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SUR LA PARESSE

A M. BULOZ

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Oui, j'écris rarement et me plais de le faire : Non pas que la paresse en moi soit ordinaire; Mais, sitôt que je prends la plume à ce dessein, Je crois prendre en galère une rame à la main. »

Qui croyez-vous, mon cher, qui parle de la sorte?
C'est Alfred, direz-vous, ou le diable m'emporte !
Non, ami. Plût à Dieu que j'eusse dit si bien
Et si net et si court pourquoi je ne dis rien !
L'esprit mâle et hautain dont la sobre pensée
Fut dans ces rudes vers librement cadencée
(Otez votre chapeau), c'est Mathurin Régnier,
De l'immortel Molière immortel devancier;
Qui ploya notre langue, et dans sa cire molle
Sut pétrir et dresser la romaine hyperbole ;
Premier maître jadis sous lequel j'écrivis,
Alors que du voisin je prenais les avis,

Et qui me fut montré, dans l'âge où tout s'ignore,
Par de plus fiers que moi, qui l'imitent encore;
Mais la cause était bonne, et, quel qu'en soit l'effet,
Quiconque m'a fait voir cette route a bien fait.
Or je me demandais hier dans la solitude:

Ce cœur sans peur, sans gêne et sans inquiétude,
Qui vécut et mourut dans un si brave ennui,
S'il se taisait jadis qu'eût-il fait aujourd'hui ?
Alors à mon esprit se présentaient en hâte
Nos vices, nos travers, et toute cette pâte
Dont il aurait su faire un plat de son métier
A nous désopiler pendant un siècle entier :
D'abord le grand fléau qui nous rend tous malades,
Le seigneur Journalisme et ses pantalonnades;
Ce droit quotidien qu'un sot a de berner
Trois ou quatre milliers de sots, à déjeuner;
Le règne du papier, l'abus de l'écriture,
Qui d'un plat feuilleton fait une dictature,
Tonneau d'encre bourbeux par Fréron défoncé,
Dont, jusque sur le trône, on est éclaboussé ;

En second lieu, nos mœurs, qui se croient plus sévères,
Parce que nous cachons et nous rinçons nos verres,
Quand nous avons commis dans quelque coin honteux
Ces éternels péchés dont pouffaient nos aïeux;
Puis nos discours pompeux, nos fleurs de bavardage,
L'esprit européen de nos coqs de village,

Ce bel art si choisi d'offenser poliment,
Et de se souffleter parlementairement ;

Puis, nos livres mort-nés, nos poussives chimères,
Pâture des portiers; et ces pauvres commères,
Qui, par besoin d'amants ou faute de maris,
Font du moins leur besogne en pondant leurs écrits ;
Ensuite, un mal profond, la croyance envolée,
La prière inquiète, errante et désolée,

Et, pour qui joint les mains, pour qui lève les yeux,

Une croix en poussière et le désert aux cieux;
Ensuite, un mal honteux, le bruit de la monnaie,
La jouissance brute, et qui croit être vraie,
La mangeaille, le vin, l'égoïsme hébété,
Qui se berce en ronflant dans sa brutalité;
Puis un tyran moderne, une peste nouvelle,
La médiocrité qui ne comprend rien qu'elle,
Qui, pour chauffer la cuve où son fer fume et bout,
Y jetterait le bronze où César est debout,
Instinct de la basoche, odeur d'épicerie,
Qui fait lever le cœur à la mère patrie,
Capable, avec le temps, de la déshonorer,
Si sa fierté native en pouvait s'altérer;
Ensuite, un tort léger, tant il est ridicule,
Et qui ne vaut pas même un revers de férule,
Les lamentations des chercheurs d'avenir,

Ceux qui disent: Ma sœur, ne vois-tu rien venir?
Puis, un mal dangereux qui touche à tous les crimes,
La sourde ambition de ces tristes maximes

Qui ne sont même pas de vieilles vérités,

Et qu'on vient nous donner comme des nouveautés;
Vieux galons de Rousseau, défroque de Voltaire,
Carmagnole en haillous volée à Robespierre,
Charmante garde-robe où sont emmaillottés
Du peuple souverain les courtisans crottés :
Puis enfin, tout au bas, la dernière de toutes,
La fièvre de ces fous qui s'en vont par les routes
Arracher la charrue aux mains du laboureur,
Dans l'atelier désert corrompre le malheur,

Au nom d'un Dieu de paix qui nous prescrit l'aumône

Trainer au carrefour le pauvre qui frissonne,
D'un fer rouillé de sang armer sa maigre main,
Et se sauver dans l'ombre en poussant l'assassin.

Qu'aurait dit à cela ce grand traîneur d'épée,
Ce flâneur « qui prenait les vers à la pipée ? »
Si dans ce gouffre obscur son regard eût plongé,
Sous quel étrange aspect l'eût-il envisagé ?
Quelle affreuse tristesse ou quel rire homérique
Eût ouvert ou serré ce cœur mélancolique?
Se fût-il contenté de nous prendre en pitié,
De consoler sa vie avec quelque amitié,
Et de laisser la foule étourdir ses oreilles,
Comme un berger qui dort au milieu des abeilles?
Ou bien, le cœur ému d'un mépris généreux,
Aurait-il là-dessus versé, comme un vin vieux,
Ses hardis hiatus, flot jailli du Parnasse,
Où Despréaux mêla sa tisane à la glace?
Certes, s'il eût parlé, ses robustes gros mots
Auraient de pied en cap ébouriffé les sots :
Qu'il se fût abattu sur une telle proie,
L'ombre de Juvénal en eût frémi de joie,
Et sur ce noir torrent qui mène tout à rien
Quelques mots flotteraient, dits pour les gens de bien.
Franchise du vieux temps, muse de la patrie,
Où sont ta verte allure et ta sauvagerie?

Comme ils tressailleraient, les paternels tombeaux,
Si ta voix douce et rude en frappait les échos!
Comme elles tomberaient, nos gloires mendiées,
De patois étrangers nos muses barbouillées,

Devant toi qui puisas ton immortalité

Dans ta beauté féconde et dans ta liberté !
Avec quelle rougeur et quel piteux visage
Notre bégueulerie entendrait ton langage,
Toi qu'un juron gaulois n'a jamais fait bouder,
Et qui, ne craignant rien, ne sais rien marchander!
Quel régiment de fous, que de marionnettes,
Quel troupeau de mulets dandinant leurs sonnettes,
Quelle procession de pantins désolés,

Passeraient devant nous, par ta voix appelés!
Et quel plaisir de voir, sans masque ni lisières,
A travers le chaos de nos folles misères,
Courir en souriant tes beaux vers ingénus,
Tantôt légers, tantôt boiteux, toujours pieds nus!
Gaieté, génie heureux, qui fut jadis le nôtre,
Rire dont on riait d'un bout du monde à l'autre,
Esprit de nos aïeux, qui te réjouissais
Dans l'éternel bon sens, lequel est né français,
Fleurs de notre pays, qu'êtes-vous devenues?
L'aigle s'est-il lassé de planer dans les nues,
Et de tenir toujours son regard arrêté
Sur l'astre tout-puissant d'où jaillit la clarté?

Voilà donc, l'autre soir, quelle était ma pensée,
Et plus je m'y tenais la cervelle enfoncée,
Moins je m'imaginais que le vieux Mathurin

Eût montré, de ce temps, ni gaieté ni chagrin.

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Eh quoi! me direz-vous, il nous eût laissés faire,

Lui qu'un mauvais dîner pouvait mettre en colère! Lui qui s'effarouchait, grand enfant sans raison,

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