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C'est une dure loi, mais une loi suprême,
Vieille comme le monde et la fatalité,

Qu'il nous faut du malheur recevoir le baptême,
Et qu'à ce triste prix tout doit être acheté.

Les moissons, pour mûrir, ont besoin de rosée ;

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Pour vivre et pour sentir, l'homme a besoin des pleurs;

La joie a pour symbole une plante brisée,
Humide encor de pluie et couverte de fleurs.

Ne te disais-tu pas guéri de ta folie?

N'es-tu pas jeune, heureux, partout le bienvenu,
Et ces plaisirs légers qui font aimer la vie,
Si tu n'avais pleuré, quel cas en ferais-tu?
Lorsqu'au déclin du jour, assis sur la bruyère,
Avec un vieil ami tu bois en liberté,

Dis-moi, d'aussi bon cœur lèverais-tu ton verre,
Si tu n'avais senti le prix de la gaîté?

Aimerais-tu les fleurs, les prés et la verdure,

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Les sonnets de Pétrarque 12 et le chant des oiseaux,
Michel-Ange et les arts, Shakspeare et la nature,
Si tu n'y retrouvais quelques anciens sanglots?
Comprendrais-tu des cieux l'ineffable harmonie,
Le silence des nuits, le murmure des flots,
Si quelque part là-bas la fièvre et l'insomnie
Ne t'avaient fait songer à l'éternel repos?
N'as-tu pas maintenant une belle maîtresse?
Et, lorsqu'en t'endormant, tu lui serres la main,
Le lointain souvenir des maux de ta jeunesse
Ne rend-il pas plus doux son sourire divin?
N'allez-vous pas aussi vous promener ensemble
Au fond des bois fleuris, sur le sable argentin?
Et, dans ce vert palais, le blanc spectre du tremble
Ne sait-il plus, le soir, vous montrer le chemin?
Ne vois-tu pas alors, aux rayons de la lune,

Plier comme autrefois un beau corps dans tes bras?

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Et, si dans le sentier tu trouvais la Fortune,
Derrière elle, en chantant, ne marcherais-tu pas ?
De quoi te plains-tu donc? L'immortelle espérance
S'est retrempée en toi sous la main du malheur.
Pourquoi veux-tu haïr ta jeune expérience,

Et détester un mal qui t'a rendu meilleur?
Ô mon enfant! plains-la, cette belle infidèle,
Qui fit couler jadis les larmes de tes yeux;

Plains-la! c'est une femme, et Dieu t'a fait, près d'elle,
Deviner, en souffrant, le secret des heureux.

Sa tâche fut pénible; elle t'aimait peut-être ;
Mais le destin voulait qu'elle brisât ton cœur.
Elle savait la vie, et te l'a fait connaître ;

Une autre a recueilli le fruit de ta douleur.

Plains-la! son triste amour a passé comme un songe;
Elle a vu ta blessure et n'a pu la fermer.

Dans ses larmes, crois-moi, tout n'était pas mensonge.
Quand tout l'aurait été, plains-la! tu sais aimer.

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LE POÈTE.

Tu dis vrai la haine est impie,
Et c'est un frisson plein d'horreur,
Quand cette vipère assoupie 13
Se déroule dans notre cœur.
Écoute-moi donc, ô déesse!

Et sois témoin de mon serment:
Par les yeux bleus de ma maîtresse,
Et par l'azur du firmament;
Par cette étincelle brillante
Qui de Vénus porte le nom,
Et, comme une perle tremblante,
Scintille au loin sur l'horizon;
Par la grandeur de la nature,

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Par les forêts, par les prés verts,
Par la puissance de la vie,
Par la sève de l'univers,1
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Je te bannis de ma mémoire,
Reste d'un amour insensé,
Mystérieuse et sombre histoire
Qui dormiras dans le passé!
Et toi qui, jadis, d'une amie
Portas la forme et le doux nom,
L'instant suprême où je t'oublie
Doit être celui du pardon.

Pardonnons-nous; — je romps le charme
Qui nous unissait devant Dieu.
Avec une dernière larme

Reçois un éternel adieu.

-Et maintenant, blonde rêveuse,

Maintenant, Muse, à nos amours!
Dis-moi quelque chanson joyeuse,

Comme au premier temps des beaux jours.
Déjà la pelouse embaumée
Sent les approches du matin;
Viens éveiller ma bien-aimée
Et cueillir les fleurs du jardin.
Viens voir la nature immortelle
Sortir des voiles du sommeil ;
Nous allons renaître avec elle
Au premier rayon du soleil !

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L'ESPOIR EN DIEU.

TANT que mon faible cœur, encor plein de jeunesse,1
À ses illusions n'aura pas dit adieu,

Je voudrais m'en tenir à l'antique sagesse,
Qui du sobre Épicure2 a fait un demi-dieu.

Je voudrais vivre,3 aimer, m'accoutumer aux hommes,
Chercher un peu de joie, et n'y pas trop compter,
Faire ce qu'on a fait, être ce que nous sommes,
Et regarder le ciel sans m'en inquiéter.

Je ne puis;

malgré moi l'infini me tourmente.1
Je n'y saurais songer sans crainte et sans espoir;
Et, quoi qu'on en ait dit, ma raison s'épouvante
De ne pas le comprendre, et pourtant de le voir.
Qu'est-ce donc que ce monde, et qu'y venons-nous faire,
Si, pour qu'on vive en paix, il faut voiler les cieux?
Passer comme un troupeau les yeux fixés à terre,

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Et renier le reste, est-ce donc être heureux?

Non, c'est cesser d'être homme et dégrader son âme.
Dans la création le hasard m'a jeté ;

Heureux ou malheureux, je suis né d'une femme,

Et je ne puis m'enfuir hors de l'humanité.

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Que faire donc? "Jouis, dit la raison païenne;
Jouis et meurs ; les dieux ne songent qu'à dormir.
Espère seulement, répond la foi chrétienne;
Le ciel veille sans cesse, et tu ne peux mourir."
Entre ces deux chemins j'hésite et je m'arrête.
Je voudrais, à l'écart, suivre un plus doux sentier.
Il n'en existe pas, dit une voix secrète;

En présence du ciel il faut croire ou nier.

Je le pense en effet ; les âmes tourmentées

Dans l'un et l'autre excès se jettent tour à tour.

Mais les indifférents ne sont que des athées;
Ils ne dormiraient plus s'ils doutaient un seul jour.
Je me résigne donc, et puisque la matière
Me laisse dans le cœur un désir plein d'effroi,
Mes genous fléchiront; je veux croire, et j'espère.
Que vais-je devenir, et que veut-on de moi?

Me voilà dans les mains d'un Dieu plus redoutable
Que ne sont à la fois tous les maux d'ici-bas;
Me voilà seul, errant, fragile et misérable,
Sous les yeux d'un témoin1o qui ne me quitte pas.

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Il m'observe, il me suit. Si mon cœur bat trop vite,
J'offense sa grandeur et sa divinité.

Un gouffre est sous mes pas: si je m'y précipite,

Pour expier une heure, il faut l'éternité.

Mon juge est un bourreau qui trompe sa victime.

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Pour moi, tout devient piège et tout change de nom;
L'amour est un péché, le bonheur est un crime,

Et l'œuvre des sept jours n'est que tentation.

Je ne garde plus rien de la nature humaine;

Il n'existe pour moi ni vertu ni remord.
J'attends la récompense et j'évite la peine;

Mon seul guide est la peur, et mon seul but la mort.

On me dit cependant qu'une joie infinie

Attend quelques élus. - Où sont-ils, ces heureux?

Si vous m'avez trompé, me rendrez-vous la vie?
Si vous m'avez dit vrai, m'ouvrirez-vous les cieux?
Hélas! ce beau pays dont parlaient vos prophètes,
S'il existe là-haut, ce doit être un désert.
Vous les voulez trop purs, les heureux que vous faites,
Et quand leur joie arrive, ils en ont trop souffert.
Je suis seulement homme, et ne veux pas moins être,
Ni tenter davantage. - A quoi donc m'arrêter?

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