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s'est borné, jusque maintenant, aux régions métatarsiennes et aux orteils. Cette masse informe et gangrenée répand une odeur fétide; il s'en écoule une sanie abondante qui empeste la salle.

Malgré ces graves lésions et une douleur assez vive, l'état général est bon, la blessée a de l'appétit et pas de fièvre.

Il est difficile de se rendre parfaitement compte de la cause de ces lésions si diverses d'aspect. La région métalarsienne et les orteils ont été saisis et broyés par les roues de l'engrenage, mais le tarse, simplemement dénudé de sa peau, sans qu'aucun des os soit ni brisé ni même atteint, sans que les tissus qui les couvrent, tendons, nerfs, vaisseaux, ligaments soient entamés, le tarse, dis-je n'a pu passer par la terrible filière. L'arrachement de la peau n'a donc pu résulter que du violent effort fait par la victime au moment où elle se sentit saisie. Une circonstance a pu aider à cette dissection cutanée Joséphine était chaussée d'un soulier solide et lié fortement sur le cou-de-pied; or, dans le suprême effort qu'elle dut faire, le bord de son soulier a pu contribuer à la section de la peau.

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Quel parti fallait-il prendre en présence de ces désordres ? Pouvait-on abandonner à la nature l'élimination des parties mortifiées et attendre de ce travail la limitation précise des parties qu'on pourrait conserver; ce parti semblait peu sûr l'odeur gangréneuse était réellement insupportable, elle pouvait nuire gravement à la malade et à ceux qui l'entouraient; une suppuration abondante allait l'affaiblir; ce travail, long à coup sûr, devenait dangereux pour les surfaces saines encore des articulations tarso-métatarsiennes, on ne pouvait en préciser les bornes; enfin, il ouvrait la porte à de graves complications affaiblissement, épuisement, téta

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Il fallait donc amputer, mais où et quand ?

L'amputation sus-malléollaire fut notre première pensée en présence de la destruction complète des téguments el de l'impossibilité de retrouver un lambeau suffisant, soit pour la désarticulation larso-métatarsienne, soit pour la désarliculation médio-tarsienne de Chopart. Toutefois, c'était une mutilation grave et qui réduisait à la mendicité la pauvre Joséphine; elle s'y refusait absolument; puisqu'on n'avait pas opéré au moment de l'accident, on pouvait certainement. attendre quelques jours; enfin, pour être franc, fortement impressionnés par la présence dans nos salles d'un fait qui nous prouvait la possibilité de la cicatrisation des os dénudés, nous avions un secret espoir de sauver une partie du pied.

Restait à choisir entre l'opération de Chopart et la désarticulation tarso- métatarsienne. La première nous permettait de restreindre considérablement les surfaces traumatiques, nous pouvions recouvrir à l'aide du petit lambeau interne qui nous restait, une moitié des surfaces osseuses désarticulées; mais, d'un autre côté, en conservant la première rangée du larse, nous augmentions puissamment la base de sustentation, nous enlevions une moindre partie du squelette; enfin, nous conservions une partie des insertions du jambier antérieur, et les tendons des extenseurs qui, soudés à la cicatrice, pourraient faire antagonisme aux puissantes masses musculaires de la région postérieure de la jambe; nous nous décidâmes donc pour la désarticulation tarsométalarsienne.

On conçoit qu'elle fut facilement et rapidement faite, en modifiant, selon les nécessités du moment, les méthodes ordinaires; il va sans dire que nous avions respecté avec scrupule le faible lambeau de peau qui nous restait à la portion interne du pied; il ncus permit de recouvrir à peu près

la surface articulaire du premier cunéiforme; du reste, les autres surfaces des deux cunéiformes et du cuboïde étaient

parfaitement à nu.

Cette vaste plaie fut badigeonnée avec la teinture d'iode étendue, et le moignon fut pansé par occlusion avec des bandelettes d'emplâtre de Bavière.

Les suites de l'opération furent des plus simples; quatre jours après, le pansement fut enlevé, les plaies présentaient un bon aspect, le pus était peu abondant, le bourgeonnement se montrait presque partout; certaines portions des tendons des extenseurs qui s'exfoliaient furent excisés; quant aux surfaces osseuses, elles bourgeonnaient peu et les bourgeons étaient plus bleuàtres; le même pansement fut replacé. Nous ne nous étendrons pas sur les diverses phases de ce travail de restauration, il fut long et entravé par plusieurs légers accidents, mais, après deux mois, la cicatrisation était complète, solide et bien unie sur le cou-de-pied et sur toutes les faces de la région tarsienne, plus mince et plus bleuåtre sur les surfaces articulaires dénudées.

Nous fimes construire un soulier dont la semelle fut assez résistante dans tout l'avant-pied; la partie antérieure ful matelassée mollement avec de l'ouate, pour ménager la portion la plus délicate de la cicatrice, et Joséphine put marcher, à peu de chose près, aussi bien qu'une autre.

Depuis plus de dix ans, cette fille marche, travaille, et ne s'est jamais plainte d'aucun accident du chef de sa mulilation.

Restreindre de jour en jour, dans des limites de plus en plus étroites, les mutilations de l'organisme humain, tel est le but élevé que poursuit avec ardeur la chirurgie conserva

L'école chirurgicale belge peul, avec orgueuil, montrer les progrès qu'elle a aidé à réaliser dans ce noble labeur; les principes, sagement appliqués, de la méthode amovo-inamovible de notre illustre Seutin, ont indubitablement contribué à inaugurer cette ère nouvelle de la chirurgie; depuis, les découvertes physiologiques sur la nutrition des os et leur régénération, ont nettement tracé les indications des résections sous-périostiques et de l'évidement des os; notre collègue et ami M. le docteur Willième, il y a quelques semaines, nous traçait avec autant d'érudition que de talent, l'historique de ces précieux travaux, et nous montrait un remarquable succès dû à l'application de ces découvertes.

L'art du pansement si perfectionné, la connaissance plus rationnelle des désinfectants, l'action énergique de la cautérisation actuelle et tant d'autres moyens que je ne puis ici énumérer, nous permettent chaque jour de conserver des parties qu'un art plus primitif eût infailliblement sacrifiées.

Peut-être le fait que je soumets à l'Académie pourrait-il, dans des limites bien humbles, élargir ces précieuses conquêtes, surtout lorsqu'il s'agit de lésions traumatiques des mains ou des pieds, où la conservation d'un seul os peut quelquefois rendre tant de services.

Je me trompe peut-être, mais dans telles circonstances données, je n'hésiterais pas aujourd'hui à essayer de conserver certaines parties du squelette, mêmes dénudées, surtout avec les progrès accomplis dans l'art des pansements par la désinfection, et je chercherais à tirer parti des importantes découvertes de la greffe épidermique qui promet au travail si lent et si capricieux de la cicatrisation, un précieux auxiliaire qui me manquait il y a dix ans.

4. DISCUSSION de la communication de M. BURGGRAEVE sur les résultats statistiques de la chirurgie au plomb (1).

M. Barggraeve: Depuis 1868 que la question des pansements au plomb traine à votre ordre du jour, je puis dire que cette chirurgie n'est pas restée stationnaire. Elle a marché. Elle est faite.

Il est à regretter que dans les événements calamiteux qui se passent auprès de nous, l'emploi du plomb dans les plaies d'armes à feu n'ait pas été généralisé.

Tous ceux qui l'ont employé en ont parlé avec la plus vive reconnaissance. Il y a là un progrès réel.

On vante avec raison la chirurgie conservatrice; c'est bien de conserver, mais à la condition de conserver l'individu. La chirurgie conservatrice ne consiste pas seulement à ne pas opérer, quoique opérer, comme vient de nous le dire M. Cousot, soit aussi de la chirurgie conservatrice, mais il faut encore employer les meilleurs moyens de pansement, de transport, etc.; en un mot, appliquer aux lésions des parties le principe de l'inamovibilité.

Dans les fractures simples, cela ne fait pas difficulté; avec l'appareil ouaté, un seul pansement suffit généralement. Dans notre service d'hôpital, nous voyons rarement les fracturės; nos élèves ont tellement l'habitude de ces pansements, que nous leur en abandonnons le soin, sauf à nous en faire faire rapport chaque matin tant d'entorses, tant de fractures. Le moment venu, l'appareil est enlevé, et, de l'entorse, de la fracture, il ne reste plus de traces. Avec les appareils anciens, on était heureux d'obtenir un à peu près de cal; aussi, avait-on imaginé la doctrine du cal provisoire, rejetant sur la nature la faute de l'art. La réunion de la fracture (1) Voir Bulletin, t. II, 3e série, pp. 77, 277.

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