Vita Radegundis. Gregor. Tur. 1.6. c. 52. monde de la fauffeté de ces bruits en portant efficacement le Roy à donner la paix à fon frerc. Mais les inftances du S. Prélat furent inutiles auprès de la Reine auffibien que celles qu'il fit immediatement au Roy. La haine que ce Prince avoit conçue contre fon frere depuis les derniers ravages qu'il avoit fait dans fes Etats, alloit jusqu'à vouloir le faire perir & exterminer toute fa famille, & il ne le diffimula point au faint Evêque, qui lui dit en gémiffant,, Seigneur, Dieu eft un grand Maistre qui ne peut approuver ces haines & ces vengeances, & fi outre ,, la victoire vous cherchez à répandre le fang de vostre frere, vous devez ,, apprehender la colere du Toutpuiffant. La fainte Religieufe Radegonde écrivit aufli de fon Monaftere de Poitiers aux deux Rois pour les engager à mettre bas les armes mais tout cela fut inutile, & Sigebert ne voulut rien écouter. Plus la fortune rit aux Princes, & moins ils font capables de ces falutaires avis. Tout plioit devant Sigebert: car fur ces entrefaites plufieurs Villes, du Royaume de Paris & du Royaume de Soiffons lui envoyerent des Députez pour fe donner à lui, declarant qu'ils ne reconnoiftroient plus deformais d'autre maiftre. Sigebert ayant reçû ces agreables Sigebert en nouvelles, envoya inceffamment invoye inveftir veitir Tournay, & partit peu de temps après pour aller recevoir les hommages de fes nouveaux Sujets au milieu du Royaume de Chilperic. I s'avança jufqu'à Vitri, Bourg qui fubfifte encore entre Arras & Doüay, & ce fut là que tous les Seigneurs du Royaume de Soiffons vinrent le reconnoiftre. L'Hiftoire en remarque un feul nommé Anfoalde, qui malgré un exemple fi univerfel demeura toûjours ferme dans la fidelité cette Ville. qu'il devoit à fon maistre. Les chofes en eftoient là, & Chilperic affiegé dans Tournay fe voyoit fans aucune reffource; lorique Fredegonde à qui les crimes ne coûtoient rien, crut neceffaire celui qui feul pouvoit la tirer de cette extrêmité. Elle appelle deux fcelerats natifs de Teroüanne; car elle en avoit toûjours de tels auprès de fa perfonne, & leur mettant en main deux efpeces de bayonnettes empoisonnées, leur dit : "Voilà l'unique moyen de fauver voftre Roy & voftre Reine & vousmêmes, dont la fortune eft attachée „ à la mienne ; il faut tout rifquer, & à quelque prix que ce foit me défaire du Roy d'Auftrafic. Si vous ,, venez heureufement à bout de cet,, te entreprise, il n'y a point de for tune trop haute pour vous, & je », vous permets d'afpirer à tout après ,, un fervice fi important. Si voftre „, malheur veut que vous périlliez ,, vous-mêmes dans l'execution fongez que c'eft en fervant voftre Prince, & qu'au moins j'en marquerai ma reconnoiffance à vos fa», milles. " " " An. 575. Gelta Reg. Franc. c. 32. Sur cela ces deux déterminez aniFredegonde le mez de ces belles cfperances fortent fait affiner de Tournay & fe rendent à Vitry, fe ménagent une audiance du Roy, & lors qu'il y penfoit le moins, attentif aux chofes importantes qu'ils faifoient femblant de commencer à lui dire, ils lui enfoncerent chacun leur bayonnette dans les flancs, & il expira fur le champ. Deux de fes Courtifans qui eftoient dans la chambre voulurent fe faifir de ces affaffins;mais l'un de ces deux Seigneurs qui eftoit Chambellan fut lui-meme tué & l'autre fort bleffé. Les Soldats cependant accourus au bruit de cette fanglante boucherie, fe jetterent fur ces feelerats & les mirent en pieces. Ainfi mourut Sigebert Roy d'Au- Prince. Portrait de ce ftrafie au plus haut point de fa profAn. 175. perité à l'âge de quarante ans, après quatorze ans de regne, Prince le plus accompli de fon temps & pour les qualitez du corps & pour celles de l'ame. Nul de fes freres ne lui fut comparable; ce que nous l'avons vû faire dans les guerres qui l'occuperent prefque pendant tout fon regne, la maniere dont il fe comporta eftant pris par le Roy des Abares, & celle avec laquelle il fe retira de fes mains, la paix qu'il accorda auprès de Chartres à Chilperic après l'avoir réduit à la derniere extrémité, l'horreur qu'il eut des débauches de fes freres, l'exemple qu'il leur donna là-deffus, nous doivent convaincre que les louanges qui lui font données par un Fortunatus Evêque de fon temps ne font pas des traits outrez de Panegyrifte, mais de veritables éloges de fes vertus, de fon intrepidité dans les plus grands dangers, de fa grandeur d'ame, de fa fageffe, de fon humeur bienfaifante,du talent qu'il avoit de gagner les cœurs, & fur tout de fa continence, vertu très-rare dans les Princes de ce tempslà. La fureur qui l'animoit à perdre fon frere, toute criminelle qu'elle eftoit, ne venoit après tout que d'une patience laffée & pouffée à bout, & d'une trop grande complaifance pour une femme ambiticufe & vindicative 1.7. Medard auprès de celui de fon pere Clotaire, mais fon plus grand foin fut de prendre fes mefures pour fe rendre maiftre du Royaume d'Auftrafie. Fredegonde n'eut pas plûtoft reçû Sa femme & la nouvelle de la mort de Sigebert, fes enfans fone arreftez. qu'elle envoya des Couriers à Paris pour l'annoncer à ceux de fa faction, qui dans la confternation où elle mit le parti des Auftrafiens fe rendirent maiftres de la Ville, & arresterent, fuivant les ordres qu'ils en avoient reçûs, la Reine d'Auftrafie avec fes enfans. C'eftoit le coup de partie pour Chilperic & le moyen für de fe faire reconnoiftre au plutoft Roy d'Auftrafie. Sigulphe un des Capitaines de Sigebert s'eftoit déja donné à lui. Le Referendaire † du Royaume d'Au- Referendaftrafie, c'eft-à-dire celui qui gar- tius, doit le Sceau du Roy & fcelloit les Ordonnances, nommé Sigon avoit fait autant, à condition qu'il auroit la même Charge à la Cour de Chilperic. D'autres avoient fuivi leur exemple; mais un habile & fidele ferviteur de Sigebert rompit tous leurs projets par fon adrefle & par fa réfolution. en Son fils Childebert eft reconnu pour Fredegar.c Ce fut Gondebaud un des Generaux de l'Armée d'Auftrafie, qui ayant gagné ou trompé les Gardes de Roy à Mets. la prifon où la Reine Brunehaut & fes Gregor. Tur enfans eftoient renfermez, trouva 15.c.1. moyen d'en tirer le petit Prince Childebert, & le fit defcendre par une fe- 570 neftre dans un fac, dans lequel on le fit fortir hors des portes de Paris. Delà Gondebaud marchant à grandes journées par des chemins écartez, l'emmena heureufement à Metz, où il le fit reconnoiftre pour Roy & faluer comme tel le jour de Noël, ce Prince ayant à peine cinq ans. + Qui annulum Regis Sigeberti teruerat, dit Gregoire de Tours: la Charge de cer Officier eftoit de freller les Ordonnances des Rois, comme on le voit dans la Vie ds Saint Ausbert Evêque de Kouen, & par pi ufieurs anciens Monumens, Chilperic fans perdre de temps fit, L..... partir un de fes Generaux nommé Rocolene, lui ordonna de prendre,, dans le Maine toutes les troupes qu'il y pourroit affembler, & d'aller fe faifir de Tours. Il envoya en mêmetemps le Prince Merovée fon troifiéme fils pour se rendre maistre du Poi tou. Le premier s'eftant avancé jufqu'à An. 176. la rivière de Loire fe campa fur le bord vis-à-vis de Tours,& envoya fommer la Ville de fe rendre. Les Habitans qui n'avoient ni Garnison ni munitions,députerent vers le General pour fe foûmettre en obtenant des conditions tolerables. La premiere con,,dition, leur dit-il, que je vous de,, mande de la part du Roy, c'eft que ,, vous me livriez fur le champ Gon,, tran-Bofon : c'eftoit un des deux Capitaines qui commandoient l'Armée de Sigebert à la bataille où le Prince Theodebert fut tué, & qui par malheur pour lui fe trouva alors à 'Tours. La maniere dont Chilperic continua toûjours de pouffer ce Capitaine ne nous permet pas de douter qu'il n'euft tué de fa main le Prince Theodebert dans le combat, ou qu'il ne l'euft fait tuer, ou du moins qu'il ne l'euft traité après fa mort d'une maniere indigne. Les Députez répondi, rent, qu'il leur demandoit une chofe impoffible,que cet homme voïant bien qu'il eftoit perdu s'il tomboit Ce droit d'afile dans les Eglifes cftoit alors un droit très-facré, dont les Conciles des Gaules recommandoient fort l'observation.Il s'estendoit jufqu'au Parvis des Eglifes & auxMaifons des Evêques & à tous les lieux renfermez dans leurs enceintes. Cette extenfion s'eftoit faite pour ne pas obliger les refugiez à demeurer toujours dans l'Eglife, où plufieurs chofes neceffaires à la vic, comme de dormir & de manger, n'euflent pas pû fe faire avec bien-feance. Ils avoient la permiffion de faire venir des vivres dans leur afile, & ç'auroit efté vio ler l'immunité Ecclefiaftique que de l'empêcher. On ne pouvoit les tirer ou les obli- Conc...Au ger à fortir de là fans une affeurance relian.Call,14 juridique de la vie & de la remission entiere du crime qu'ils avoient commis, & fans qu'ils fuffent fujets à aucune peine. Ce privilege dans la fuite donnant occafion à quantité de mauvaifes actions par l'efperance de l'impunité, a cfté infenfiblement aboli en certains païs & beaucoup moderé dans les autres, où il fubfifte encore, comme en Italic. L'afile le plus refpecté de tout l'Empire François eftoit l'Eglife de S. Martin aux portes de Tours, & on n'auroit ofé le forcer fans fe rendre coupable d'un facrilege très-scandaleux. C'eftoit fur cela que Le General répondit qu'il ne s'em- tour. Gregoire qui eftoit alors Evêque de Tours & de la part de qui on faifoit ces remontrances,nous affûre que 4. Dieu vengea fur le champ l'injure faite à S. Martin, & que dans le moment du pillage ce General fut frappé du mal caduc. Comme cet homme avoit très-peu de religion, ce châtiment qu'il ne regardoit pas comme tel, ne l'étonna point: il fit continuer le ravage & enfin paffa la riviere, entra dans la Ville, marcha à cheval à l'Eglife pour executer lui-même ce que les Habitans de Tours avoient refufé de faire par fon ordre: mais en entrant dans ce faint lieu il fut faifi d'une efpece de frayeur qui l'obligea à en fortir, & qui le mit dans un tel état qu'il ne put rien prendre de toute la jour née; il fe fit tranfporter de là à Poitiers où il mourut peu de jours après. font honneur aujourd'hui, peut-on Quoiqu'il en foit, cet accident cau- La Reine d'Auftrafie eftoit devenuë veuve affez jeune, & n'avoit encore rien perdu des attraits qui l'avoient fait préferer à fon aînée par le feu Roy Sigebert. Fortunat affeuré ment n'eftoit pas encore Evêque de Poitiers, quand il donna carriere à fa Mufe fur la beauté de cette Princeffe, dont il fait une autre Venus par la 1.6.Carm.64 bouche de Venus même qu'il fait parler dans fon Poëme fur ce fujet,& qu'il fait defcendre dans un grand détail. pouse Brune Merovée l'avoit veuë à Paris dans Merovée é fa prifon, & s'en eftoit laiffé charmer; bu vese elle de fon cofté ne parut pas infenfi- de Sigebert ble à la paffion du Prince, qui dans le mauvais état de fes affaires pouvoit lui devenir utile. Il fe pourroit bien faire que cet amour naiflant fut ce qui détermina Chilperic à les éloigner l'un de l'autre, à envoyer Merovée faire la guerre en Poitou, & Brunehaut en exil à Rouen. Mais un tel remede n'eft pas toûjours efficace. Le Prince vint à Tours pendant les Festes de Pâques avec des Troupes qui firent de grands defordres dans le Païs. Les liaisons qu'il cut dans la fuite avec Bofon qui eltoit toûjours demeuré dans l'Eglife de S. Martin, ne laiffent nul licu de fe douter que dès-lors ils n'euffent pris Je fçai que Gregoire de Tours paffe pour un Auteur fort credule en matiere de miracles. Mais en fuppofant ce qui eft vrai, qu'en ce temps-là & dans les fiecles fuivans il y eut un excez de fimplicité & de credulité toûjours bien moins dangereufe que l'extrémité oppofée dont tant de gens fe Gregor. Tut. 1.5 c. 2. An. 176. enfemble quelques mefures.De Tours il fit femblant d'aller au païs du Maine pour y voir fa mere la Reine Audoüere qui s'y eftoit retirée dans un Couvent depuis que Chilperic l'avoit repudiée : mais on fut bien furpris quelques jours après d'apprendre qu'il eftoit arrivé à Rouen. Et on le fut encore bien plus à la Cour, lors que l'on fçut que Brunehaut ayant fecrettement difpofé toutes chofes en attendant l'arrivée du Prince, l'Evêque Pretextat les avoit auffi-toft mariez en face d'Eglife. le autre occafion de s'attribuer pendant le refte de fa vie. * Chilperic eftant donc arrivé à Ibid. Rouen bien pluftoft qu'on ne l'y attendoit, furprit ces deux Amans, qui n'eurent point d'autre voye d'éviter les effets de fa colere, que de fe fauver dans l'Eglife de S. Martin baftie fur les murailles de la Ville. Telle eftoit la devotion & le refpect qu'on avoit pour ce grand Saint, non-feulement à Tours dont il avoit cfté Evêque, & où il avoit efté enterré, mais encore par toute la France. C'eftoit un afile inviolable, & que Chilperic refpecta tout emporté & tout impie qu'il eftoit. Il ufa de mille artifices pour les engager à le venir trouver, mais en vain. Ils ne voulurent jamais fortir de ce lieu faint, qu'il n'euft fait. ferment non-feulement de ne leur faire aucun mal, mais même de confirmer leur mariage, fuppofé qu'il fe trouvaft legitime; ce que Chilperic fe refolut de faire d'autant plus volon- on Can. tiers, qu'il fçavoit qu'un mariage tel que celui-là eftoit contre les Canons, qui défendoient au neveu d'épouser la veuve de fon oncle. Chilperic fur cette nouvelle dont il fut extrêmement irrité, partit auffitoft de Soiffons pour venir à Rouen, apprehendant tout des intrigues de Brunchaut, & jugeant que ni le Prince Merovée ni elle n'auroient pas fait une démarche fi hardie fans qu'ils fe fuffent menagé de quoi la foûtenir.Et certainement, quoique nos Hiftoriens qui oublient beaucoup d'autres chofes ne faflent mention d'aucun parti formé alors en leur faveur dans le Royaume de Chilperic, & que Gregoire de Tours même foûtienne que ce qu'on objecta là-deflus à l'Evêque de Roüen dans un Concile eftoit faux, cependant il nous refte un monument de ce temps-là, fur lequel on peut fuppofer affez vrai - femblablement que Merovée eftoit refolu de fe faire proclamer Roy fi on lui en euft laiffé le temps. Ce monument eft une petite piece de monnoye d'or où l'on voit le nom & l'image de ce Prince avec le diadême en tefte, marques vifibles de la Royauté,que d'ailleurs il n'eut nul Après ce ferment ils quitterent l'Eglife de S. Martin & vinrent trouver le Roy qui les reçut avec toutes fortes de marques de bonté, les embrassa, les fit manger avec lui; mais peu de jours après il commanda au Prince de le fuivre à Soiffons, & il fallut obeïr. Depuis ce temps-là il eftoit veillé de fort près; & on le gardoit prefque à veuë. Cet incident détermina aufli Chilperic à finir une negociation qu'il avoit tirée en longueur jufqu'alors. 30. Le jeune Roy d'Auftrafie Childebert l'avoit fait prier plufieurs fois de lui rendre fa mere & fes fœurs, fans avoir pû rien obtenir. Ces trois Princefles eftoient comme des ôtages qu'il MEROVEUS. Au Revers MUDULENUS MONetarius, Concil. E Chilperic la renvoye à Mere fes deux filles, |
