Je suivais le métier qu'avait prís ma famille; L'astre mystérieux qui sur nos têtes brille Voyait seul quelquefois tomber mes pleurs amers Au sein des flots sans borne et des profondes mers; Mais c'était tout. D'ailleurs je vivais seul, tranquille, Couchant où je pouvais, rarement à la ville. Mon père, cependant, qui, pour un batelier, Était fier, m'avait fait d'abord étudier; Je savais le toscan, et j'allais à l'église ; Ainsi dès ce temps-là je connaissais Venise.
Un soir, un grand seigneur, Michel Gianinetto, Pour donner un concert me loua mon bateau. Sa maîtresse (c'était, je crois, la Muranese) Y vint seule avec lui; la mer était mauvaise; Au bout d'une heure au plus, un orage éclata. Elle, comme un enfant qu'elle était, se jeta Dans mes bras, effrayée, et me serra contre elle. Vous savez son histoire, et comme elle était belle; Je n'avais jusqu'alors rien rêvé de pareil,
Et de cette nuit-là je perdis le sommeil.
L'étranger, à ces mots, parut reprendre haleine, Puis, Portia l'écoutant et respirant à peine, Il poursuivit :
Venise! ô perfide cité,
A qui le ciel donna la fatale beauté,
Je respirai cet air dont l'âme est amollic,
Et dont ton souffle impur empesta l'Italie!
Pauvre et pieds nus, la nuit j'errais sous tes palais. Je regardais tes grands, qu'un peuple de valets Entoure, et rend pareils à des paralytiques; Tes nobles arrogants, et tous tes Magnifiques Dont l'ombre est saluée, et dont aucun ne dort Que sous un toit de marbre et sur un pavé d'or.
Je n'étais cependant qu'un pêcheur; mais, aux fêtes Quand j'allais au théâtre écouter les poëtes,
Je revenais le cœur plein de haine, et navré. Je lisais, je cherchais; c'est ainsi, par degré, Que je chassais, Portia, comme une ombre légère, L'amour de l'Océan, ma richesse première.
Je vous vis, je vendis ma barque et mes filets. Je ne sais pas pourquoi, ni ce que je voulais, Pourtant je les vendis. C'était ce que sur terre J'avais pour tout trésor, ou pour toute misère. Je me mis à courir, emportant en chemin Tout mon bien, qui tenait dans le creux de ma main. Las de marcher bientôt, je m'assis, triste et morne Au fond d'un carrefour, sur le coin d'une borne. J'avais vu par hasard, auprès d'un mauvais lieu De la place Saint-Marc, une maison de jeu. J'y courus. Je vidai ma main sur une table, Puis, muet, attendant l'arrêt inévitable, Je demeurai debout: Ayant gagné d'abord, Je résolus de suivre et de tenter le sort. Mais pourquoi vous parler de cette nuit terrible? Toute une nuit, Portia, le démon invincible Me cloua sur la place, et je vis devant moi Pièce à pièce tomber la fortune d'un roi. Ainsi je demeurai, songeant au fond de l'âme, Chaque fois qu'en criant tournait la roue infâme, Que la mer était proche, et qu'à me recevoir Serait toujours tout prêt ce lit profond et noir. Le banquier cependant, voyant son coffre vide, Me dit que c'était tout. Chacun d'un œil avide Suivait mes mouvements; je tendis mon manteau. On me jeta dedans la valeur d'un château,
Et la corruption de trente courtisanes.
Je sortis. Je restai trois jours sous les platanes
Où je vous avais vue, ayant pour tout espoir,
Quand vous y passeriez, d'attendre et de vous voir.
Tout le reste est connu de vous.
Dit l'enfant, est-ce là tout ce qui vous chagrine? Quoi de n'être pas noble? Est-ce que vous croyez Que je vous aimerais plus, quand vous le seriez? Silence! dit Dalti, vous n'êtes que la femme Du pêcheur Zoppieri; non, sur ma foi, madame, Rien de plus.
Vous dis-je; ils sont partis comme ils étaient venus, Ces biens. Ce fut hier la dernière journée
Où j'ai (pour vous du moins) tenté la destinée.
J'ai perdu; voyez donc ce que vous décidez.
-Tout, sur trois coups de dés; Tout, jusqu'à mon palais, cette barque exceptée, Que j'ai depuis longtemps en secret rachetée. Maudissez-moi, Portia; mais je ne ferai pas, Sur mon âme, un effort pour retenir vos pas. Pourquoi je vous ai prise, et sans remords menée Au point de partager ainsi ma destinée, Ne le demandez pas. Je l'ai fait, c'est assez. Vous pouvez me quitter et partir; choisissez.
Portia, dès le berceau, d'amour environnée, Avait vécu comtesse ainsi qu'elle était née. Jeune, passant sa vie au milieu des plaisirs, Elle avait de bonne heure épuisé les désirs, Ignorant le besoin, et jamais, sur la terre, Sinon pour l'adoucir, n'ayant vu de misère. Son père, déjà vieux, riche et noble seigneur,
Quoiqu'avare, l'aimait, et n'avait de bonheur Qu'à la voir admirer, et quand on disait d'elle Qu'étant la plus heureuse, elle était la plus belle. Car tout lui souriait, et même son époux, Onorio, n'avait plié les deux genoux
Que devant elle et Dieu. Cependant, en silence, Comme Dalti parlait, sur l'Océan immense Longtemps elle sembla porter ses yeux errants. L'horizon était vide, et les flots transparents Ne reflétaient au loin, sur leur abîme sombre, Que l'astre au pâle front qui s'y mirait dans l'ombre. Dalti la regardait, mais sans dire un seul mot.
Avait-elle hésité? Je ne sais; mais bientôt, Comme une tendre fleur que le vent déracine, Faible, et qui lentement sur sa lige s'incline, Telle elle détourna la tête, et lentement S'inclina toute en pleurs jusqu'à son jeune amant. - Songez bien, dit Dalti, que je ne suis, comtesse, Qu'un pêcheur; que demain, qu'après, et que sans cesse Je serai ce pêcheur. Songez bien que tous deux, Avant qu'il soit longtemps, nous allons être vieux. Que je mourrai peut-être avant vous.
Les amants, dit Portia; nous partirons ensemble. Ton ange en t'emportant me prendra dans ses bras.
Mais le pêcheur se tut, car il ne croyait pas.
Allons, bel oiseau bleu, chantez la romance à madame.
Avez-vous vu, dans Barcelone, Une Andalouse au sein bruni? Pâle comme un beau soir d'automne! C'est ma maîtresse, ma lionne! La marquesa d'Amaëgui.
J'ai fait bien des chansons pour Je me suis battu bien souvent. Bien souvent j'ai fait sentinelle, Pour voir le coin de sa prunelle, Quand son rideau tremblait au vent.
Elle est à moi, moi seul au monde. Ses grands sourcils noirs sont à moi, Son corps souple et sa jambe ronde, Sa chevelure qui l'inonde,
Plus longue qu'un manteau de roi!
C'est à moi son beau col qui penche Quand elle dort dans son boudoir,
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