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deux hommes d'un tempérament différent en présence d'une même séduction: si tous deux succombent, le démérite de l'un dépassera celui de l'autre ; si tous deux résistent, le mérite de tous deux ne sera pas égal.

273. Mesure du mérite et du démérite, d'après l'éducation de l'agent. -Nous venons de voir l'habitude contractée par la faute de l'agent ajouter au mérite du bien, au démérite du mal.-Mais, en sens inverse, si l'habitude s'explique par des circonstances qui ne viennent pas du fait de l'agent, elle diminue le mérite ou le démérite. L'homme est façonné dès le plus jeune âge par les leçons et l'exemple du père, du précepteur, des amis, de la société. Si autour de lui les enseignements ont été purs, il a moins de mérite à suivre le bon chemin qu'on lui a tracé. Si, au contraire, tout a contribué à l'égarer, il a plus de mérite à retrouver la voie par des efforts plus énergiques; ou si sa force morale n'obtient pas ce résultat, il est moins coupable que l'homme dont la conscience n'a point été faussée par le vice des premières impressions.

274. Faut-il ajouter une cinquième mesure du mérite et du démérite, savoir: d'après le mobile de l'action?

Il y a là deux questions: l'une sur la mesure du mérite, l'autre sur la mesure du démérite. Discutonsles séparément.

1re question. Le mobile de l'action influe-t-il sur la mesure du mérite de cette action? Chacun va répétant qu'il ne faut pas mettre sur la même ligne l'obéissance intérieure qui fait le bien par justice, et

l'obéissance extérieure qui fait le bien par intérêt. Avant de discuter cette proposition, il faut en bien poser les termes.

Le bien moral ne peut JAMAIS se faire par intérêt mal entendu. Voyez cet ambitieux aspirant au pouvoir par l'intrigue? Il fait largesse aux pauvres pour se créer des partisans. En distribuant du pain à ceux qui en manquent, obéit-il extérieurement au devoir, et produit-il un bien moral par intérêt mal entendu? Nullement. Il désobéit au devoir, et produit le mal moral, en corrompant ceux qu'il soulage. Ainsi la distinction entre l'obéissance intérieure qui fait le bien par justice et l'obéissance extérieure qui fait le bien par intérêt, ne peut se proposer qu'en supposant une obéissance extérieure qui fait le bien par INTÉRÊT BIEN ENTENDU. C'est évidemment ainsi que M. J. Simon comprend la question.

Cela étant bien convenu, voici comment cet auteur résout la difficulté : « Quand l'intérêt n'apparaît que « pour nous consoler ou nous encourager, son inter<«<vention, dans cette mesure, est légitime'... Mais <«< quand l'amour-propre se met au premier plan et << devient le but unique de nos actes, il ne les rend << pas criminels à la vérité, mais il les empêche d'être <<< méritoires 2. » — - Ici, nouvel éclaircissement nécessaire. Evidemment l'expression rend la pensée de l'auteur d'une manière exagérée. Ce qui n'est ni criminel ni méritoire est indifférent. Or une bonne ac

1 Simon, Le Devoir, partie II, chap. II.

* Id.. ibid.

tion inspirée par l'intérêt bien entendu ne peut pas devenir indifférente. L'auteur veut dire qu'elle devient moins méritoire. Examinons cette solution ainsi modifiée.

Nous avouons l'impossibilité où nous sommes de la comprendre. La raison de notre impuissance est simple, c'est que nous croyons avoir démontré l'identité absolue de la justice et de l'intérêt bien entendu '.

Si nous y avons réussi, comment distinguer des mérites divers dans ceux qui prennent soit l'un, soit l'autre mot, pour devise? - Nul tribunal humain ne perdrait une minute dans cette puérile inquisition. — Au tribunal du juge suprême, sera-t-elle de mise? Quoi! l'âme irréprochable dans son épreuve sera moins rémunérée quand, en la subissant, elle aura eu le désir du ciel et la crainte de l'enfer? Pour mériter complétement la couronne, il faudrait donc qu'en faisant le bien elle eût perdu de vue ce désir et cette crainte?.. Vit-on jamais pareille subtilité? Qu'il se lève celui qui osera soutenir ce paradoxe: Si, au moment

Cette identité nous est apparue, 10 dans une société de matérialistes où la maladresse des gouvernants laisserait l'égoïsme sans punition « matérielle. Le remords éprouvé par l'égoïste suffirait pour remplacer cette punition absente : il lui montrerait l'intérêt mal entendu dans des préten→ ⚫tions destructives de l'égalité, qui l'exposeraient au mécontentement ⚫ de lui-même.

2o A plus forte raison cette identité existe dans une société de maté⚫rialistes assez bien avisés pour punir tout acte d'égoïsme. La perspective « de la sanction extérieure obligerait l'intérêt bien entendu à s'absorber dans la justice.

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«30 Enfin cette identité nous a surtout paru évidente dans une société ⚫ de spiritualistes. En effet, comment faire comprendre à un spiritualiste, partisan de l'immortalité de l'âme, un prétendu intérêt bien entendu en « dehors de la justice? C'est-à-dire un prétendu intérêt qui compromettrait celui de l'autre vie? Ce dernier ne domine-t-il pas tout autre ? » (Voyez ci-dessus, liv. III.)

où il a dit: A MOI AUVERGNE! d'Assas disait intérieurement: A MOI ÉTERNITÉ! son acte n'était plus héroïque, car il était conforme à l'intérêt bien entendu!

Avec cette doctrine, qui donc monterait au plus haut des cieux? Serait-ce par hasard l'athée matérialiste bienveillant, dont Leibnitz croit l'existence possible? L'athée qu'un amour platonique du bien pousserait sans intérêt à tous les dévouements, «< soit << par tempérament, soit par contre-sens1?» Hélas non! pas même lui!... Car, à défaut de l'espoir d'une récompense céleste, il trouverait encore dans la vertu «‹ un plaisir qui surpasserait tous les autres plaisirs. » Il perdrait ainsi le mérite des bonnes actions que ferait naître l'intérêt de ce plaisir.

Ne nous arrêtons pas à ces inutilités. S'il fallait distinguer entre l'homme qui agit par justice et celui qui agit par intérêt bien entendu, ce dernier mériterait peut-être la préférence. Voyons en effet ce qu'il y a au fond de ces suppositions. Deux âmes comparaissent au jour du jugement, toutes deux également victorieuses des tentations mauvaises. L'une, enfermée dans des organes plus placides, a accepté le devoir en l'aimant. Elle a trouvé un bonheur facile dans l'ardeur mystique de ses élans. L'autre, soumise à des passions violentes, a eu besoin de se raidir dans la lutte : la perspective des peines ou des récompenses futures a été nécessaire pour soutenir sa résolution. La palme sera-t-elle à l'obéissance plus intérieure de la première, ou à l'obéissance plus extérieure de la se

1 Troisième lettre à M. Vessière La Croze.

conde? Nous avons répondu plus haut (no 272). Kant confirme notre réponse dans cette admirable phrase « Il n'y a que la descente dans l'enfer de << soi-même qui fraie le chemin à l'apothéose 1. »

2e question. Le mobile de l'action influe-t-il sur la mesure du démérite de cette action?—En d'autres termes, la mesure du mal varie-t-elle selon que le mobile de l'action est l'injustice ou l'intérêt mal entendu?-Ici nous répondons simplement par une fin de non-recevoir. Nul, à notre avis, n'agit par une passion qui recherche l'injustice pour elle-même. Sous l'injustice, se trouve toujours un intérêt mal entendu. Ainsi la position de la question est impossible.

TITRE III.

CONSCIENCE DU MÉRITE OU DU DÉMÉRITE DE NOS ACTIONS.

Nullum virtuti theatrum conscientia majus est.

275. La société n'a pas la mesure exacte du mérite et du démérite.

276. Mesure du mérite et du démé

(CICERON.)

rite dans la conscience.

277. Relativité de la mesure du mérite et du démérite dans la conscience.

275. D'après l'observation parfaitement exacte de M. Boisseau, la société est dans l'impossibilité de distribuer exactement les récompenses et les peines. Et d'abord elle ne connaît pas assez la sensibilité relative de chaque individu, pour proportionner à cette

1 Principes métaphysiques de la morale.

2 Des peines, pag. 23 à 35.

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