisir qu'on les en avait chassés. Un officier de la garnison allant un certain soir jouer sa partie de boston, soit chez une ex-chanoinesse soit ailleurs, apperçut fichée dans un coin de la glace une carte portant ces mots assemblée de la Barette le....... chez M........ pâlir, escamoter adroitement la carte, et s'esquiver à la française, tout cela fut l'affaire d'une seconde pour notre officier épouvanté. Il porte la fameuse carte chez son major, le major chez le commandant de la place, et vîte on consigne toute la troupe dans les casernes, et le lendemain à sept heures du soir, heure de la terrible assemblée, un bataillon entier, notre officier en tête, se rend, armé jusqu'aux dents et au pas silencieux de patrouille, dans la rue de...... On cerne la maison n° 11

de toutes parts, on sonne d'autorité, et entrant dans le logis de par roi de Hongrie, de Bohême, ¡etc. Sa Majesté l'empereur d'Autriche, et trois pages d'etc., on ouvre brusquement la porte du salon, et l'on saisit les bonnets rouges au nid. Comment diable les eût-on manqués, les mesures avaient été prises avec bien trop de soins et de mystère. L'officier s'écrie d'une voix tonnante : « Messieurs, je » vous arrête. » Un grave chanoine qui présidait l'assemblée ( il vit encore et peut certifier cette anecdote singulière), se lève étonné, et se récrie sur cette arrestation

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arbitraire que rien ne justifie. Baste! l'officier est trop bien instruit, on ne lui en fait pas accroire ainsi, aussi n'écoute-t-il aucune raison, et sa fureur ne fait que redoubler en appercevaut sur la table des conspirateurs, des plans couverts d'angles et de sinuosités. « Voilà, s'écrie l'officier triom» phant, la preuve palpable de >> vos coupables desseins, plus de » doute possible, vous êtes en >> correspondance avec le club des » jacobins de Paris, et voilà le plan des fortifications de Mons » que vous allez leur envoyer. » Bref, on fait main basse sur nos scélérats ébahis et sur tous leurs papiers, et, escortés du bataillon, ils sont menés chez le commandant de place. Qui fut penaud? ce fut lui, et bien plus encore l'officier cause de tout ce tintamare, quand il eut été reconnu que la barette loin d'être le bonnet phrygien était tout simplement le nom d'une houillère des environs de Mons, que les infâmes jacobins, y compris le bon chanoine, n'étaient que les honnêtes et paisibles actionnaires de ce charbonnage, et enfin que les fortifications, angles, bastions, courtines, demi-lunes, contre-scarpes, etc., se réduisaient au plan des veines de houille de cette exploitation!!.. Oh! braves administrés du bien pensant Metternich! que pensezvous de cette conduite de vos ancêtres ?

II. Le voyageur oisif qui, pour tuer le tems, se promène lente ment, le cigarre en bouche, sur

la place de Mons, vis-à-vis de l'hôtel Royal ou du café Piéiart,/ s'est quelquefois amusé, si amusement il y a, à compter les pavés, comme dit le proverbe, et s'il a remarqué parmi ceux-ci, placées à une distance d'environ cinq à six pieds l'une de l'autre, des pierres bleues d'un pied carré, dont la rangée commençant à l'angle de la place formé par l'hôtel de l'aigle d'or, se prolonge en ligne directe jusqu'à la rue du Miroir, il se sera dit, s'il a eu le courage de se dire quelque chose, ce sont des pierres qui servent à fixer les piquets des tentes qui protègent les maisons de la place de Mons contre le soleil, comme nos bons badauds se l'imaginent. Il n'en est rien, ces pierres ont été fichées en terre, par ordre du gouvernement autrichien et sous les yeux de ses officiers afin de servir, ( je pourrais répéter ici le passage de la fameuse lettre de Madame de Sévigné sur le mariage de M. de Lauzun, car vous ne le devineriez jamais, jamais cette idée ne pourrait entrer dans la tête d'un homme tant soit peu civilisé), elles ont donc servi, dis-je, à aligner les soldats autrichiens pendant les revues !!! C'est dans seul et unique but qu'elles furent placées.

H. D.

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