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m'est plus présente, à son aspect, que celle de la chose signifiée. Pour arriver à celle-ci, il faut que mon imagination rétablisse, dans leur grandeur naturelle, les dimensions réduites de la figure. Et quoique cette opération intellectuelle se fasse avec une extrême vitesse, elle sépare pourtant, en quelque manière, l'instant où j'apperçois le signe de celui où je vois l'objet : ils ne se confondent pas.

On pourra m'objecter que les dimensions des objets visibles, en tant qu'elles sont apperçues par nous, ne sont rien moins que constantes; qu'elles dépendent de l'éloignement: qu'à telle et telle distance, une figure humaine semble n'avoir qu'un demi-pied et même qu'un pouce de hauteur: et que par conséquent il nous suffit de supposer que la figure réduite du peintre est à cette distance, pour que ses signes redeviennent parfaitement naturels.

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Je répondrai lorsqu'une figure humaine est apperçue à une distance assez grande, pour qu'elle paroisse n'avoir qu'un demipied, ou même un pouce de hauteur, elle ne s'apperçoit que d'une manière très-confuse. Mais ce n'est pas ainsi qu'on nous montre les figures réduites sur le premier plan

des petits tableaux. La clarté avec laquelle nous en distinguons toutes les parties, contredit toute idée d'éloignement; elle nous rappelle trop vivement que ce sont des figures réduites et non des figures éloignées.

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On sait aussi combien la grandeur des dimensions contribue à produire le sublime, et ce sublime se perd entièrement dans les réductions de la peinture. Ses tours les plus élevées, ses précipices les plus affreux, les rochers qu'elle suspendra dans la position la plus menaçante, ne produiront jamais l'ombre de cet effroi, la moindre idée de ce vertige que de pareils objets nous causent dans la nature, et dont la poésie même peut quelquefois approcher.

Quel tableau que celui de Shakespear dans son roi Lear, lorsqu'Edgar conduit le duc de Glocester au dernier sommet de la colline, d'où il veut se précipiter! '

Come on,

sir;

Here's the place; stand still. How fearful

'King Lear, act. rv. sc. 6.

EDGAR.

Avancez, Seigneur. Voici la cime; ne bougez pas. O quelle terreur! comme la tête tourne en plongeant

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And dizzy 'tis to cast one's eyes so low!-
The crows and choughs, that wing the midway air
Shew scarce so gross as beetles. Half way down
Hangs one that gathers samphire; dreadful trade!
Methinks he seems no bigger than his head!
The fisher-men that walk upon the beach
Appear like mice; and yon' tall anchoring bark
Diminish'd to her cock; her cock, a buoy
Almost too small for sight. The murmuring surge
That on the unnumber'd idle pebbles chafes,
Cannot be heard so high. I'll look no more,

Lest my brain turn, and the deficient sight
Topple down headlong.

Comparez avec ce passage, celui de Milton

( liv. VII. v. 210.) où le fils de Dieu jette un coup-d'œil dans l'abîme du chaos. La

la vue au fond de cet abîme! le milan et la corneille qui volent dans les airs vers le milieu de la montagne, paroissent à peine de la grosseur de la cigale. Sur le penchant, à mi-côte, je vois un homme suspendu à des rochers, cueillant du fenouil marin. Le dangereux métier! cet homme ne me paroît pas plus gros que sa tête. Ces pêcheurs, qui marchent sur la grève, ressemblent à des belettes qui trottent. - Ce grand vaisscau, là-bas à l'ancre, paroît petit comme sa chaloupe, et sa chaloupe comme la bouée qu'on finit d'appercevoir. Le bruit des vagues qui se brisent sur les innombrables cailloux du rivage, ne peut s'entendre à cette

profondeur est ici beaucoup plus grande, et cependant sa description ne produit aucun effet, parce que rien ne la rend sensible. C'est, au contraire, ce que Shakespear a fait si supérieurement par le rappetissement des objets.

Gérard est d'une opinion différente de la mienne. Il pense que la peinture est capable de ce genre de sublime qui tient à la grandeur des dimensions. Si elle ne peut, dit-il, conserver les dimensions dans leur étendue naturelle, elle peut au moins leur laisser leur grandeur comparative, et cela

hauteur. Je ne veux plus regarder; ma raison se perdroit, et mes yeux une fois éblouis, je tomberois la tête la première. (Ce passage est pris de la traduction de M. le Tourneur. Nous y avons changé, seulement la phrase sous-lignée, parce qu'elle étoit directement opposée au sens de l'auteur et au bon sens. Voici com ment M. le Tourneur la donne. «Jamais on n'entendit mieux le bruit des vagues froissées, &c. ». C'est une singulière façon d'entendre cannot be heard. Il est clair que plus on est élevé au-dessus des vagues, moins on doit en entendre le bruit. C'est ce que Shakespear a dit expressément, et il seroit difficile de deviner pourquoi son traducteur lui fait dire le contraire.) Note du Trad. On Taste, London, 1759. p. 24.

suffit pour produire le sublime. Gérard se trompe. Cela suffit bien pour nous faire juger que ces objets qu'on nous montre sous des proportions réduites doivent être sublimes dans la nature, mais non pas pour produire en nous le même effet. Pourquoi un temple vaste et majestueux que je ne puis embrasser d'un coup-d'œil, est-il sublime? C'est précisément parce que mon regard peut y errer, s'y promener à son aise, et que par-tout où il se repose, il rencontre la symétrie, la grandeur, la solidité, la simplicité. Transportez ce même édifice sur l'espace étroit d'une gravure, il cessera d'être sublime, il n'excitera plus mon admiration, parcela même que je pourrai l'embrasser d'un coup-d'œil. Mais ne pouvez-vous vous le figurer exécuté dans les dimensions convenables? Sans doute, mais que sens-je alors? Que je m'étonnerois réellement, si je le voyois réellement exécuté; mais je ne m'étonne pas encore. J'en puis admirer, il est vrai, le dessin et la noble simplicité; mais cette admiration ne s'adresse qu'au talent de l'artiste, et ne dépend point de l'aspect des dimensions.

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