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à chaque système la part qui lui revient dans la manifestation des actes morbides; à l'un, la douleur et la contraction de la tunique musculaire; à l'autre, la suppression de la sécrétion intestinale et la constipation. M. Brachet remarque, en outre, que la constipation n'est pas le résultat de la douleur, et, s'appuyant sur sa longue expérience, il repousse cette manière de voir qui met l'effet avant la cause, puisque, le plus souvent, la constipation précède la douleur et qu'elle est considérée à bon droit, par plusieurs auteurs, comme un des signes précurseurs de la maladie, qui existe donc déjà, mais incomplète et n'intéressant encore que le système nerveux ganglionnaire.

Cette opinion sur le siége et le mode de production des accidents qui caractérisent l'affection saturnine, se rapproche, comme l'on voit, beaucoup de celle que nous avons essayé de faire prévaloir dans ce travail; seulement M. Brachet arrive à la localisation exclusive de cette maladie dans le système nerveux intestinal par les déductions et les exclusions d'une savante analyse de physiologie pathologique, tandis que nous parvenons au but en nous appuyant sur les phénomènes morbides bien établis de l'affection et sur les propriétés thérapeutiques connues du composé plombique, et cela sans faire intervenir le système nerveux qu'en ce qui est indispensable à la production de ces phénomènes morbides et thérapeutiques, étant bien persuadé d'ailleurs que les autres. tissus qui entrent dans la composition du tube intestinal (capillaires sanguins, vaisseaux lymphatiques, etc.) peuvent, chacun en ce qui les concerne, avoir une certaine part à cette production, soit directement, soit secondairement comme moyens indispensables d'action s'ils ne peuvent ressentir et agir par euxmêmes.

Cette manière différente d'envisager la localisation des accidents, entraîne aussi une différence dans la manière d'exprimer la nature de l'affection. Car, après être convenu qu'il sait bien ce que n'est pas la colique de plomb, mais qu'il ignore ce qu'elle est réellement, et après avoir rapporté tous les accidents au seul tissu nerveux, le savant physiologiste de Lyon est obligé de faire de cette maladie une névrose spéciale (1), ce qui a le grave inconvénient de préjuger ce qu'il avoue ne pas savoir; tandis que nous qui préférons les faits à leur interprétation, et qui considérons d'ailleurs les phénomènes intestinaux de la colique saturnine d'un point de vue plus élevé et plus général, ayant à suivre en même temps la production de ces accidents par quelques métaux autres que le plomb, nous poursuivons moins loin que M. Brachet la recherche de la nature de ces accidents, et, pour être sûr de rester dans le vrai, nous les caractérisons par le mot empoisonnement. De plus, comme cette affection comporte bien réellement et de l'aveu de tous les auteurs quelque chose de spécial (2),

(1) M. Brachet définit en effet la colique saturnine une névrose cérébro-ganglionnaire spéciale, produite par le plomb et fixée dans les organes de la digestion.

(2) Depuis Stoll, l'adjectif spécial, ou l'un de ses équivalants, est devenu inséparable de l'expression par laquelle chaque auteur traduit son opinion sur la nature de la colique saturnine. Pour Mérat, c'est une paralysie spécifique, pour M. Tanquerel, ce n'est pas une névralgic ordinaire (loc. cit., p. 534), pour M. Brachet, c'est une névrose spéciale, etc.

nous disons empoisonnement spécial, et nous plaçons tout naturellement ainsi la colique de plomb, dans le cadre nosologique, parmi les empoisonnements. En cela, nous ne faisons d'ailleurs que marcher sur les traces d'auteurs fort recommandables, MM. Roche, Sanson, Orfila et Valleix, entre autres.

Que cet empoisonnement se rapproche d'autres classes nosologiques, des névroses, par exemple, quant à l'essence même de sa nature, nous n'avons pas l'intention de le nier! On le démontrera peut-être plus tard et nous avons cherché à le faire pressentir plus haut; mais il faudrait une révolution si faible dans l'étude du système nerveux abdominal pour ébranler l'opinion qui considère la colique saturnine comme une névrose, qu'il nous semble imprudent de s'y arrêter dans l'état actuel de la science; d'autant que l'expression névrose a le grand inconvénient de ne rien exprimer du tout dans l'acception où on l'entend généralement et pourra, par conséquent, éloigner de la vérité les gens qui, n'ayant pas une connaissance suffisante du mode suivant lequel cette affection se produit, s'en tiendraient à l'idée qu'ils devront s'en faire quand on leur aura ́dit : C'est une névrose! c'est-à-dire une affection dont la physionomie est plus variable encore que celle du caméléon et dont les causes sont si nombreuses qu'on peut dire qu'elle n'en reconnaît aucune, parce qu'elle les reconnaît toutes !

Le mot empoisonnement n'a, selon nous, aucun de ces inconvénients; car, en le prononçant, nous indiquons bien manifestement l'action d'une substance délétère sur l'économie, après absorption de cette substance, et comme tout le monde sait que chaque empoisonnement a sa physionomie à part, on ne pourra pas s'en tenir à la généralité que comporte cette expression (surtout quand l'on aura dit empoisonnement spécial), et si l'on veut se faire une idée des accidents de cet empoisonnement, il faudra bien entrer dans les détails qui lui sont propres !

Ce que nous venons de dire de l'empoisonnement spécial du plomb, doit être appliqué à la plupart des empoisonnements, à celui par la strychnine entre autres, dont l'action porte presque entièrement sur le système nerveux, et que personne ne songe pourtant à considérer comme une névrose.

En résumé, arrêt des sécrétions séro-muqueuses, perversion de la contractilité de l'intestin, par suite constipation, tels sont les faits fondamentaux, irréfragables de la colique saturnine; tels sont aussi ceux dont nous chercherons la production par quelques métaux autres que le plomb.

DIAGNOSTIC.

Si chacun des signes de la colique de plomb, pris isolément, est insuffisant pour la caractériser, leur ensemble, au contraire, permet de la distinguer aisément de toutes les affections abdominales qui ont avec elle quelque ressemblance. Le diagnostic se fonde donc sur les commémoratifs, la coloration bleuâtre de la muqueuse buccale, le goût sucré et styptique accusé par le malade, et spécialement sur les douleurs abdominales vives, continues, mais devenant plus aiguës par accès ou crises, diminuant ou n'augmentant pas ou peu par la pression, accompagnées quelquefois de dureté et de dépression des pa

rois abdominales, souvent de vomissements, et généralement d'une constipation plus ou moins opiniâtre. Si à ces caractères on ajoute les éructations, l'anorexie, les douleurs diffuses aux extrémités, la lenteur et la dureté du pouls, le trouble vers les fonctions urinaires, enfin l'agitation, l'anxiété et le facies décomposé des malades, on aura la physionomie toute particulière et spéciale de l'intoxication que nous étudions.

En résumé donc, connaissance de la cause, constipation, douleurs abdominales très-aiguës, exacerbantes, vomissements bilieux, douleurs aux extrémités, tels sont les signes qui feront toujours reconnaître la colique de plomb.

Malgré les caractères très-tranchés de cette maladie, plusieurs des affections de la cavité abdominale ont avec elle des ressemblances nombreuses et doivent en être différenciées.

En première ligne se rangent naturellement les inflammations gastro-intestinales qu'on a coutume de décrire sous le nom de coliques métalliques et de désigner par le nom du métal qui leur a donné naissance.

Et d'abord, la colique de cuivre se caractérise par une douleur abdominale violente, continue avec rémission et augmentation à la pression, par le ballonnement du ventre, par une diarrhée glaireuse, verdâtre, quelquefois sanguinolente et souvent accompagnée d'épreintes, par la fréquence du pouls, par la marche régulière de la maladie et l'absence des rechutes. Les dents sont recouvertes d'une couche grise de sulfure de cuivre. Cette affection se montre chez les lapidaires, les monteurs et tourneurs en cuivre, les chaudronniers et les personnes qui prennent des aliments conservés dans des vases de cuivre mal étamés..

La colique de zinc se présente chez les ouvriers qui fondent ensemble du cuivre et du zinc. M. Blandet, qui l'attribue à la sublimation de ce dernier métal, lui assigne les caractères suivants : Pesanteur d'estomac, nausées et vomissements, mal de tête fixe et resserrement douloureux aux tempes, courbature générale, annihilation des forces, frisson prolongé, cauchemar et rèvasseries (1), bouffées de chaleur, puis sucurs d'abord froides et peu abondantes, enfin excessivement copieuses. Dès lors la maladie est jugée, et, le lendemain, il ne reste plus que de la lassitude.

M. Rebouleau, qui a eu occasion d'observer ces accidents chez les ouvriers d'une fonderie de laiton, aux environs de Paris, s'appesantit surtout sur les stades de frisson, chaleur et sueur que l'affection lui a toujours semblé parcourir, et l'assimile à un accès de fièvre intermittente régulière.

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Il n'y a dans tous ces phénomènes rien de comparable à la colique de plomb ; peut-être même serait-il convenable de ne pas les attribuer exclusivement au zinc. M. Blandet dit : « Quand on fond le cuivre seul, on n'observe rien de pareil, c'est donc à l'alliage du zinc qu'il faut les attribuer. » Cet argument serait sans réplique si l'alliage était pur, mais l'étain, le plomb, l'arsenic, ne manquent jamais d'être associés au zinc et au cuivre dans ces cas. Ils peuvent

(1) Les malades se croient gonflés.

donc concourir à la production des actes morbides. Est-il bien certain même que ces phénomènes soient le résultat d'une intoxication métallique, et, ne pourrait-on pas, avec autant de raison, les attribuer à l'action prolongée de la haute température nécessaire pour la fonte du laiton? Cette opinion est d'autant plus soutenable que, suivant M. Maumené (de Reims), on n'observe pas cette courbature dans les fonderies de zinc.

La durée des accidents ne va guère au delà de huit à dix heures, c'est-àdire depuis la cessation du travail jusqu'au lendemain matin, parce que, pendant le court espace de temps que dure l'opération de la fonte, le poison ne peut être absorbé qu'en faible quantité et que les sueurs abondantes qui terminent l'accès, suffisent sans doute à son élimination. Aussi la colique de zinc n'offre jamais de rechutes.

La colique mercurielle offre les signes distinctifs suivants : Dévoiement abondant, jaunâtre; douleurs de ventre obtuses, continues, augmentées par la pression; fièvre et cachexie mercurielle; saveur métallique; ptyalisme; tremblements, etc.

L'arsenic, la baryte, absorbés par n'importe quelle voie, produisent toujours, vers le tube digestif, les signes de l'ingestion des corrosifs, c'est-à-dire ceux d'une violente inflammation intestinale.

Toutes ces coliques métalliques que l'on s'évertue à décrire si minutieusement sont, en dernière analyse, l'expression d'un phénomène identique, l'inflammation de l'intestin par le métal. Elles doivent par conséquent être rayées du cadre nosologique et rapportées à la gastro-entérite dont elles ne sont que des formes à peine distinctes, quitte à consacrer un paragraphe à part, dans l'histoire de celle-ci, aux particularités remarquables de l'action de ces métaux sur l'organisme.

Ces coliques dites métalliques n'ont d'ailleurs aucune ressemblance avec l'intoxication lente, que l'on désigne sous le nom de colique de plomb. Elles en different moins par la nature des accidents que par la quantité du poison nécessaire à la production de ces divers états morbides, et par le mode de leur production. On comprendra toute l'importance de cette condition, si l'on veut bien se souvenir que le plomb lui-même peut donner lieu à l'inflammation du tube digestif s'il est ingéré à forte dose.

Est-ce à dire d'après cela que, placés dans les conditions les plus favorables au développement de la colique saturnine par les préparations de plomb, les autres métaux pourraient produire des phénomènes analogues aux accidents qui caractérisent la colique de plomb?

Nous croyons cette manifestation possible dans de certaines limites; nous devons même dire que notre conviction est entière à cet égard pour quelques composés métalliques non saturnins, et qu'elle est basée sur un certain nombre de faits bien observés dus à des auteurs dignes de foi, et sur des expériences régulières entreprises par nous dans le but de vérifier la valeur de cette théorie. Ces expériences paraissaient devoir confirmer pleinement nos prévisions; malheureusement, diverses circonstances indépendantes de notre volonté, nous

*ont forcé de les suspendre, et nous sommes privé de nous appuyer sur elles. Nous ne quitterons pourtant point ce sujet sans faire sentir son importance. H est impossible, en effet, d'étudier les circonstances infiniment variées au milieu desquelles la manifestation symptomatique connue sous le nom de colique saturnine, prend naissance sans être frappé de la légèreté avec laquelle les auteurs rapportent au plomb seul la production des accidents, lorsque le plus souvent ce métal est mélangé avec d'autres qui sont absorbés comme lui et sont peut-être moins innocents qu'on a l'air de le croire. L'action physiologique du plomb, comparée à celle des autres métaux, est-elle bien suffisamment connue pour lui faire aussi largement sa part? Et, au contraire, ne lui attribue-t-on pas journellement des accidents qu'il n'a pas dû produire seul, ou même à la production desquels il n'a pas concouru? C'est, imbu de ces idées, qu'il nous a paru intéressant de reviser la valeur de chacune des assertions émises par les auteurs touchant les intoxications métalliques; c'est surtout persuadé de la nécessité d'éviter les erreurs dans lesquelles on tombe continuellement à ce sujet, qu'il nous a semblé indispensable d'opérer toujours sur des préparations dont la composition chimique fût exactement connue, et de faire les expériences dans des circonstances telles que le composé du métal désigné pût seul intervenit dans la production des accidents. Telles sont donc les conditions dans lesquelles nous avions placé nos expériences dont le but était de faire respirer aux animaux un air saturé de poussières métalliques très-divisées, afin de nous assurer si ces préparations sont susceptibles de produire la constipation, par suite les douleurs exacerbantes et tous les autres phénomènes que l'on constate du côté du ventre dans la colique saturnine (1).

En attendant qu'il nous soit possible de reprendre ces expériences sur une plus large échelle et d'en varier suffisamment le mode pour les rendre concluantes, nous allons essayer de faire comprendre au lecteur que notre espérance de parvenir à ce résultat n'est point vaine, puisque le raisonnement, appuyé des acquisitions de la science, nous montre clairement la voie.

(1) Nous avons employé plusieurs moyens pour parvenir à ce but; entre autres nous avons essayé, avant même qu'on s'en fût servi pour faire respirer l'éther, une vessie attachée autour de la tête des chiens, des chats, des lapins, etc.; mais, outre que les chiens mordillent le sac pour s'en débarrasser et respirent mal les poussières métalliques mises dans son intérieur, que les chats déchirent la vessie avec leurs griffes et semblent des convulsionnaires quand on a trop solidement attaché l'appareil, nous avons constaté que nos animaux mangeaient les poussières métalliques plutôt qu'ils ne les respiraient, ce qui a fait échouer nos premières expériences, en déterminant une gastro-entérite. On se rendra facilement compte de ce résultat, si l'on a bien saisi ce que nous avons dit des divers modes d'absorption du composé saturnin, et l'on comprendra dès lors pourquoi, dans nos expériences, nous tenons surtout à faire respirer les poussières métalliques aux animaux. Le moyen qui nous a le mieux réussi, et que nous comptons employer de nouveau dès qu'il nous sera possible de reprendre cette série d'expériences, consiste en un tube de 0,05 à 0,05 centimètres de diamètre, adapté aux narines des animaux et séparé, dans sa longueur, en plusieurs compartiments par des toiles à sasser très-fines, entre lesquelles on met les poussières métalliques, qui ayant ainsi plusieurs sas à traverser, avec l'air, ne peuvent arriver aux organes respiratoires que dans un état de division extrême, ce qui, comme nous l'avons expliqué, est la condition la plus favorable à l'absorption et, par suite, au développement des accidents spéciaux que nous cherchons à produire.

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