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Le jeune baron quitta donc la Champagne ; il alla, suivant l'usage, trouver Philippe-Auguste pour lui demander la permission de s'éloigner de France. Cette autorisation était nécessaire pour toute absence qui devait rendre impossible l'accomplissement du service féodal; mais, d'ordinaire, quand il s'agissait de croisade, le consentement du prince n'était jamais refusé. Philippe donna donc le sien; alors Erard prit la parole: «Le roi de Jérusalem est mon cousin ger» main,» dit-il, « peut-être voudra-t-il me donner en » mariage une des filles d'Henri, comte de Cham»pagne, mais je ne voudrais l'épouser qu'avec vo» tre assentiment. » « Ce ne sera pas moi qui ferai » votre mariage avec elle, » répondit le roi, « ce >> ne sera pas moi qui l'empêcherai, mais soyez cer»tain que je rendrai toujours justice à tous ceux » qui s'adresseront à mon tribunal. » Erard remercia le monarque et alla s'occuper des préparatifs de son départ.

Cette conversation fut rapportée à Blanche qui recourut d'abord à la persuasion pour détourner Erard de ce projet; elle lui envoya Gui de Dampierre (a), connétable de Champagne, et d'autres barons qui lui représentèrent qu'un vassal ne pouvait pas, sans manquer à ses engagements,

(a) Gui II de Dampierre, celui des membres de cette illustre maison qui, par son mariage avec Mathilde, fille d'Archambaut VIII de Bourbon, fit entrer la seigneurie de Bourbon dans sa famille. Il est parlé de lui avec détail dans l'Art de vérifier les dutes, II, 413, col. 1. article de Mathilde de Bourbon, mais l'auteur de cet article ne savait pas que c'était de Dampierre de l'Aube que Gui de Dampierre tirait son nom.

tenir une conduite aussi contraire aux intérêts de sa dame. Le jeune ambitieux fit une réponse évasive, laissa croire qu'il renonçait à son entreprise, acheva ses préparatifs et se mit en route, juin (?) 1213. Au même moment, Blanche détrompée lui notifia qu'elle ne le tenait plus pour son homme, et, sans s'inquiéter des privilèges des croisés, prétextant qu'il était débiteur de ses Juifs, elle fit saisir les fiefs qu'il tenait d'elle (a). Elle chercha même à le retenir par la force. Arrivé à Marseille, Erard y trouva Lambert de Châtillon, porteur de lettres de la comtesse, et, sur le vu de ces lettres, il fut arrêté comme voleur. Nous ne savons pas combien de temps sa captivité dura, mais elle put être longue, et, une fois libre, il fut suivi en Terre-Sainte par Lambert de Châtillon, chargé de semer des entraves sur la route (1295), et qui, en récompense de ses services outre-mer, reçut plus tard, en don, de Thibaut IV, des biens à Rizaucourt et la place où l'on vendait les courroies à Barsur-Aube (1021).

Ne pouvant retenir son adversaire en France, Blanche fit mouvoir d'autres ressorts, et, pour empêcher le mariage projeté, eut recours à l'autorité ecclésiastique dont elle savait que l'appui lui était assuré. Robert, légat du Saint-Siége en France, fit, à sa demande, une enquête sur la question de savoir si Philippine et son prétendant n'étaient point

(a) On peut supposer que les agents chargés par Blanche d'exécuter cette saisie furent traduits par Erard devant la juridiction ecclésiastique, et que la bulle analysée sous le n° 825 fut l'arme dont Blanche se servit pour repousser cette action (voir aussi le no 831), août et octobre 1213.

parents à degré prohibé. Cette enquête, exécutée en juillet et août 1213, par le légat en personne et par les abbés de Montiéramey, de Quincy, de Vauluisant et de Prully, commissaires délégués par lui, établit que, par Alix de Venisy, sa mère, Erard de Brienne était arrière-petit-fils de Fleuri, frère du roi Louis-le-Gros, et qu'Henri II, comte de Champagne, père de Philippine, était, par Marie, sa mère, arrière-petit-fils de Louis-le-Gros. Par conséquent, Erard et Philippine étaient parents au neuvième degré, suivant notre manière de compter (824, 826, 827). Blanche envoya cette enquête au pape Innocent III qui, par bulles datées du 16 décembre de la même année, donna au patriarche de Jérusalem Albert, à l'archevêque de Tyr, aux évêques de Soissons, de Châlons et au doyen de Soissons ordre de s'opposer, par l'emploi des peines canoniques, au mariage projeté entre Erard et Philippine (841, 842).

La bulle adressée par le pape au patriarche de Jérusalem et à l'archevêque de Tyr précéda en Orient Erard de Brienne ou y arriva en même temps que lui : les deux prélats lui notifièrent la décision pontificale (850) bis (a), et l'archevêque de Tyr alla luimême en donner communication à Philippine qui se

(a) Des pièces que nous avons cotées 841, 850, 850 bis, il résulte qu'une bulle datée du 16 décembre 1213 est arrivée à Acre avant le décès du patriarche Albert, et que le décès de ce patriarche était connu à Rome le 20 février 1214. Il est donc probable que ce patriarche mourut au mois de janvier 1214 et non le 13 septembre de cette année, comme on a dit jusqu'ici. Il est également probable que l'arrivée d'Erard de Brienne au port d'Acre aura eu lieu en janvier 1214.

trouvait au château d'Acre (852) sous la garde du roi de Jérusalem, son beau-frère. Le patriarche mourut quelques jours après (janvier 1214). Innocent III, craignant qu'Albert n'eût pas eu le temps d'exécuter ses ordres, écrivit le 20 février, à Raoul, patriarche nouvellement élu, pour lui demander ce qu'il en était (850), et, afin qu'il fût plus difficile de contrevenir à cette prohibition, il adressa le même jour une bulle à l'archevêque de Césarée, au prieur du Saint-Sépulcre et au chantre d'Acre pour les inviter à faire publier, dans les églises du pays, que la célébration du mariage projeté entre Erard de Brienne et Philippine était défendue sous peine d'excommucation (851). Cette bulle ainsi promulguée était censée connue de tous en Orient; par conséquent, la peine de l'excommunication édictée par elle devait atteindre quiconque prêterait aide à Erard dans l'accomplissement de ses projets. Mais un jour où le roi et le patriarche de Jérusalem étaient absents d'Acre, Philippine s'échappa secrètement du château et vint trouver Erard dans son ostel. Celui-ci l'épousa le lendemain au point du jour. Philippine pouvait avoir environ dixhuit ans (a). Quand le roi Jean reçut cette nouvelle, il revint dans Acre et témoigna un vif mécontente

(a) Elle avait dû naître en 1193 au plus tôt, puisqu'elle était la troisième fille d'Henri II, marié en 1192; elle était née en 1198 au plus tard; et son mariage eut lieu au commencement de l'année 1215, il n'était pas encore connu en France au mois de mars de cette année, date d'une lettre de Louis VIII, qui invite Jean de Brienne à s'y opposer (907). Suivant le père Anselme, Histoire généalogique, VI, 140, Erard de Brienne, avant de devenir le mari de Philippine, aurait épousé, en premières noces,

ment. Mais ses sujets ne paraissent pas l'avoir pris au sérieux; on savait tout l'intérêt qu'il portait à son cousin, et la colère qu'il feignait s'expliquait par la crainte d'être accusé de connivence avec lui par le pape et par la comtesse de Champagne dont il était vassal (a). On était alors en 1215, vers le mois de mars ou d'avril.

Une lettre de Geofroi, trésorier du Temple, prévint aussitôt Innocent de l'acte de désobéissance par lequel Erard et Philippine s'étaient mis en révolte contre l'autorité de l'Eglise (852) (b).

Erard s'embarqua pour la France vers le milieu

Elisende, comtesse du Perche, et nous croyons que c'est une erreur. Elisende, comtesse du Perche, était fille de Hugues II, comte de Rethel; elle épousa d'abord Thomas, comte du Perche, qui périt le 20 mai 1217, et ensuite Garnier de Toiange (lisez Traînel), seigneur de Marigny (Art de vérifier les dates, II, 633, col. 1 et 884, col. 2). Si donc, avant d'épouser Philippine, Erard de Brienne a eu une autre femme, il est peu probable que cette femme ait été Elisende, comtesse du Perche.

(a) L'Estoire de Eracles, empereur, livre XXXI, chap. 8, ap. Hist. occidentaux des Croisades, II, 319-320. Voir aussi les bulles d'Innocent III, analysées sous les nos 922, 938-941.

(b) On remarquera que le mariage d'Erard et de Philippine, défendu avant sa célébration, ne fut pas attaqué depuis. En effet, la législation ecclésiastique sur les empêchements au mariage causés par la parenté, fut complètement changée en 1215, c'est-à-dire, cette année même, par le quatrième concile général de Latran, qui donna pour limite extrême à la prohibition le quatrième degré suivant la manière de compter du droit canonique, c'est-à-dire le huitième degré suivant le droit civil. Erard et Philippine, étant pa rents au neuvième degré, cette législation nouvelle rendait leur mariage licite. (Décrétales de Grégoire IX, liv. IV, titre XIV, chap.

VIII et IX.

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