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tion se fait assez facilement. Un régime tonique, du vin de quinquina, le soir une faible dose de morphine; 4 centigramme tout au plus, suffit pour donner une nuit relativement calme. Il est presque inutile de mentionner l'application constante de cataplasmes, et les soins minutieux, hygiéniques, dont le défaut tue si souvent dans les suppurations chroniques.

29 février. A côté de l'ouverture faite, s'en forme une trèspetite spontanément, la partie antérieure de la voussure s'est affaissée; la peau y devient molle, presque normale, mais à l'angle de la huitième à la dixième côtes, les douleurs deviennent lancinantes, violentes, et la voussure y augmente considérablement. L'urine, claire le jour, dépose le soir; les sueurs, nocturnes diminuent. Il est à remarquer que l'ouverture spontanée laisse écouler une grande quantité de pus, mais la cavité à laquelle elle correspond ne communique pas avec l'ouverture artificielle. D'un autre côté, la pression exercée à gauche ne diminue pas, par un écoulement plus fort, le pus accumulé à droite. Il existe donc au moins trois abcès bien distincts jusqu'à présent dans le parenchyme de la rate.

Le 4 mars, la douleur considérable à la partie postérieure m'obligea à établir une troisième ouverture, par laquelle j'évacuai une quantité considérable d'un pus jaune. Les cellules à granules (muriformes), des cristaux d'hématoïdine et de leucine (?) y existent en grande quantité. Avec l'écoulement plus abondant par les trois ouvertures, le sommeil et l'appétit reviennent; les douleurs diminuent. Tout le traitement consistait maintenant à provoquer l'évacuation complète par des cataplasmes constamment renouvelés, et à réparer par des médicaments toniques et une forte alimentation, facile à digérer, les pertes énormes de substances albuminoïdes que la malade éprouvait journellement, avec la quantité considérable de pus.

Le 10 mars, je remarquai, pour la première fois, une dimi

nution considérable dans le nombre des cellules à pigment et à globules rouges du pus sorti de la dernière ouverture, et la malade pouvait faire quelques pas dans la chambre. Des bourgeons très-vasculaires sortent en abondance et nécessitèrent la ligature ou la cautérisation, les règles se montrent, avec un retard de trois semaines seulement, le 23 mars. La fièvre disparait presque entièrement. Le 31, de nouvelles douleurs se manifestent; une quatrième ouverture se forme spontanément qui donne issue à un pus d'une odeur désagréable. Le 14 avril, le pouls est de 84; les cellules muriformes diminuent encore en nombre; ce qui m'a frappé dans les cellules de pus, c'est l'absence fréquente de noyaux, et leur remplacement par des globules de graisse; en général, leur. ressemblance avec des formes analogues qu'on trouve à côté des cellules à noyaux dans la pulpe de la rate est frappante. Très-souvent, à cette époque, de petites hémorrhagies ont lieu par les ouvertures, et les cellules à globules rouges se trouvent encore quelquefois mêlés au pus, qui renferme encore des amas de cristaux de leucine (?) solubles dans l'acide nitrique. Les règles reparaissent le 17 avril. Au commencement de mai, les évacuations alvines qui jusque-là avaient dù être provoquées par des lavements pour épargner les forces et éviter les douleurs, deviennent spontanées et faciles. Le 13 mai peut être considéré comme le commencement de la convalescence, la malade peut, pour la première fois depuis son arrivée de Paris, sortir en voiture; la voussure a disparu; la sécrétion du pus continue modérément; il renferme encore quelques cellules à globules rouges et des cellules muriformes avec des cristaux de leucine. Pendant le cours du mois de juin jusqu'au 12 septembre, les ouvertures spontanées de la tumeur et celles résultant de la dernière ponction sont complètement cicatrisées, mais de l'ouverture résultant de l'incision, réduite à la grandeur d'une noisette, s'écoulent

encore, jusqu'au 18 décembre, quelques gouttes de pus, qui disparurent également. La santé de Mme N... était bonne, et la maladie pouvait être considérée comme terminée, après une suppuration de la rate qui avait duré près d'un an. Il restait seulement un léger suintement de l'ouverture de l'incision à des intervalles longs et irréguliers. Toutes les forces revenaient. La marche, d'abord un peu pénible, devint normale, et peu à peu toute l'apparence de la santé. Cependant, la malade éprouvait quelquefois des douleurs sourdes à l'hypochondre gauche. Après sept ans, en 1863, au mois de novembre, Mme N... fut subitement prise de fièvre, de douleurs violentes dans l'hypochondre gauche et dans le dos, et il s'écoula un pus d'une odeur désagréable, riche en graisse, par la cicatrice de l'incision mentionnée plus haut, qui devenait plus abondant par la pression de bas en haut. Le pus renfermait encore des cellules muriformes en quantité considérable, mais plus de cellules à globules rouges. M. De Roubaix, que je priai de voir la malade avec moi, conseillait l'établissement d'une contre-ouverture inférieure, et la section des brides, que nous pouvions constater dans le sac, formé, sans doute, par la membrane propre et épaissie de la rate. L'effet de l'opération, faite avec beaucoup de soin par M. De Roubaix, un peu au-dessous de la dixième côte, environ vers le point où la partie osseuse de la côte se réunit à son cartilage, fut immédiat; le pus s'écoulant en abondance par la nouvelle ouverture inférieure, et un jour il contenait un fragment d'artère, rempli d'un caillot sanguin, de 5 millimètres de longueur et 2 1/2 millimètres de largeur. Peu à peu le sac se contractait complètement. Vers la fin de février 1864, la cicatrisation des deux ouvertures était complète, et la percussion constata, à l'état de jeune, facilement l'impossibilité de découvrir par ce moyen la présence de la rate qui, probablement, est réduite à un sac oblitéré. Une cica

trice longue de 9 centimètres environ se trouve entre la neuvième et la dixième côtes. Depuis cette époque, Mme N... a joui d'une très-bonne santé; toutes les fonctions sont régulières. La menstruation est devenue irrégulière, il y a quelques années, quelquefois très-abondante. Des moyens très-simples (injection d'eau et de tannin) suffirent pour arrêter de véritables hémorrhagies utérines pour lesquelles l'examen au spéculum ne me faisait découvrir aucune cause organique. Les règles n'ont pas encore tout à fait disparu (1870). Elles ne paraissent cependant qu'à des intervalles de deux ou trois. mois. Peut-être cette disparition tardive (chez une personne qui a maintenant 52 ans et qui a été mariée à 17 ans) estelle en rapport avec la disparition de la rate. Le sang ne présente rien de remarquable dans le rapport du nombre des globules blancs et rouges; le pouls a cependant conservé une assez grande faiblesse. Aucun suintement n'ayant plus lieu depuis 1864 dans les cicatrices, on peut considérer les suppurations de la rate comme complètement guéries.

Les abcès primitifs de la rate sont très-rares. Ce qui est plus rare encore, c'est leur guérison (1). Le microscope nous a été très-utile, non-seulement pour la détermination de l'opération, mais encore, dans le courant de cette longue maladie, quand les bourgeons, semblables à des champignons, sortaient de la plaie et donnaient lieu à des hémorrhagies fréquentes. Je n'aurais pas fait cette remarque, si dernièrement un célèbre chirurgien de Paris n'avait pas jeté dans un journal, plus spirituel que sérieux, une boutade contre le microscope. Sans doute, grâce à des observations mal interprétées, on a formé quelquefois des théories hasardées. C'est ainsi qu'après avoir admis la nais

(1) Heusinger. Entzuendung und vergræsserung der Milz. Eisenach, 1820, et Nachtraege, 1823. HEINRICH. Krankheiten der Milz. Leipzig, 1847. CruVEILHIER. Atlas, liv. II. ROKITANSKI. Pathol. anat., III, p. 300. GLUGE. Atlas, liv. V.

sance du globule de pus dans un blastème libre que j'enseigne depuis trente ans, on a trouvé (Remak) que toute cellule nait d'une cellule, que les globules du pus ne peuvent naitre que dans les cellules existantes, jusqu'au moment où un troisième observateur croit avoir vu les globules blancs quitter les vaisseaux capillaires et veineux dans l'inflammation. Et ceux qui ne croiraient pas dorénavant que les globules de pus émigrent des vaisseaux pour se réunir, comme un corps d'armée, où la formation d'un abcès les appelle (1), risquent d'être regardés comme les retardataires de la science (2). C'est ainsi encore qu'on a admis prématurément l'inoculabilité des tubercules (3), la séparation de la pneumonie caséeuse des tubercules, sans dire, bien entendu, à quelle espèce de fromage on voulait assimiler

(1) J'ai vu comme d'autres, il y a longtemps, l'accumulation des globules blancs dans les vaisseaux; si la circulation se ralentit ou s'arrête, mais je ne suis jamais parvenu à observer leur émigration à travers les parois intactes des vaisseaux. Voir BALOGH dans Virchow's Archiv, vol. XLV; et FELTZ dans le Journal de physiologie de Robin, janvier 1870.

(2) M. le docteur Delstanche a eu l'obligeance de m'envoyer dernièrement le cœur hypertrophié d'un soldat, qui avait succombé à la prison des PetitsCarmes. Le foie et la rate étaient considérablement hypertrophiés, le premier présentait à un haut degré la dégénérescence graisseuse des cellules. Le cœur, d'un poids de 380 grammes, renfermait dans le ventricule gauche, surtout près de la pointe, des kystes en grand nombre, connus sous le nom de végétations globuleuses; le liquide grisâtre enfermé dans ces kystes était du pus véritable, composé de cellules à plusieurs poyaux et innombrables auxquelles étaient mêlés quelques rares globules décolorés, de la forme d'un disque. Il est évident que les leucocy'es n'auraient pu pénétrer à travers la paroi très-épaisse de fibrine de ces kystes, et les globules de pus se sont formés par multiplication de leucocytes du caillot, qui a donné origine aux kystes, ou ils sont nés librement dans le caillot sanguin enfermé et métamorphosé dans les kystes. Du reste, la formation du pus dans ces kystes (dont Laennec a déjà parfaitement décrit le développement successif par les caillots sanguins) se rattache à la transformation du sang coagulé en pus dans les veines, que j'ai décrit dans mon Atlas d'anatomie patholcgique, liv. XX. Le malade avait eu de l'albumine dans l'urine, de l'œdème et une pleuropneumonie, un érysipèle phlegmoneux de la cuisse et un abcès dans le bassin et dans le cerveau.

(3) Je croyais avoir observé, il y a de longues années, que la matière cancéreuse pouvait s'inoculer sur des lapins; je revenais plus tard de mon erreur en constatant des tumeurs identiques dans différents organes par l'irritation mécanique de boules de charpie fixées sous la peau.

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