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galeries souterraines, car tous les ateliers peuvent être pourvus d'air et de lumière, mais jamais on ne fera luire le soleil dans les charbonnages. Nous félicitons MM. les ingénieurs du corps des mines des améliorations qu'ils ont apportées à la ventilation des fosses; mais de ce qu'ils ont rendu moins impur l'air des galeries souterraines, s'ensuit-il qu'ils en ont fait des ateliers salubres? Non, Messieurs, car ils ne peuvent empêcher l'air d'y être humide et froid, et malgré foute leur science, ils n'y feront jamais luire la lumière solaire - lumière bienfaisante qui vivifie, colore et fait grandir tous les êtres animés et que nulle autre ne peut remplacer. Les effets causés par son absence prolongée, si marqués sur les hommes, sur les animaux, sur les plantes des régions polaires, ne sont-ils pas manifestes chez les ouvriers des charbonnages? C'est cette absence des rayons solaires qui les étiole et produit cette anémie.

Cette anémie, ces bruits de souffle cardiaque et vasculaire, cette diminution des globules, celle de l'albumine du serum du sang et de sa fibrine, qui les prédispose à la bouffissure de la face, aux hydropisies et aux hémorrhagies, à cette cacochymie, à ces altérations de nutrition qui facilitent à un si haut degré l'ostéo-malaxie et les difformités osseuses dont nous parlerons tout à l'heure ; et MM. les directeurs paraissent compter cela pour rien, il semble qu'ils ont tout fait en fournissant de l'air à leurs galeries. Malheureusement, ils sont impuissants pour donner plus, et c'est à cause de cette impuissance même qu'elles constituent des ateliers exceptionnellement insalubres au plus haut degré.

C'est à leur influence que les jeunes ouvrières doivent ces chloroses, ces retards de la puberté ou ces menstruations prématurées qui les épuisent. Ces faits sont admis par tous

les médecins, et l'on sait qu'il a souvent suffi d'envoyer les ou vrières de 16 à 20 ans à la surface pour que la puberté retardée s'établisse presque aussitôt par l'action d'un air plus pur et surtout de la lumière.

Si, à ces mauvaises conditions hygiéniques, vous ajoutez celles que présente le travail des hiercheuses, vous vous expliquerez facilement pourquoi on rencontre si fréquemment chez elles des saillies anormales du promontoire, des rétrécissements obliques ovalaires, une étroitesse générale du détroit supérieur, qui rendent les accouchements laborieux et parfois impossibles, l'application du forceps et la version si souvent nécessaires, et qui obligent les accoucheurs à recourir parfois à l'opération césarienne ou à l'embryotomie. L'observateur auquel j'emprunte ces faits dit avoir dû plusieurs fois pratiquer la mutilation du fœtus. Il explique par quel mécanisme le travail des mines produit ces difformités, amène ces accouchements pénibles et quelquefois mortels, détermine des chutes ou des déviations de la matrice, des péritonites puerpérales ou des fièvres lentes, qui tuent les femmes ou les retiennent au lit pendant plusieurs semaines. Il a vu, dit-il, d'après ses relevés, que sur un nombre égal d'accouchements pratiqués dans la classe charbonnière et dans les classes laborieuses, que les applications de forceps sont trois fois plus nombreuses dans la première catégorie de femmes que dans les autres, et il ajoute que la plupart des accoucheurs qui habitent les bassins houillers, lui ont fourni, sur ce point, des renseignements conformes à ses observations. On peut dire, s'écrie ce confrère, que les femmes sont les véritables victimes du travail des fosses. Les vices de conformation du bassin si fréquents et si dangereux chez les hiercheuses, font de cette profession une exception inique qui devrait préoccuper nos législateurs (page 181).

Et l'on a dit dans une autre enceinte que les faits de dystocie ne sont pas généralement reconnus, que les praticiens du bassin de Charleroi ne les admettent pas. Eh bien, vous venez d'entendre un confrère, révélant les résultats de sa pratique, affirmer qu'ils sont conformes aux observations de la plupart des accoucheurs qui habitent les bassins houillers. Ce confrère, Messieurs, c'est l'homme le plus franc et le plus indépendant de nos collègues, c'est l'honorable M. Boens, écrivant son excellent traité des maladies des houilleurs, traité trop peu connu, savamment pensé, parfaitement écrit et dont l'impression remonte à l'année 1862, c'est-à-dire à une époque où les améliorations dues à la ventilation nouvelle étaient réalisées.

Un pareil témoignage de la part d'un médecin distingué et pratiquant à Charleroi, est la plus belle réfutation de l'objection qui nous avait été faite; il n'a pas été écrit pour les besoins d'une cause ni d'un principe, il constitue à lui seul tout un plaidoyer, il émane d'ailleurs d'une source trop pure et trop désintéressée pour qu'on puisse l'attaquer, vous le comprendrez sans peine, Messieurs, quand vous saurez que M. Boëns est médecin de treize houillères et qu'il a une grande partie de sa fortune engagée dans l'exploitation des charbonnages.

Il faut, Messieurs, une conviction bien appuyée et bien forte pour que cet honorable collègue ajoute (page 181):

« Pour notre part, nous croyons que sous tous les rapports il y aurait intérêt à ne plus admettre dans les travaux souterrains que les garçons et les hommes. A quelque point de vue qu'on se place, on se convaincra que nous avons raison d'insister sur ce point; qu'on y songe un peu el qu'on nous dise si l'industrie charbonnière aurait tant à souffrir de

l'exclusion des femmes du fond des fosses, qu'il faille sacrifier à cet intérêt mercantile ou social, si l'on veut, l'intérêt des familles, l'avenir des femmes et des enfants des houilleurs? Nous ne parlons pas de la morale ni de la religion, qui réclament aussi, depuis longtemps, cette exclusion, parce que, dans le siècle où nous sommes, les arguments puisés à ces nobles sources créent aux opinions les mieux conçues plus d'adversaire que de partisans! »

Si la classe des houilleurs est soumise à tant d'influences nuisibles et à des maux physiques si nombreux, si ceux-ci affectent surtout les filles et les femmes, comment voulezvous que leur race n'en éprouve pas les funestes conséquences?

On a contesté pourtant que ces causes si multiples et si actives aient agi sur cette race; lorsqu'au contraire la dégénérescence est constatée par tous les observateurs, non-seulement en Belgique, mais à Anzin et dans la plupart des districts charbonniers de l'Angleterre. Écoutons encore M. Boëns, parlant de la vieille race des mineurs du bassin de Charleroi Ils sont trapus, de petite taille, mais il en est peu qui soient bossus, ils sont, dans leur enfance, sujets au rachitisme et à la difformité des membres inférieurs (pages 57, 59, 63). On peut dire que la diathèse scrofuleuse fait partie de la constitution des houilleurs. On sait que chez les enfants et chez les femmes des localités industrielles, le tempérament lymphatique prédomine, mais chez les charbonniers c'est la diathèse scrofuleuse qui domine généralement et qui s'est substituée au tempérament lymphatique, parce qu'elle se transmet héréditairement. Plus loin il accuse la fréquence de la méningite tuberculeuse, de la phthisie bronchique et du carreau. Page 7, il ajoute : Cette race robuste et ancienne des mineurs

dégénère, ils sont usés avant l'âge, à 50 ans ils sont tombés dans une vieillesse prématurée. Enfin, page 179, il dit que les difformités des membres sont si fréquentes dans la classe des charbonniers, qu'il en est beaucoup qui, à cause d'elles, sont exclus du service militaire, et qu'on ne peut guère leur confier l'emploi de facteur des postes.

Notez bien, Messieurs, que non-seulement M. Boëns, mais que tous les médecins qui se sont occupés des maladies des charbonniers sont d'accord sur cette caducité précoce, sur cette vieillesse prématurée qui, à 50 ans, vient frapper l'ouvrier des fosses. Les partisans de la statistique quand même ne manqueront pas de fournir des chiffres qui, sans faire de distinction parmi les diverses catégories d'habitants des communes des bassins houillers, prouveront que la mort n'y moissonne pas plus de personnes que dans d'autres communes; à mes yeux, ils ne prouveront rien en faveur de l'innocuité des travaux souterrains, car, pour un prolétaire, ètre vieillard à 50 ans, c'est un malheur presque aussi crue que la mort Non vivere sed valere vita est.

Il me semble, Messieurs, que j'ai suffisamment prouvé que les faits médicaux ne manquent pas; notre observation dans le cours de l'enquête avait confirmé ces détails affligeants et antérieurement à nos investigations, les Commissions médicales du Hainaut, le Conseil de salubrité publique de la province de Liège, les Chambres de commerce de Mons et de Charleroi les avaient dénoncés. Tous les médecins que nous avons vus et dont nous avons reçu les confidences, sous le sceau du secret, ont été unanimes pour affirmer ces maux et nous en ont révélé un autre la syphilis, se propageant même parmi les enfants! Un temps d'arrét semble s'être produit dans la dégénérescence, à

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