apte à remplir l'ensemble de mes devoirs en conservant ma vie et en administrant sagement ma fortune. Essayez d'invoquer un prétendu droit, sans le rattacher à un devoir! Vous invoquez un plaisir, un moyen de bien-être. Votre sensibilité seule fait la demande. La raison se tait au lieu de l'appuyer. Il n'est pas jusqu'à l'action de se promener qui, considérée dans son but sérieux et non comme fantaisie, ne suppose le devoir de conserver, avec la vie et la santé, les forces que Dieu nous a données pour un usage déterminé !

192. Cette théorie n'est pas nouvelle. C'était celle des anciens auteurs de droit naturel. Parmi les modernes, Burlamaqui la reproduit1: «Comme tout droit, << dit-il, suppose nécessairement un devoir de la part « des autres, tout droit est fondé sur un devoir réci« proque. Le droit que l'homme a de se procurer ce « qui est nécessaire à sa conservation, est fondé sur « le devoir de se conserver, sous peine de douleur et << de mort. L'homme a le droit d'acquérir, parce que << sans acquisition il ne peut se nourrir, et que sans <«<< nourriture il ne peut se conserver.... Si je n'étais << pas obligé rigoureusement de conserver ma vie, je <<< n'aurais pas le droit de la défendre à main armée « contre un injuste agresseur. »

193. Le véritable langage à adopter serait celui-ci : Il y a des devoirs purement passifs, qui obligent seulement le débiteur à souffrir la réclamation du créancier. Il y a des devoirs à la fois passifs et actifs,

Principes du droit des gens, (partie III, chap. II, et part. I, chap. VII.

qui non seulement obligent le débiteur à souffrir la réclamation légitime d'un créancier, mais qui obligent le créancier à faire cette réclamation.

Vous m'avez prêté 1,000 francs, vous les réclamez, je vous les rends; vous êtes mon père, vous m'imposez une punition, je l'accepte..... Je subis le devoir passif, le devoir que tout le monde appelle ainsi.

Mais vous, créancier de ces devoirs contre moi, vous êtes débiteur d'autres devoirs envers autrui, envers vous-même, envers Dieu. C'est pour y satisfaire que vous me demandez 1,000 francs, ou que, père désolé, vous frappez ou maudissez..... Exercer ainsi votre droit contre moi, ce n'est rien autre chose qu'exercer un devoir actif envers Dieu, envers autrui, envers vous-même.

Dans le devoir passif, la dette apparaît au premier Dans le devoir actif, elle apparaît au second

plan. plan.

194. Qu'on ne nous accuse pas, en préférant au mot droit le mot devoir actif, de faire des subtilités inutiles..... L'homme qui se persuaderait que tous les actes de sa vie sont des devoirs, réfléchirait plus sérieusement qu'on ne le fait d'ordinaire avant de les commettre. - Ahrens fait observer que le législateur lui-même perfectionnerait son œuvre, s'il analysait de cette manière l'essence du droit.

Il regrette que, dans les lois positives, on néglige trop « de considérer sous cet aspect les prétentions ju<«< ridiques. On méconnaît par là, dit-il, un côté très

important du droit, la réciprocité de l'obligation et

<< de la prétention: mépris qui peut avoir de funestes <<<< résultats pour la vie sociale 1. >>

N'est-ce pas cette même théorie qui vient d'inspirer un professeur de la faculté des lettres de Caen2, lorsqu'il représente l'humanité passant par trois âges successifs, dont le dernier réalisera l'absorption du droit dans le devoir? Voici l'analyse que nous trouvons de cet enseignement dans la Revue des Cours publics:

<< L'humanité est, à l'origine, conduite au but où << Dieu l'appelle par ses instincts et ses passions. « C'est son premier âge.

<< Elle passe de cette servitude, dont elle s'affranchit << peu à peu, mais non sans de violentes agitations, au <«< régime à demi libre du droit, qui se substitue à <«<l'instinct passionné et continue son œuvre. C'est << son second âge.

<< Elle finit par s'élever de cette demi-liberté à la << liberté pleine et entière, à la liberté virile, ayant << conscience d'elle-même. Elle n'a plus alors d'autre << guide, d'autre conseil que le devoir. C'est son troi« sième et dernier âge.

<< Ce que nous faisons, tous tant que nous sommes, << d'abord par passion, ensuite en vertu d'un droit, ef<< forçons-nous de nous élever à cette hauteur morale << où nous ne le ferons que pour accomplir un devoir. << L'instinct s'émousse, le droit change, le devoir

1 Ahrens, Cours de droit naturel, partie générale, chap. II, § 3. 2 M. Charma.

3 Numéro du 30 septembre 1855.

<<< seul est et reste éternel. L'instinct et le droit, c'est <«<le provisoire; mais le devoir, c'est le définitif : et «< nous lui devons, ajouterons-nous, consacrer notre << âme entière, pour qu'elle se présente à Dieu parée << de vertus et heureuse d'avoir accompli sa desti<< nation. >>

LIVRE II.

CONSCIENCE DU DEVOIR : RÉVÉLATION ABSOLUE DU PREMIER PRINCIPE DU DEVOIR.

196. Double forme de ce principe : 197. Division de ce livre.

195. « On peut donner le nom de principe fonda«< mental à une proposition qui renferme le caractère << primordial et certain des devoirs naturels, et de la

quelle, une fois admise ou prouvée, on peut déduire << tous ces devoirs 1. » - Peut-on trouver un principe de ce genre; un principe « qui convienne si « nécessairement à la nature raisonnable et sociable << de l'homme que, sans son observation, il ne saurait

Pestel, Fundamenta justitiæ naturalis, traduit du latin sur la 2e édition (partie II, sect. III, no 242).