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VERDIERE, QUAI DES AUGUSTINS;

A. SAUTELET ET C, PLACE DE LA BOURSE;

ECA

A. DUPONT ET RORET, RUE VIVIENNE.

M DCCC XXVI.

étudier l'homme et connoître sa nature, ses devoirs et sa fin. Toutes ces merveilles se sont renouvelées depuis peu de générations.

L'Europe étoit retombée dans la barbarie des premiers âges. Les peuples de cette partie du monde aujourd'hui si éclairée vivoient, il y a quelques siècles, dans un état pire que l'ignorance. Je ne sais quel jargon scientifique, encore plus méprisable que l'ignorance, avoit usurpé le nom du savoir, et opposoit à son retour un obstacle presque invincible. Il falloit une révolution pour ramener les hommes au sens commun; elle vint enfin du côté d'où on l'auroit le moins attendue. Ce fut le stupide musulman, ce fut l'éternel fléau des lettres, qui les fit renaître parmi nous. La chute du trône de Constantin porta dans l'Italie les débris de l'ancienne Grèce. La France s'enrichit à son tour de ces précieuses dépouilles. Bientôt les sciences suivirent les lettres à l'art d'écrire se joignit l'art de penser; gradation qui paroit étrange, et qui n'est peut-être que trop naturelle; et l'on commença à sentir le principal avantage du commerce des muses, celui de rendre les hommes plus sociables en leur inspirant le désir de se plaire les uns aux autres par des ouvrages dignes de leur approbation mutuelle.

L'esprit a ses besoins, ainsi que le corps. Ceux-ci font les fondements de la société, les autres en font l'agré ment. Tandis que le gouvernement et les lois pourvoient à la sûreté et au bien-être des hommes assemblés, les sciences, les lettres et les arts, moins despotiques et plus puissants peut-être, étendent des guirlandes de fleurs sur les chaines de fer dont ils sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils sembloient être nés, leur font aimer leur esclavage, et en forment ce qu'on appelle des peuples polices. Le besoin éleva les trônes; les sciences et les aris les ont affermis. Puissances de la terre, aimez les talents, et protégez ceux qui les cultivent (1). Peuples policés, cultivez-les : heureux esclaves, vous leur devez ce goût délicat et fin dont vous vous piquez; cette douceur de caractère et cette urbanité de mœurs qui rendent parmi vous le commerce si liant et si facile; en un mot, les apparences de toutes les vertus sans en avoir aucune.

C'est par cette sorte de politesse, d'autant plus aimable qu'elle affecte moins de se montrer, que se distinguerent autrefois Athènes et Rome dans les jours si vantés de leur magnificence et de leur éclat; c'est par elle sans doute que notre siècle et notre nation l'emporteront sur tous les temps et sur tous les peuples. Un ton philosopbe sans pédanterie, des manières naturelles et pourtant prévenantes, également éloignées de la rusticité tudesque et de la pantomime ultramontaine: voilà les fruits du goût acquis par de bonnes études et perfectionné dans le commerce du monde.

Qu'il seroit doux de vivre parmi nous, si la contenance extérieure étoit toujours l'image des dispositions du cœur, si la décence étoit la vertu, si nos maximes nous servoient de règle, si la véritable philosophie étoit insépa rable du titre de philosophe! Mais tant de qualités vont trop rarement ensemble, et la vertu ne marche guère en si grande pompe. La richesse de la parure peut annoncer un homme opulent, et son élégance un homme de goût: l'homme sain et robuste se reconnoît à d'autres marques; c'est sous l'habit rustique d'un laboureur, et non sous la dorure d'un courtisan, qu'on trouvera la force et la vigueur du corps. La parure n'est pas moins étrangère à la vertu, qui est la force et la vigueur de l'àme. L'homme de bien est un athlète qui se plait à combattre nu : il méprise tous ces vils ornements qui gêneroient l'usage

si

de ses forces, et dont la plupart n'ont été inventés que pour cacher quelques difformités.

Avant que l'art n'eût façonné nos manières et appris à nos passions à parler un langage apprêté, nos mœurs étoient rustiques, mais naturelles; et la différence des procédés annonçoit, au premier coup d'oeil, celle des caractères. La nature humaine, au fond, n'étoit pas meilleure mais les hommes trouvoient leur sécurité dans la facilité de se pénétrer réciproquement; et cet avantage, dont nous ne sentons plus le prix, leur épar gnoit bien des vices.

Aujourd'hui que des recherches plus subtiles et un goût plus fin ont réduit l'art de plaire en principes, il règne dans nos mœurs une vile et trompeuse uniformité, et tous les esprits semblent avoir été jetés dans un même moule sans cesse la politesse exige, la bienséauce ordonne sans cesse on suit les usages, jamais son propre génie. On n'ose plus paroître ce qu'on est ; et, dans cette contrainte perpétuelle, les hommes qui forment ce troupeau qu'on appelle société, placés dans les mêmes circonstances, feront tous les mêmes choses, si des motifs plus puissants ne les en détournent. On ne saura donc jamais bien à qui l'on a affaire il faudra donc, pour connoître son ami, attendre les grandes occasions, c'està-dire attendre qu'il n'en soit plus temps, puisque c'est pour ces occasions mêmes qu'il eût été essentiel de le

connoître.

Quel cortège de vices n'accompagnera point cette incertitude! Plus d'amitiés sincères; plus d'estime réelle ; plus de confiance fondée. Les soupçons, les ombrages, les craintes, la froideur, la réserve, la haine, la trahison, se cacheront sans cesse sous ce voile uniforme et perfide de la politesse, sous cette urbanité si vantée que nous devons aux lumières de notre siècle. On ne profanera plus par des jurements le nom du maître de l'uni vers; mais on l'insultera par des blasphemes. sans que nos oreilles scrupuleuses en soient offensées. On ne vantera pas son propre mérite, mais on rabaissera celui d'autrui. On n'outragera point grossièrement son ennemi, mais on le calomniera avec adresse. Les haines nationales s'éteindront, mais ce sera avec l'amour de la pa trie. A l'ignorance méprisée ou substituera un dange.' reux pyrrhonisme. Il y aura des excès proscrits, des vices déshonorés; mais d'autres seront décorés du nom de vertus; il faudra ou les avoir ou les affecter. Vantera qui voudra la sobriété des sages du temps; je n'y vois , pour moi, qu'un raffinement d'intempérance autant indigne de mon éloge que leur artificieuse simplicité (2).

Telle est la pureté que nos mœurs ont acquise; c'est ainsi que nous sommes devenus gens de bien. C'est aux lettres, aux sciences et aux arts à revendiquer ce qui leur appartient dans un si salutaire ouvrage. J'ajouterai seulement une réflexion; c'est qu'un habitant de quelques contrées éloignées qui chercheroit à se former une idée des mœurs européennes sur l'état des sciences parni nous, sur la perfection de nos arts, sur la bienséance de nos spectacles, sur la politesse de nos manières, sur l'af fabilité de nos discours, sur nos démonstrations perpétuelles de bienveillance; et sur ce concours tumultueux d'hommes de tout âge et de tout état qui semblent empressés, depuis le lever de l'aurore jusqu'au coucher du soleil, à s'obliger réciproquement : c'est que cet étranger, dis-je, devineroit exactement de nos mœurs le contraire de ce qu'elles sont.

Où il n'y a nul effet, il n'y a point de cause à chercher mais ici l'effet est certain, la dépravation réelle ; et nos ames se sont corrompues à mesure que nos sciences

(1) Les princes voient toujours avec plaisir le goût des arts agréables et des superfluités, dont l'exportation de l'argent ne résulte pas, s'étendre parmi leurs sujets: car, outre qu'ils les nourrissent ainsi dans cette petitesse d'âme propre à la servitude, ils savent très-bien que tous les besoins que le peuple se donne sont autant de chaînes dont il se charge. Alexandre, voulant maintenir les Ichtyophages dans sa dépendance, les contraignit de renoncer à la pêche, et de se nourrir des aliments communs aux autres peuples; et les sauvages de l'Amérique qui vont tout nus, et qui ne vivent que du produit de leur chasse, n'ont jamais pu être domptés: en effet, quel joug imposeroiton à des hommes qui n'ont besoin de rien?

(2) J'aime, dit Montaigne, à contester et discourir, mais c'est avec peu d'hommes, et pour moi. Car de servir de spectacle aux grands, et faire à l'envi parade de son esprit et de son caquet, je trouve que c'est un métier trèsmesséant à un homme d'honneur. » C'est celui de tous nos beaux esprits, hors un.

et nos arts se sont avancés à la perfection. Dira-t-on que c'est un malhenr particulier à notre âge? Non, messieurs; les maux causés par notre vaine curiosité sont aussi vieux que le monde. L'élévation et l'abaissement journaliers des eaux de l'Océan n'ont pas été plus régulièrement assujettis au cours de l'astre qui nous éclaire durant la nuit, que le sort des mœurs et de la probité au progrès des sciences et des arts. On a vu la vertu s'enfuir à mesure que la lumière s'élevoit sur notre horizon, et le même phénomène s'est observé dans tous les temps et dans tous les lieux.

Voyez l'Égypte, cette première école de l'univers, ce climat si fertile sous un ciel d'airain, cette contrée celebre d'où Sésostris partit autrefois pour conquérir le monde. Elle devient la mère de la philosophie et des beaux-arts, et, bientôt après, la conquête de Cambyse, puis celle des Grees, des Romains, des Arabes, et enfin des Turcs.

Opposons à ces tableaux celui des mœurs du petit nombre de peuples qui, préservés de cette contagion des vaines connoissances, ont par leurs vertus fait leur propre bonheur et l'exemple des autres nations. Tels furent les premiers Perses: nation singulière, chez laquelle on apprenoit la vertu comme chez nous on apprend la science; qui subjugua l'Asie avec tant de facilité, et qui seule a eu cette gloire, que l'histoire de ses institutions ait passé pour un roman de philosophie. Tels furent les Scythes, dont on nous a laissé de si magnifiques éloges. Tels les Germains, dont une plume, lasse de tracer les crimes et les noirceurs d'un peuple instruit, opulent et voluptueux, se soulageoit à peindre la simplicité, l'innocence et les vertus. Telle avoit été Rome, même dans les temps de sa pauvreté et de son ignorance. Telle enfin s'est montrée jusqu'à nos jours cette nation rustique si vantée pour son courage que l'adversité n'a pu abattre, et pour sa fidélité que l'exemple n'a pu corrompre (1).

Ce n'est point par stupidité que ceux-ci ont préféré d'autres exercices à ceux de l'esprit. Ils n'ignoroient pas que dans d'autres contrées des hommes oisifs passoient leur vie à disputér sur le souverain bien, sur le vice et sur la vertu, et que d'orgueilleux raisonneurs, se donnant à eux-mêmes les plus grands éloges, confondoient les autres peuples sous le nomi méprisable de barbare; mais ils ont considéré leurs mœurs, et appris à dédai

Voyez la Grèce, jadis peuplée de héros qui vainquirent deux fois l'Asie, l'une devant Troie, et l'autre dans leurs propres foyers. Les lettres naissantes n'avoient point porté encore la corruption dans les cœurs de ses habifants; mais le progrès des arts, la dissolution des mœurs, et le joug du Macédonien, se suivirent de près; et la Grèce, toujours savante,toujours voluptueuse, et toujours esclave, n'éprouva plus dans ses révolutions que des changements de maîtres. Toute l'éloquence de Démos-gner leur doctrine (2). thène ne put jamais ranimer un corps que le luxe et les arts avoient énervé.

C'est au temps des Ennius et des Térence que Rome, fondée par un pâtre et illustrée par des laboureurs, com mence à dégénérer. Mais, après les Ovide, les Catulle, les Martial, et cette foule d'auteurs obscènes dont les noms seuls alarment la pudeur, Rome, jadis le temple de la vertu, devient le théâtre du crime, l'opprobre des nations et le jouet des barbares. Cette capitale du monde tombe enfin sous le joug qu'elle avoit imposé à tant de peuples: et le jour de sa chute fut la veille de celui où l'on donna à l'un de ses citoyens le titre d'arbitre du bon goût.

Que dirai-je de cette métropole de l'empire d'Orient, qui, par sa position, sembloit devoir l'être du monde entier, de cet asile des sciences et des arts proscrits 'du reste de l'Europe, plus peut-être par sagesse que par barbarie? Tout ce que la débauche et la corruption ont de plus honteux; les trahisons, les assassinats et les poisons de plus noir; le concours de tous les crimes de plus atroce voilà ce qui forme le tissu de l'histoire de Constantinople; voilà la source pure d'où nous sont émanées les lumières dont notre siècle se glorifie.

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Mais pourquoi chercher dans des temps reculés des preuves d'une vérité dont nous avons sous nos yeux des témoignages subsistants? Il est en Asie une contrée immense où les lettres honorées conduisent aux premières dignités de l'état. Si les sciences épuroient les mœurs, si elles apprenoient aux hommes à verser leur sang pour la patrie, si elles auimoient le courage, les peuples de la Chine devroient être sages, libres et invincibles. Mais s'il n'y a point de vice qui ne les domine, point de crime qui ne leur soit familier: ni les lumières des ministres, ni la prétendue sagesse des lois, ni la multitude des habitants de ce vaste empire, n'ont pu le garantir du joug du Tartare ignorant et grossier; de quoi lui ont servi tous ses savants? Quel fruit a-t-il retiré des honneurs dont ils sont comblés ? seroit-ce d'être peuplé d'esclaves et de méchants?

Oublierois-je que ce fut dans le sein même de la Grèce qu'on vit s'élever cette cité aussi célèbre par son heureuse ignorance que la sagesse de ses lois, cette république de demi dieux plutôt que d'hommes; tant leurs vertus sembloient supérieures à l'humanité? O Sparte, opprobre éternel d'une vaine doctrine ! tandis que les vices, conduits par les beaux-arts, s'introduisoient ensemble dans Athènes tandis qu'un tyran y rassembloit avec tant de soin les ouvrages du prince des poètes, tu chassois de tes murs les arts et les artistes, les sciences et les savants!

L'événement marqua cette différence. Athènes devint le séjour de la politesse et du bon goût, le pays des orateurs et des philosophes: l'élégance des bâtiments y rė pondoit à celle du langage: on y voyoit de toutes parts le marbre et la toile animés par les mains des maîtres les plus habiles: c'est d'Athènes que sont sortis ces ouvrages surprenants qui serviront de modèles dans tous les âges corrompus. Le tableau de Lacédémone est moins brillant. Là, disoient les autres peuples, les hommes naissent vertueux, et l'air même du pays semble inspirer la vertu. Il ne nous reste de ces habitants que la mémoire de leurs actions héroïques. De tels monuments vaudroient-ils moins pour nous que les marbres curieux qu'Athènes nous a laissés ?

Quelques sages, il est vrai, ont résisté au torrent général, et se sont garantis du vice dans le séjour des muses. Mais qu'on écoute le jugement que le premier et le plus malheureux d'entre eux portoit des savants et des artistes de son temps.

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« J'ai examiné, dit-il, les poètes, et je les regarde comme des gens dont le talent en impose à eux-mêmes « et aux autres, qui se donnent pour sages, qu'on prend pour tels, et qui ne sont rien moins.

Des poètes, continue Socrate, j'ai passé aux artistes. « Personne n'ignoroit plus les arts que moi; personne n'étoit plus convaincu que les artistes possédoient de « fort beaux secrets. Cependant je me suis aperçu que leur ■ condition n'est pas meilleure que celle des poètes,

(1) Je n'ose parler de ces nations heureuses qui ne connoissent pas même de nom les vices que nous avons tant de peine à réprimer de ces sauvages de l'Amérique dont Montaigne ne balance point à préférer la simple et naturelle police, non-seulement aux lois de Platon, mais même à tout ce que la philosophie pourra jamais imaginer de plus parfait pour le gouvernement des peuples. Il en cite quantité d'exemples frappants pour qui les sauroit admirer: Mais quoi! dit-il, ils ne portent point de chausses! »

(2) De bonne foi, qu'on me dise quelle opinion les Athéniens mêmes devoient avoir de l'éloquence, quand ils l'écartérent avec tant de soin de ce tribunal intègre, des jugements duquel les dieux mêmes n'appeloient pas. Que pensoient les Romains de la médecine, quand ils la bannirent de leur république? Et quand un reste d'humanité porta les Espagnols à interdire à leurs gens de loi l'entrée de l'Amérique, quelle idée falloit-il qu'ils eussent de la jurisprudence? Ne diroit-on pas qu'ils ont cru réparer par ce seul acte tous les maux qu'ils avoient faits à ces malheureux Indiens?

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