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dix premières années du règne de saint Louis. Cependant, il faut craindre d'exagérer l'importance de ce penchant du prince champenois qui, durant cette période, cut deux femmes légitimes, plus une fiancée, et, en même temps, ses vers en font foi, des liaisons moins pures avec des femmes dont le nom est resté inconnu, mais dont les vers du chansonnier-roi caractérisent suffisamment la moralité. Le lecteur nous dispensera de donner des citations. On trouve des compositions aussi inconvenantes même dans la littérature contemporaine; mais les écrivains de tous les temps devraient plus souvent se rappeler que la bienséance a des règles dont, sous prétexte d'art ou d'amour, un homme qui se respecte ne doit jamais s'écarter.

Quelques personnes, parmi les modernes, ont paru croire que certaines de ces blåmables chansons de Thibaut renfermaient des allusions aux relations qui auraient existé entre la reine de France et lui, mais rien ne justifie cette interprétation.

Il est certain que, de son vivant, Blanche a été violemment accusée; mais jamais la gravité de l'accusation et la dureté de l'insulte n'ont dispensé de la preuve, et la preuve n'a jamais été produite.

Les difficultés au milieu desquelles Blanche a tenu le sceptre de son fils expliquent surabondamment les attaques dirigées contre sa vertu. Par une contradiction, dont il est inutile de déduire ici les causes, des désordres, dont souvent l'homme se fait gloire, impriment au front de la femme une tache indélébile; or, quand, par l'effet de la loi politique, une femme se trouve exceptionnellement appelée au pouvoir, il s'établit forcément entre elle et les hom

mes qui l'entourent, des rapports étrangers au cours régulier de la vie ordinaire et dans lesquels la malignité publique pourra toujours facilement trouver les apparences du mal, quoique ce mal soit une hypothèse inutile, quoique l'affirmation de ce mal soit une calomnie. Mais cette calomnie dirigée contre Blanche fournissait une arme de guerre aux barons ligués pour reconstituer leur pouvoir en abaissant la royauté qui, pendant un quart de siècle, s'était élevée si haut. Le moment de la réaction semblait venu, quand des mains énergiques de Philippe-Auguste et de Louis VIII le sceptre était tombé aux faibles mains d'une femme.

Bien est France abastardie,

Signor baron, entendés,

Quand feme l'a en baillie (tutelle)

Et tele come savés.

Il (Thibaut) et elle (Blanche), lez à lez (côte à côte)
Le (la France) tiengnent de compaignie;

Cil n'en est fors (que) rois clamés (appelé)

Qui piecha (depuis longtemps) est coronés (a).

Blanche était femme; mais elle trouva dans le cardinal Romain de Saint-Ange un habile et vigoureux conseiller; elle obtint, dans la personne de Thibaut, l'appui du plus puissant des barons français.

Ses adversaires espérèrent, en incriminant celte double alliance, la flétrir et changer en cause de faiblesse un principe de force: leurs clameurs tournèrent à leur confusion. Jamais règne ne fut plus glorieux que cette régence de Blanche, qui triompha

(a) Deuxième serventois de Hue de La Ferté, Paulin Paris, Romancero françois, p. 188-189.

des ennemis du dedans et du dehors coalisés contre elle, et qui, par la paix conclue avec le comte de Toulouse, assura à l'autorité monarchique un agrandissement territorial égal à celui qu'avaient produit les conquêtes du grand roi Philippe-Auguste.

Blanche ne laissa à ses ennemis abaissés que ce qui est d'habitude la dernière consolation de l'envie impuissante la calomnie, après avoir été contre elle une machine de guerre inutile, devint la basse vengeance de leur orgueil humilié. L'organe le plus connu de ces rumeurs perfides fut un Anglais dont l'amour-propre national souffrait des triomphes de la France et de la sereine majesté du règne de saint Louis, pendant les déchirements de l'Angleterre sous la déplorable administration d'Henri III. Aujourd'hui encore, la grande et belle figure de la princesse espagnole (a), qui dut à l'amour conjugal et à l'amour maternel d'être la première de nos reines (b),

(a) Les ennemis de Blanche lui reprochaient son origine étrangère; ils l'accusaient d'envoyer en Espagne les trésors de la France:

Mout en envoie en Espaigne.

(Premier serventois de Hue de la Ferté, dans Paulin Paris, Romancero françois, p. 185. Voir aussi plus haut, page 243.) Ils s'indignaient de voir le roi leur préférer une Espagnole : Les barons desdaigne

Por la gent d'Espaigne.

(Troisième serventois de Hue de La Ferté, Paulin Paris, Romancero françois, p. 190.)

(b) Voir les deux passages de La chronique de Rains, cités par M. Paulin Paris, Romancero françois, p. 200-203. Ils se trouvent dans l'édition de M. L. Paris, p. 137-138, 198-199.

est poursuivie devant le tribunal de l'histoire par ces immondes ricanements dont, au XII° siècle, Mathieu Paris s'est fait le principal écho. Aucune protestation ne pourra leur imposer silence, car les misérables passions qui les ont inspirés auront toujours leur racine dans les bas instincts de l'homme; mais au moins il nous sera permis d'opposer notre dédain à ces méprisables insultes, et de penser que si, dans cette grande cause, nous ne pouvons espérer ici-bas la justice, c'est que ce monde n'est pas digne de nous la donner (a).

vantes.

(a) Voir Tillemont, Vie de saint Louis, III, 464-467; Paulin Paris, dans l'Hist. littéraire de la France, XXIII, p. 770 et suiOutre l'ouvrage de Mathieu Paris, un des documents le plus souvent cité est la Chronique rimée de Saint-Magloire dont l'auteur, après avoir parlé de Blanche et de Thibaut, ajoute : Maintes paroles en dist-an

Come d'Iseult et de Tristan.

(D. Bouquet, XXII, 83 E; Paulin Paris, Romancero françois, p. 180; Louis Paris, La chronique de Rains, p. 184; Histoire littéraire de la France, XXIII, 774). Nous avons trouvé deux fois, dans la collection des chansons de Thibaut, l'exemple des amours de Tristan cité comme type, ainsi que dans ces deux vers. Mais une des chansons qui donne lieu à cette remarque, c'est-à-dire la 59e de La Ravallière, et la 43e de Tarbé, a été, par erreur, attribuée à Thibaut par ces deux éditeurs: M. Paulin Paris (Hist. littéraire de la France, XXIII, 700) a prouvé qu'elle appartient à Raoul de Soissons. Quant aux vers suivants de la chanson 5o, édit. La Ravallière, qui est la 6 de l'édit. Tarbé, ils sont bien de Thibaut :

Douce dame, s'il vos plaisoit un soir,
M'averiez-vous plus de joie donée
Qu'onques Tristans, qui en fit son pooir,

Ne pot avoir nul jour de son aé (sa vie).

Il est probable que, dès le xe siècle, certaines personnes ont cru

Après la conclusion de la paix, Thibaut se rendit à Paris; mais, à son entrée dans la grande salle du palais, des gens du comte d'Artois, frère du roi, lui jetèrent au visage un fromage mou, dit un auteur; des tripes et des guenilles, suivant un autre écrivain. Pendant ce temps, la même valetaille lui coupait la queue de son cheval. Notre comte en fit sa plainte à Blanche et à saint Louis, qui ordonnèrent l'arrestation des coupables, en annonçant qu'ils seraient pendus; mais le comte d'Artois déclara qu'ils avaient agi d'après son ordre, et obtint leur liberté (a); et ces insultes restèrent sans vengeance.

N'onques mais n'oï-on parler
D'ensi roi et conte mener ;
Mais il estoit partout haïs,

Pour la mort del roi Loéïs,
Qu'il laissa devant Avignon,
Et pour le conte Felippron

De Boulougne, ki mors estoit,

Et disent qu'enpuisné (empoisonné) l'avoit (b).

Tel était le bruit public, et quelqu'injuste qu'il fût, Thibaut dut s'incliner devant lui. Il quitta Paris, alla s'embarquer à Nantes, dans les Etats et sous la protection de Pierre Mauclerc, beau-père de sa fille, et de là gagna la Navarre (c).

que cette offre de rendez-vous nocturne avait été adressée par Thibaut à Blanche. Mais on ne peut tirer contre notre thèse aucune conséquence de ce rapprochement.

(a) La chronique de Rains, édit. Louis Paris, p. 192; Philippe Mousket, vers 29160-29178, éd. Reiffenberg, II, 618.

(b) Philippe Mousket, vers 29188-29195, éd. Reiffenberg, II, 618-619.

(c) Philippe Mousket, vers 29178-29185, éd. Reiffenberg, II,

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