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la prétention de la conscience à la connaissance infaillible de tous les objets du devoir. Une seconde opinion consent à sacrifier la moitié de cette prétention exagérée. Résultat d'une analyse déjà plus attentive, cette opinion ne voit dans la conscience qu'un certain nombre de révélations absolues des applications du devoir. D'autres révélations sont relatives, c'est-à-dire subordonnées à l'étendue des lumières plus ou moins grandes de telle ou telle conscience.

Tel est l'aveu qui paraît être au fond de la pensée de Benjamin Constant. Quand, cherchant la base de la morale, il repousse l'autorité générale proposée par Lamennais, le raisonnement employé seul qui conduit au scepticisme, l'autorité qui nous livre sans défense à la tyrannie, il conclut en préférant LE SENTIMENT, tout en le déclarant SUSCEPTIBLE D'ERREUR1.

331. Telle nous paraît être aussi la pensée des hommes instruits avec lesquels nous avons plus d'une fois discuté oralement ces difficultés. Beaucoup nous ont paru reconnaître que, dans la direction de la liberté humaine, conscience et science ont toutes deux quelque chose à faire.

Toutes deux quelque chose à faire?... Mais dans quelle proportion? Est-il question plus haute, plus large, plus pratique surtout? Eh bien! je ne demanderai pas qui l'a résolue? je demanderai seulement : qui l'a nettement posée? On la laisse dans un vague

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1 De la religion, tom. I, pag. 99. L'auteur n'indique aucun moyen d'écarter l'erreur dont le sentiment est susceptible. Étrange découragement! Comment peut-on se contenter de signaler un critérium comme incomplet, sans chercher à le compléter?

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désespérant. Ce vague, il faut l'écarter. Il faut savoir s'il est vrai qu'on puisse faire, entre la conscience et la science, un partage des vérités à constater.

332. La conscience donne les règles importantes; la science tire les conséquences de détail : telle est la formule ordinairement proposée pour ce partage. La conscience est un catéchisme vivant des grands principes. La science (on la désigne bien ou mal sous le nom de casuistique) aide la conscience fatiguée à tirer les déductions d'un intérêt secondaire 1.

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332. Quelles sont les règles fondamentales révélées directement par la conscience? J'en ai mille fois demandé la liste. J'ai toujours obtenu cette réponse vague, procédant par quelques exemples: « Ne tues

1 Cons. Bénard, Précis de philosophie (Morale, chap. III, art. 3),

pas.... ne médisez pas.... ne violez pas votre serment!... » Puis, un etc.

Vous le voyez, lecteur, la première inspiration des sages que j'ai interrogés a été de me donner des exemples de ce qu'il ne faut pas faire; jamais, je vous l'atteste, ils n'ont commencé par me dire ce qu'il faut faire. Or, c'est ce dont j'avais le plus besoin, et avec moi la grande majorité des hommes ! En effet (il faut s'en applaudir), bien petite est la minorité décidée à occuper uniquement sa vie à tuer, à médire, à violer des serments. Eh bien! qu'est-ce à dire? La conscience règle-t-elle seulement les abstentions? Est elle muette sur les actions? Posons la question sur la plus considérable des actions de l'homme: Devons-nous étudier? La conscience ne dit-elle rien, en présence de l'humanité musulmane qui répond Non, et de l'humanité chrétienne qui n'est pas unanime pour répondre Oui?

Mais restons, j'y consens, dans le domaine des abstentions. Ne tuez pas, ne médisez pas, ne violez pas votre serment, etc.... Que m'apprend un etc. sur la limite de la science et de la conscience? Je ne le vois guère.

Faut-il essayer toutefois de se contenter ainsi d'un à peu près, en espérant du moins que l'etc. ne viendra qu'après une liste très longue?... Hélas! ce catalogue, quelque long qu'il soit, ne nous donnera pas même la connaissance complète des devoirs importants qu'il mentionnera. Pourquoi?

333. Parce que chacun des articles de la liste sera atteint et modifié par sa combinaison avec les autres.

On verra toujours s'élever, à côté de telles prohibitions énoncées, d'autres prohibitions aussi légitimes, pour restreindre les précédentes. Charron fait observer que « bien souvent (il devrait dire jamais) on ne <<< peut accomplir ce qui est d'une vertu, sans le heurt « et offense d'une autre 1. » Que faire alors? Suivre le conseil de Cicéron: « Contra officium est majus « non anteponi minori»? Soit. Mais sur le choix du précepte à sacrifier, que de dissidences!

335. Les exemples de ces dissidences, dans les consciences les plus pures et les plus éclairées, sont par milliers. Donnons-en quelques-uns.

PREMIER EXEMPLE. Ne tuez pas autrui. -Voilà un principe qui certes peut réclamer la première place en tête de la liste. Mais le second rang n'appartient-il pas à cet autre principe: Ne vous tuez pas vous-même? Or, que` faire, s'il faut tuer autrui pour ne pas se laisser tuer soi-même? Voici déjà les consciences qui vont se diviser.

Les plus charitables répondront : Ne tuez pas! la loi morale est ainsi faite. En vous laissant tuer, vous ne violerez pas le principe qui vous défend de vous Croyez saint Paul : « Il ne faut jamais faire <«< du mal afin qu'il en arrive du bien !»- Ainsi

tuer.

↑ Charron, Sagesse (liv. I, chap. IV, no 5); cité dans la préface de Barbeyrac, en tête de la traduction de Puffendorff.

M. Bénard reconnaît aussi que la collision des devoirs laisse des nœuds à dénouer (Précis de philosophie, Morale, chap. III.)

2 De officiis,

3 Saint Paul aux Romains, cap. III, vers. 8.

<< Summum crede nefas animam præferre pudori,

« Et propter vitam, vivendi perdere causas. »

(JUVENAL.)

CONSCIENCE DU DEVOIR.

n'écrasez pas, pour vous sauver, l'être inoffensif qui se trouve sur votre chemin! Si votre vaisseau est brisé par la tempête, mourez plutôt que de rejeter dans l'abîme un autre naufragé qui, saisissant la même planche que vous, ou vous étreignant convulsivement quand vous nagez, va vous perdre avec lui! -Ne tuez pas celui qui, dans un accès de folie, ou par erreur, menace votre vie!-Que si une autorité légitime ordonne entre vous et un autre un combat en champ clos, avec promesse de la vie pour le vainqueur, et, si vous refusez, mort assurée pour tous deux..... n'acceptez pas, ou n'acceptez que pour vous laisser tuer! Vous êtes attaqué par un bandit: non seulement ne croyez pas ces horribles doctrines d'un faux honneur qui représentent la fuite comme honteuse1; mais quand même la pointe du poignard serait placée par le bandit sur votre cœur, laissez Dieu vous défendre, plutôt que de donner la mort à cet homme qui est en péché mortel2!

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D'autres répondront en sens différent : Vous pouvez vous débarrasser du naufragé qui, s'attachant à vous, va vous entraîner3; jeter à la mer celui qui, s'efforçant

1 << Fuga non est vera ignominie sapienti.

(KLENCKIUS, Inst. jur. nat., d'après Grotius.) Pascal dit à certains casuistes, sur la question du duel : « C'est cela << même qui est un mal horrible, d'aimer cet honneur-là plus que la vie. » (14e Lettre provinciale.)

De graves auteurs ont soutenu ces doctrines. Ahrens les formule encore très sérieusement de nos jours. Je les ai entendu énoncer, avec la conviction la plus arrêtée, par un professeur de philosophie dont le mérite est hors ligne.

3 Puffendorff, Droit de la nature et des gens, liv. II, chap. iv, v.

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