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DE MÉDECINE,

DE CHIRURGIE ET DE PHARMACOLOGIE,

PUBLIÉ

Par la Société des Sciences Médicales et Naturelles

DE BRUXELLES,

SOUS LA DIRECTION D'UN COMITÉ

COMPOSÉ DE

MM. DIEUDONNÉ, D.-M., Rédacteur principal, Secrétaire de la Société, Membre du
Conseil central de salubrité publique et du Conseil supérieur d'hygiène, Secré-
taire de la Commission de statistique du Brabant, Correspondant de l'Académie
royale de médecine, etc., etc.

JOLY, D.-M., Médecin légiste attaché au parquet de la Cour de justice, à
Bruxelles, Secrétaire du Conseil central de salubrité publique, etc.;

LEROY, Pharmacien, Collaborateur au Journal de chimie médicale, de pharmacie
et de toxicologie de Paris, Membre de la Commission médicale de Bruxelles, du
Conseil central de salubrité publique, etc.;

MOUREMANS, D.-M., Membre du Conseil central de salubrité publique et de
plusieurs Sociétés savantes;

NOLLET, Professeur de physique à l'École militaire, Membre et Secrétaire du
Comité pour les affaires industrielles au Ministère de l'Intérieur, etc.;

PIGEOLET, D.-M., Bibliothécaire de la Société, Agrégé de l'Université de Bruxelles,
Membre de la Commission médicale de Bruxelles, et de plusieurs Sociétés sa-
vantes nationales et étrangères;

RIEKEN, D.-M., Médecin de S. M. le Roi des Belges, Membre correspondant
de l'Académie royale de médecine de Belgique et de plusieurs Académies et
Sociétés savantes régnicoles et étrangères.

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DE MÉDECINE.

(JANVIER 1850.)

1.- MÉMOIRES ET OBSERVATIONS.

RAPPORT SUR L'épidémie de choLÉRA DANS LA Commune d'HensiIES; par M. le docteur Devos.

L'intérêt de la science et de l'humanité souffrante m'a engagé à faire un aperçu général sur la marche et le caractère de la cruelle épidémie qui a moissonné les habitants de la petite commune d'Hensies, où le Gouvernement m'a envoyé pour porter des secours. Je suis heureux de pouvoir joindre les fruits de ma courte expérience, à toutes les lumières qui sont parvenues des différents endroits où le choléra a sévi, et contribuer ainsi, pour ma part, à éclairer le traitement si vague et si incertain qui a été mis en usage contre ce fléau capricieux et meurtrier. J'ai concurremment, avec mon collègue, fait des recherches minutieuses, j'ai puisé à toutes les sources qui se trouvaient à ma disposition pour avoir tous les renseignements relatifs à cette intéressante question; car notre arrivée trop tardive à Hensies nous mettait dans l'impossibilité de profiter des observations qui, recueillies dès le commencement de l'épidémie, nous auraient permis de dresser un tableau plus complet et émanant purement de nous.

Partout où nous nous sommes adressés, nous avons trouvé la cordialité la plus franche; les éclaircissements les plus lucides nous ont été procurés, et nous avons accueilli avec une entière confiance ceux émanant d'hommes que leur position, leurs devoirs mettaient à même d'en inspirer. Je citerai en première ligne M. le docteur Patle, médecin à Pommerœul. Qu'il me soit permis de signaler, en passant, de la part de ce médecin, un dévouement des plus rares et des plus désintéressés : jour et nuit, il était à la disposition des malheureux qui réclamaient ses soins avec une voix d'autant plus suppliante, qu'il n'y avait pas de médecin établi dans le village.

Les soins les plus paternels et les plus assidus ont constamment été donnés par notre estimable collègue, et s'il n'a point succombé, victime de sa profession, c'est qu'il existe une Providence pour les médecins, Providence secourable pour tous, mais surtout pour ceux qui se sacrifient pour leurs frères.

M. Rolland, bourgmestre d'Hensies, s'est aussi spécialement signalé dans ces tristes circonstances, et n'a pas peu contribué à nous fournir tous les documents dont nous avions besoin. Il en a été de même de M. le curé, dont l'abnégation mérite, à tous égards, les plus grands éloges,

Après avoir adressé mes faibles et justes éloges à ceux qui ont si bien mérité toute la reconnaissance et la vénération de la commune d'Hensies, qu'il me soit permis de revenir au sujet de ce Mémoire, que j'ai divisé en chapitres, afin d'en augmenter la lucidité.

1. Situation du village à l'arrivée des médecins militaires.

Lorsque nous arrivâmes à Hensies, le 15 juin, mon collègue M. Blariau, élève de l'université de Gand, et moi nous avons trouvé le village dans une situation assez satisfaisante. L'épidémie était décroissante après avoir fait des ravages considérables; sur 2,020 habitants, la mort en avait déjà moissonné 150 en peu de temps, car l'invasion du choléra à Hensies ne datait que du 18 mại. De cette époque à celle de notre arrivée, les malades étaient soignés par les médecins des villages environnants. MM. Patte de Pommerœul, Leroy de Crespin, le médecin d'Harchie et d'autres disputaient, à l'envi, des victimes à la mort; néanmoins, malgré leur bon vouloir, malgré les fatigues extraordinaires de ces Messieurs, les secours étaient insuffisants. La clientèle particulière de chacun d'eux, dans leur localité, réclamait à grands cris leur présence, et tous les efforts qu'ils ont faits n'ont pu empêcher une bonne partie des malades de mourir sans médecin et sans médicaments.

A peine arrivés dans le village, nous nous sommes partagé la localité, qui est d'une étendue de 965 hectares, plus deux hameaux qui en dépendent. A partir de cette époque tous les malades, au nombre de plus de 200, ont été visités par nous, une fois par jour; ceux qui étaient le plus dangereusement affectés, l'ont été deux, trois, quatre et même jusqu'à six fois, selon l'urgence, et nous avons eu le bonheur d'obtenir de notre vigilance les résultats les plus satisfaisants.

2. Causes et marche du fléau depuis son invasion.

Le 17 mai, le village était encore heureux et tranquille, il vivait dans son insouciance, dans sa gaieté habituelle, ne se doutant guère que la Mort avec sa faux implacable était à ses portes, et s'apprêtait à frapper fatalement une bonne partie de sa population.

Le 18, un haleur travaillant à Jemmapes où le choléra sévissait, tombe malade subitement; on le transporte chez lui à Hensies, et il succombe en 12 heures, avec tous les symptômes du choléra le plus intense. Son père, qui lui avait donné les soins les plus assidus, se sent atteint et succombe en peu de temps à la suite des plus affreuses souffrances. Deux de ses enfants se sentent également atteints, mais plus heureux que leur père, échappent à la maladie. Bientôt l'épidémie alteint les voisins qui deviennent promptement les victimes du fléau. Quatre autres habitants d'Hensies, demeurant dans le

voisinage des premiers, échappent. Ces trépas prématurés jetèrent une panique dans le village; la terreur régna parmi les habitants à un tel degré, que plusieurs d'entre eux quittèrent subitement leurs demeures et allèrent chercher dans les localités avoisinantes un refuge contre le fléau, ennemi mortel qui a fait déjà des victimes parmi leurs amis et leurs connaissances.

Le fils et la femme du haleur ci-dessus mentionné contractent la maladie et viennent mourir chez eux, près de l'abreuvoir, vaste mare d'eau croupissante, située au centre du village. A partir de ce moment le choléra se répand rapidement dans la rue des Chèvres, autour de l'abreuvoir, et dans la rue de Crespin; à 100 mètres dans les cinq rues aboutissant à l'abreuvoir, les 9/10 des malades ont succombé, tandis que dans les autres rues les 23 ont été guéris.

De nombreux pères de famille, des femmes, des filles, des enfants, tombent indistinctement sous l'arrêt fatal qui ne trouve qu'une trop prompte exécution. Plusieurs rues restent encore intactes, mais l'aveugle épidémie, jalouse de cette espèce de partialité, se jette avidement sur ceux qu'elle avait semblé épargner jusqu'à ce moment.

Les habitants de la rue du Calvaire comptent, bientôt également, un grand nombre de morts; dans les rues que je viens de nommer tous ceux qui sont alteints, à de rares exceptions près, tombent et meurent. Le choléra ne fait, pour ainsi dire, grâce à personne.

On comptait alors, dans la commune, plus de 350 malades; aussi l'administration d'Hensies fit-elle près du Gouvernement des démarches pour obtenir des secours plus actifs; ses démarches furent exaucées et le Gouvernement désigna des médecins militaires pour combattre la cruelle et inexorable épidémie qui dépeuplait effroyablement cette malheureuse contrée.

Notre arrivée dans la commune produisit les meilleurs effets; la confiance vint à renaître dans le cœur des habitants. Ils avaient du moins un secours prompt et assuré. Ils étaient sûrs d'avoir des médicaments dans les moments urgents; car, comme il n'y avait pas de pharmacien dans le village, nous nous sommes vus forcés de parcourir les campagnes, la pharmacie sur le dos, afin d'administrer des médicaments à ceux qui étaient le plus dangereusement affectés et qui réclamaient des soins immédiats; les autres, qui avaient le temps d'attendre, étaient envoyés à Pommerceul, où, sur une recette délivrée au nom du Bureau de bienfaisance, ils recevaient les médicaments que leur état exigeait.

3. Mortalité depuis l'invasion du choléra le 18 mai jusqu'au 19 juillet. A partir de notre arrivée, la mortalité diminua considérablement: des paroles d'encouragement, des consolations, des soins assidus et vigilants tant pendant le jour que pendant la nuit, rassurèrent bientôt une quantité de personnes qui, jusqu'à ce moment, terrifiées, perdaient l'appétit et le sommeil, et étaient, pour cette raison, prédisposées à contracter la maladie régnante. Je crois que c'est ici le moment de donner en abrégé la marche croissante

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