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sert surtout à asseoir le diagnostic. Cette division de M. Ricord est parfaite, mais il est évident que la dénomination de chancre infectant ne convient pas au signe initial de la vérole; il est infectant pour autrui, mais il ne l'est plus pour le porteur, car celui-ci est déjà infecté. M. Ricord le prouve lui-même en disant le chancre simple, à la période d'état, est inoculable à coup sûr au sujet qui le porte; le chancre infectant à la même période est d'une inoculation sinon impossible, au moins très-difficile à obtenir et très-rarement obtenue. Ainsi, vous inoculez le virus vaccin à quelqu'un, la pustule produite, l'effet préservatif est produit. C'est en vain que vous vous évertuez à l'inoculer encore pour que de nouvelles pustules se développent, rien ne se manifeste dans l'endroit inoculé. Il en est de même de la vérole; dès que le chancre apparaît, elle est installée dans l'économie, un nouveau chancre de l'espèce ne prend plus, et la cautérisation du premier est impuissante à en arrêter les manifestations. M. Diday rapporte plusieurs observations de chancres détruits le premier, le deuxième et le troisième jour de leur existence, et leur guérison obtenue au bout d'un ou de deux septénaires n'a pas empêché l'éclosion des symptômes constitutionnels. Ne serait-il donc pas rationnel de consacrer seulement le mot de chancre à l'ulcère qui agit localement et dont les allures peuvent à chaque moment devenir phagédéniques, ce que le mot chancre rappelle très-bien à l'esprit du praticien, et de donner le nom de syphilis à l'affection caractérisée par le chancre infectant de M. Ricord? Ce mot est meilleur, sous ce rapport que le médecin sait de suite qu'il a affaire à une maladie générale qu'il doit combattre le plus promptement possible par des moyens généraux, et d'autant meilleur que les autres symptômes de la syphilis sont peut-être également contagieux d'après les der nières recherches. Le difficile est de diagnostiquer l'ulcère syphitique du chancre. M. Ricord a donné le tableau suivant des symptômes différentiels.

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D'après le principe qu'une ulcération syphilitique ne s'inocule plus sur un individu fraîchement syphilisé, il faut regarder comme telle le chancre unique, qu'il soit induré ou non; on doit avoir la même opinion lorsque plusieurs ulcères se sont montrés à la fois, car plusieurs inoculations peuvent avoir lieu simultanément. Il faut donc s'informer avec soin si les ulcérations que l'on a

sous les yeux sont nées en même temps ou bien successivement; dans le premier cas elles sont syphilitiques, dans le second elles sont chancreuses. Si le phagédénisme qui n'est autre chose qu'une inoculation successive du virus chancreux se présente, le diagnostic se modifie, l'ulcère quoique unique est très-souvent un chancre. S'il accompagne l'ulcération syphilitique, il se limite vite et atteint presque soudainement son apogée. Il n'en est certes pas de même du chancre dont les progrès sont incessants. Ainsi des ulcères qui se sont manifestés successivement les uns après les autres, qui font naître des bubons d'absorption, ou qui gagnent de proche en proche en étendue et en profondeur sont des chancres; les autres, qu'ils soient uniques ou multiples d'emblée, leur marche étant stationnaire, sont des ulcères syphilitiques. Cette manière de voir peut paraître absolue, elle peut exposer le médecin à confondre les deux espèces d'ulcères. Mais l'erreur n'entraine aucune conséquence, tandis qu'attendre pour formuler un diagnostic précis que l'induration soit dessinée, c'est exposer le malade à subir un empoisonnement profond qui demande quelquefois des années pour se dissiper. Aussi vaut-il mieux dans ces circonstances administrer de suite un traitement mercuriel. Celui-ci bien dirigé n'a pas d'inconvénients graves, quoi qu'on en dise. La méthode de M. Chomel peut alors être suivie avec avantage. Pendant les quinze premiers jours on donne un centigramme de deutochlorure de mercure; si l'induration se formule, on administre trois de ses pilules qui contiennent chacune un demi-centigramme de la substance mercurielle; quinze jours après on donne quatre pilules lorsque l'induration persiste ou que d'autres symptômes syphilitiques ont apparu. On continue au moins pendant deux septénaires l'administration de ces pilules, après la disparition de tout accident morbide. On les suspend au contraire, lorsque de nouveaux chancres se présentent ou que les premiers deviennent phagédéniques. Si plusieurs ulcères syphilitiques se montrent en même temps, c'est qu'il y a eu plu sieurs inoculations simultanées. Dans ces cas, l'induration n'occupe-t-elle la base que d'une ou de deux ulcérations, l'absorption plus active dans un point a prévenu l'action des autres et les a converties en chancres, comme cela arrive chez les anciens syphilisés, qui contractent une nouvelle syphilis; l'ulcère prend l'aspect d'un chancre simple, cependant il ne perd pas sa spécificité en passant chez un individu non vérolė.

Quelquefois il arrive qu'une partie d'un chancre seulement s'indure, tandis que l'autre reste souple. L'explication que nous donnions tantôt convient à ces cas, à moins que l'on n'admette que le malade ait été contaminé par le virus chancreux et le virus syphilitique, et les choses se sont passées ainsi chez les personnes qui ont des chancres ganglionnaires en même temps que plusieurs ulcères aux parties sexuelles dont quelques-uns s'indurent. L'ulcère syphilitique se cicatrice de lui-même sans traitement. Que de fois n'est-il pas arrivé de constater des symptômes secondaires sans que les malades se soient souvenus d'avoir eu une ulcération quelconque qui ait pu servir de point de départ! Combien de fois n'a-t-on pas trouvé l'induration d'un ulcère déjà cicatrisé, sans

aucun soin particulier du malade qui vous consulte pour des syphilides! Il est donc avéré et, tous les jours, on en a la preuve, que l'ulcération syphilitique guérit spontanément au bout de six semaines, tandis que le chancre pullule et ́a une grande tendance au phagédénisme. Le traitement mercuriel qui a une action évidente sur la marche et la résorption de la lymphe plastique de l'ulcère syphilitique, semble favoriser l'extension du chancre. On frémit en songeant combien de pénis ont été enlevés par le phagédénisme, combien de personnes sont mortes au milieu d'horribles souffrances victimes de ses progrès incessants, avant que le traitement des cautérisations coup sur coup ait été institué. Celui-ci parfois n'en triomphe pas aisément : il faut y ajouter les pansements avec une solution de tartrate de fer et de potasse, administrer cette solution à l'intérieur ou l'iodure de potassium, d'ammonium. Contre les chaneres phagédéniques de l'aine quelques auteurs préconisent même le fer rouge. Ces chancres persistent quelquefois indéfiniment, comme on en rapporte de tristes exemples. Peut-être le lecteur ne trouvera pas mauvais que nous reproduisions ici une relation du traitement d'un chancre phagédénique suivi en 1763.

Le 8 janvier, M. H. vint me trouver et me montra un ulcère rongeant situé au frein, entre le prépuce et le gland. Il y avait déjà quelques jours que M.D. traitait cet ulcère, mais voyant qu'il gagnait toujours et que de simple excoriation qu'il était d'abord, il en était venu à occuper un quart de la circonférence tant du gland que du prépuce, il crut devoir recourir à nous; par l'exposé du malade, qui avait eu depuis peu une gonorrhée, nous jugeâmes que l'ulcère était un chancre, et nous prescrivimes les remèdes usités en pareil cas.

Le 10 janvier, le malade et son médecin revinrent me trouver; l'ulcére était encore agrandi, et le prépuce était si gonflé qu'on ne pouvait presque plus le relever pour placer dans l'ulcère les linges fins chargés de suppuratif.

Je conseillai à M. H. de se faire saigner une ou deux fois, d'appliquer sur la partie malade un cataplasme anodin avec la mie de pain blanc, le lait, le safran, etc., de laisser son prépuce relevé, parce que, au pis aller, il fallait préférer un paraphimosis à un phimosis, qui empêcherait de le panser et ferait séjourner une sanie virulente qui perdrait cette partie. Le malade usa d'une tisane faite avec les racines de guimauve, d'oseille, de fraisier, de réglisse et fut mis au bouillon et purgé le surlendemain. L'ulcère rongeant alla toujours en augmentant, et je vis clairement que c'était un ulcère que nos pères ont appelé phagédénique, depascens.

J'avais traité un semblable ulcère à la verge de M. de la B., officier; après avoir épuisé toutes les espèces de remèdes anodins, émollients, vivifiants, je in'étais avisé de me servir d'égyptiac et de compresses d'eau-de-vie camphrée qui, au premier appareil, avaient arrêté le progrès de l'ulcère et en avaient rendu le fond vermeil. Je pratiquai les mêmes remèdes sur l'ulcère de M. H. L'égyptiac, loin de le modifier, fit une escharre et hâta l'ulcération. Je modérai l'égyptiac par le mélange du suppuratif; il ne fit ni escharre ni modification,

mais l'ulcère alla toujours son train. J'employai notre mélange de suppuratif; baume d'Arcéus, onguent de styrax, et toujours des compresses trempées dans l'eau-de-vie camphrée et eaux vulnéraires. On y mit ensuite un emplåtre noir éprouvé contre certains ulcères rongeants. On purgea le malade plusieurs fois avec diagrède et mercure doux, de chacun quinze grains. Le 18, toute la partie de l'urethre qui répond au gland, est consumée par l'ulcère qui occupait les deux tiers de la circonférence du prépuce et du gland. On mit une canule dans l'urèthre et on chargea l'ulcère de boule de Mars en poudre et par-dessus des compresses d'eau vulnéraire. On permit une petite soupe au malade, qui en avait grand besoin. Voyant que les antigangréneux ne faisaient rien, on pansa l'ulcère avec des poudres de bol d'Arménie, de sang-dragon ou de tuthie, on fit un liniment épais avec ces mêmes poudres, l'onguent pompholix et l'huile de myrthilles, dont on chargea deux plumasseaux, qu'on appliqua par-dessus les poudres sèches. On trempa le reste de l'appareil dans les eaux de morelle et de plantain rendues alumineuses avec un gros d'alun sur quatre onces d'eau, et l'on prescrivit au malade d'arroser souvent la partie affectée de cette liqueur. Le vingt-huitième jour de la maladie, voyant que la guérison n'avançait pas, qu'au contraire le prépuce s'engorgeait de jour en jour, que la suppuration gagnait le long de l'urèthre et autour des corps caverneux qu'elle paraissait disséquer, on revint au baume d'Arcéus, au styrax, et aux cataplasmes avec les farines de fèves, les poudres de camomille et de millepertuis. Ce traitement ne servit qu'à faire percer deux tumeurs qui firent un petit trou de chaque côté dans l'urèthre au-dessous du prépuce. Persuadé que cette fusée irait tout le long de la verge si l'on continuait ces remédes que l'expérience avait décidé dès le commencement être pernicieux à ce mal,on reprit les astringents et les absorbants, les lotions et les injections avec les eaux de plantain et de roses, rendues alumineuses, et les autres poudres citées plus haut. En persistant dans cette médication, le malade fut guéri dans le courant du mois de mai.

Cette observation est curieuse à ce point de vue, que l'on avait déjà remarqué l'opportunité des escharrotiques et des astringents surtout dans cette espèce de chancre. Elle prouve aussi que l'on commençait à différencier le chancre phagédénique des autres ulcères. Swédiaur rapporte une observation à peu près semblable. On sait que cet auteur insiste avec force sur le danger qu'il y a à donner le mercure contre les ulcères phagédéniques. On se convaincra, dit-il, que la plupart des malheureux qu'on laissait autrefois périr ou languir après avoir perdu les parties de la génération, peuvent être soulagés ou radicalement rétablis par la science plus éclairée, et par une méthode plus adaptée à la nature de ces divers ulcères. Ainsi le chancre phagédénique peut donner la mort, et en effet on trouve quelques exemples de cette fatale terminaison dans les auteurs; le chancre ganglionnaire surtout traînait souvent le malade à la tombe. On lit dans les observations sur les différentes méthodes d'administrer le mercure, le fait suivant: Denp., âgé de trente-six ans, d'un tempérament très délicat, est entré à la maison de santé établie pour les hommes le 15 décem

bre 1776, pour un bubon considérable, qui avait succédé à des chancres et à une gonorrhée qui avaient été guéris sans précaution. Ce bubon s'était ouvert de lui-même, et la plaie s'était agrandie promptement et de telle manière qu'elle avait pénétré jusqu'au bas-ventre. Elle fut pansée méthodiquement, et pendant ce temps on prescrivit à ce malade douze frictions de deux gros de pommade mercurielle chacune, et à trois jours de distance les unes des autres, sans qu'il en ait résulté ni salivation, ni aucun autre accident; la plaie, au contraire, en parut d'abord plus vermeille, la suppuration en était plus louable et les bords commençaient à se rapprocher; mais la fièvre qui survint, loin de favoriser la cicatrisation commençante de cette plaie, ne contribua pas peu à l'agrandir et à lui rendre sa première étendue; le dévoiement qui parut ensuite et qu'on jugea être colliquatif, occasionna de fréquentes faiblesses et ne put être modéré par aucun moyen ; le marasme enfin s'établit de manière à ôter toute espérance; la plaie prit tous les jours un caractère plus malin, et elle finit par pénétrer dans le bas-ventre et précipiter ainsi les jours malheureux du malade. I mourut le 5 avril 1777.

Marie Claude, âgée de vingt-cinq ans, entre à la Maison de santé de la Petite Pologne le 25 juin 1776, pour une maladie vénérienne déjà ancienne et qui était parvenue à la dernière période de malignité; c'était un ulcère gangréneux, dont l'aspect était hideux et les dimensions effrayantes. Il s'étendait du pénil à la vulve jusqu'au périnée, la marge de l'anus et l'os sacrum; il y avait carie à cet os. Quelques portions de cet ulcère étaient déjà sphacelées, le pouls était petit, la faiblesse était extrême et le délire continuel. On fit des scarifications profondes aux endroits sphacelés; on pansa l'ulcère avec le styrax animé, et on le fomenta continuellement avec l'esprit-de-vin camphré et ammoniacé, tandis qu'on tàchait d'un autre côté à augmenter la circulation et à soutenir les forces par les cordiaux et l'infusion de quinquina. Le 5 juillet, quelques escharres commençaient à se détacher, mais celles du coccyx étaient trop profondes; elles étaient inhérentes à l'os et annonçaient l'inutilité de tout secours. La malade mourut le 9 juillet. Chez les adultes, la gangrène ne se rencontre pas, on peut donc considérer ici le virus chancreux comme la cause de sa production. Nous avions raison de dire qu'on ne peut que frémir en songeant aux ravages faits par les chancres, alors que leur nature n'était pas connue, et que l'on la regardait partout et toujours comme syphilitique. Les femmes en particulier ont dû être éprouvées, car que de chancres phagédéniques du col résistant à un traitement mercuriel ont été confondus avec le cancer, si encore on parvenait à les découvrir, puisque le spéculum n'était pas employé, à moins qu'ils n'eussent envahi tout le vagin et son orifice, ou qu'ils n'eussent déterminé d'autres chancres à la vulve. Ces cas ne devaient pas être rares, quoi qu'en dise Scanzoni, qui prétend que les chancres du col ne sont rien moins que communs; cette assertion est une grave erreur. Sans que les anciens eussent recours à la cautérisation, ils guérissaient la plupart des chancres, et ils avaient une certaine confiance dans l'eau aluminée. M. Vidal croit que c'est par suite d'une syphilisation locale,

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