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en avoit trop dit: tout ce que j'avois dans le cœur, je croyois l'avoir révélé ; ces mots, sur-tout, l'homme le plus aimable, me faisoient naître des scrupules. Pourquoi lui avoir parlé de sa beauté ? et de quoi m'avisois je de vanter sa sagesse? L'éloge même de ses vertus étoit déplacé dans ma bouche. De quel droit me croyois-je digne dé le louer? Que devoit-il penser d'une jeune personne qui, dans le monde, auroit voulu fixer l'attention d'un homme, et qui, à seize ans, s'impatientoit d'être. négligée comme un enfant? Quelle imprudence enfin de lui avoir écrit à l'insçu de ma mère ! Et s'il n'y avoit aucun mal, comme je l'avois cru, pourquoi le lui avois-je caché?

Cependant je n'avois encore rien avoué ; mon trouble et ma rougeur n'étoient que des indices; il ne tenoit qu'à moi d'en effacer l'impression; et si je savois feindre, tout seroit bientôt oublié. Jé pris donc, ou plutôt je crus

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prendre avec lui un air de froideur et de négligence; et lorsqu'en se mêlant quelquefois à nos entretiens, il vouloit bien m'adresser la parole, j'avois dans mes réponses cette légèreté craintive de la biche, qui ruse devant le chas→ seur. J'éludois ses questions comme autant de filets: un mot quelquefois vif, le plus souvent timide, me dégageoit d'un pas difficile et glissant.

Mais lorsque je croyois lui avoir donné le change, et que je le voyois interdit, j'en avois du regret, et je me reprochois un déguisement inutile. Je devois bien penser que j'avois été reconnue ; et il y avoit plus que du caprice et de l'inconséquence dans ma dissimulation. C'étoit désavouer le plus pur, le plus juste hommage; et cela seul pouvoit ôter à ma conduite le caractère d'innocence qu'elle auroit à ses yeux avec plus d'ingénuité..

Vous le dirai-je enfin? j'osai penser au mariage. Jeune et riche héritière,

d'un état convenable au sien, pourquoi n'aurois-je pas desiré de lui plaire? Ne faut-il pas, disois-je, que l'on pense bientôt à m'établir? Et si l'époux que' l'on me donnera n'a fait que me voir dans le monde comme une peinture mobile; s'il faut que sur parole il me suppose une ame, un caractère, un peu d'esprit et de bon sens, sera-t-il bien flatté, bien envieux de m'obtenir? Celui-ci est le seul au monde à qui je ferois gloire d'être unie; et s'il daignoit me demander, certes je défierois père et mère de mieux choisir. Si donc il m'engageoit lui-même à convenir que la lettre anonyme étoit de moi, j'étois déterminée à lui en faire l'aveu, et j'en attendois le moment.

Ce moment ne vint point; et plus réservé que jamais, Alcime s'en tint avec moi, comme avec mes compagnes, à cette politesse affectueuse et simple dont mon cœur ne pouvoit ni se plaindre, ni se louer.

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J'étois mal à mon aise, et si mal que j'aurois voulu ne l'avoir jamais vu, ou ne plus le revoir, lorsque je fus saisie d'un sentiment plus vif, plus affligeant que må tristesse.

Un jour, la veille de celui où nous devion's dîner ensemble, Madame d'Olme fit prévenir ses amis que son dîner n'auroit pas lieu; qu'Alcime étoit malade, qu'il étoit pris d'un accès de goutte assez fort pour donner de l'inquiétude.

C'étoit, reprit Madame de Nérayen soupirant, un mal héréditaire, dont Alcime, dès sa jeunesse, avoit senti les premières atteintes, et qui ne l'a pas laissé vieillir. Ma mère, à son réveil, reçut cette triste nouvelle ; et quand j'allai la voir, elle me l'annonça. J'eus à peine la force de lui demander s'il y avoit du danger. Mais oui, ditelle, on cráint pour les organes de la vie. Si la goutte les attaquoit n'y a point de mort plus soudaine.

il

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Souvent en moins d'une heure on est étouffé.

Jugez comme je fus moi-même étouffée en entendant ces mots terribles. Mon cœur saisi d'effroi, suffoqué de douleur, ne put retenir ses sanglots; mes yeux se remplirent de larmes. Ah! m'écriai-je, quel malheur s'il en mouroit! et toute en pleurs, je me laissai tomber sur le lit de ma mère. Cette scène imprévue l'étonna encore plus qu'elle ne l'attendrit.

Ma fille, me dit-elle, d'où vous vient cet excès de sensibilité pour un homme sans doute bien estimable, mais étranger pour vous? Hélas! lui dis-je, à qui la vertu est-elle étrangère? L'intérêt qu'elle vous inspire est juste, repritelle; mais dans une jeune personne, il ne doit pas aller si loin. Et que seroitce donc, ma fille, si vous aviez à craindre pour ma vie? Je ne répondis qu'en pleurant; et ma mère, dans ce noment, ne erut pas devoir insister,

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