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dations d'une affection quelconque, la dernière, la plus extrême, est la plus dénuée de cet avantage: il n'y a plus rien au-delà. Montrer aux yeux ce dernier terme, c'est lier les ailes à l'imagination. Ne pouvant aller audelà de l'impression reçue par les sens, sens, elle est forcée de s'occuper d'images moins vives, hors desquelles elle craint de retrouver ses limites dans cette plénitude d'expression qu'on lui a offerte mal-à-propos. Si Laocoon gémit, l'imagination peut l'entendre crier : s'il crie, elle ne peut se représenter ce qu'il souffre d'un degré plus foible ou plus fort, sans le voir dans un état plus passif, et parlà moins intéressant. Elle ne l'entendra plus que soupirer, ou bien elle le verra mort.

De plus, comme le moment unique auquel l'art est borné reçoit de lui une durée constante, ce moment ne doit rien exprimer de ce que nous concevons comme essentiellement transitoire. Il est, en effet, des phénomènes qui, d'après nos idées, doivent par leur essence se manifester et disparoître subitement, et qui ne peuvent demeurer qu'un instant ce qu'ils sont. Tous ces phénomènes, agréables ou terribles, prennent, dès qu'ils sont fixés par l'art, une apparence tellement

contre nature, qu'à chaque nouveau regard que nous leur donnons, leur impression devient plus foible, et qu'ils finissent par nous inspirer l'horreur ou le dégoût. La Métrie qui s'est fait peindre et graver en Démocrite, ne rit que la première fois qu'on le regarde. Considérez-le plus souvent, le philosophe n'est plus qu'un fat, son rire n'est qu'une grimace. Il en est de même des cris.. Une douleur assez violente pour en arracher, cesse bientôt, ou détruit le sujet qui souffre. Si l'homme le plus patient et le plus ferme peut crier, il ne peut donc pas crier sans cesse ; et c'est la seule apparence d'un cri continu qui, dans l'imitation matérielle de l'art, lui donneroit la foiblesse d'une femou l'impatience d'un enfant. Voilà ce que l'artiste du Laocoon devoit au moins éviter, quand même la beauté de la figure n'eût pas dû être détruite par l'expression des cris, quand même il eût été permis à l'art d'exprimer les souffrances, sans aucun égard à la beauté.

me,

De tous les peintres anciens, Timomaque paroît être celui qui s'étoit plu davantage aux sujets où la passion est portée à l'extrême. Son Ajax furieux, sa Médée infanticide étoient

des tableaux fameux. Mais il est évident par les descriptions qui nous en restent, que cet artiste avoit su connoître et avoit rempli parfaitement les deux conditions que nous venons d'exposer, savoir, le moment de l'action où son extrême degré n'est pas tant offert aux yeux qu'à l'imagination du spectateur, et le degré de passion, qui dans nos idées, n'est pas assez nécessairement transitoire pour que sa permanence doive nous choquer dans un ouvrage de l'art. Il n'avoit point pris sa Médée dans le moment où elle égorge ses enfans, mais quelques momens avant ce crime, lorsque l'amour maternel combattoit encore lajalousie. Nous prévoyons l'issue de ce combat; nous tremblons d'avance de ne voir bientôt plus Médée que barbare, et notre imagination va bien audelà de tout ce que le peintre auroit pu nous montrer dans ce terrible moment. Mais c'est pour cela même que l'irrésolution de Médée, devenue permanente dans le tableau, est si loin de nous choquer, qu'au contraire nous voudrions qu'elle eût été la même dans la nature; que le combat des passions ne s'y fût jamais décidé ; qu'au moins il se fût assez prolongé pour permettre au temps et à la

réflexion d'affoiblir la rage jalouse, et d'assurer la victoire aux sentimens maternels. Aussi Timomaque s'étoit-il attiré par cette sagesse, de grands et de fréquens éloges, et s'étoit élevé bien au-dessus d'un autre peintre inconnu, qui avoit eu assez peu de sens pour montrer sa Médée dans l'excès de son délire, et pour donner à ce degré de fureur toujours passager, une permanence qui révoltoit la nature. Un poète qui a critiqué ingénieusement cet artiste, s'adresse ainsi à la Médée de son tableau: Es-tu perpétuellement altérée du sang de tes enfans? As-tu éternellement à tes côtés un nouveau Jason, une nouvelle Créuse, pour enflammer ta fureur?... Puisses-tu périr même en peinture! ajoute-t-il avec dépit.

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Ce que Philostrate a rapporté de l'Ajax furieux de Timomaque peut nous faire juger de ce tableau. Ajax n'y paroît point au milieu des troupeaux, égorgeant et garrotant les bœufs et les béliers qu'il prend pour des hommes, mais lorsqu'assis et fatigué de ses folles prouesses, il forme la résolution de se

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1 Philippus (Anthol. lib. iv. cap. 9. Ep. 10.)

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tuer. C'est-là vraiment l'Ajax furieux; non qu'il le soit dans le moment présent, mais parce qu'il vient de l'être; parce que rien ne pouvoit donner une idée plus vive de l'excès de son délire, que la honte et le désespoir qui en sont les suites dans son propre cœur. Ainsi on voit la tempête dans les débris et les cadavres qu'elle a jetés sur le bord.

IV.

En récapitulant les causes qui ont obligé l'artiste du Laocoon de modérer dans cet ouvrage l'expression de la douleur corporelle, je trouve qu'elles dérivent toutes de l'essence même de l'art, de ses bornes et de ses besoins nécessaires. Il n'est donc pas probable qu'une seule de ces causes influe aussi sur la poésie, qui n'a ni les mêmes bornes ni les mêmes besoins.

Nous n'examinerons point encore jusqu'à quel point le poète peut réussir à peindre la beauté corporelle. Il est au moins incontestable que l'immense domaine de la perfection étant ouvert à son imitation, l'enveloppe visible sous laquelle la perfection devient beauté, ne peut être qu'un des moyens su

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