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gens dedans ladite ville, et survint à nostre camp à deux heures de nuit, sur une montaigne là où il y avoit un moulin, où arriverent premierement des chevaux legers en grand nombre, lesquels donnerent l'allarme. Puis arriva ledit sieur conestable avec gens de pieds et artillerie, qui incontinent à toute reste tira dans nostre camp, en telle sorte qu'il fallut abandonner les quartiers, voire mesme tiroit dans nos escadrons. Ses gens de pieds françois descendirent le bas de la montaigne jusques à la riviere', mesme furent du long de la chaussée du vivier tout proche des moulins, et cependant avec des batteaux autres gens de pieds françois entrerent dedans ladite ville, et par tel moyen fut secouruë.

Ce fait ledit conestable commença à se retirer, que lors vint ordonnance que nos chevaux legers trouvassent moyen d'aller passer la riviere plus haut que le camp. Monseigneur le comte d'Egmont fit marcher au grand trot toute sa cavaillerie plus de lieuë et demie avant que passer la riviere, laquelle ayant passé, fut necessaire de courrir plus de deux grandes lieuës, car le François se retiroit en haste, et en bon ordre. Et cependant les reistres arriverent, la gendarmerie arriva, les gens de pieds espaignols estoient à nostre veuë, les François faisans tousiours devoir

d'artillerie, seize enseignes françaises, vingt enseignes allemandes, « toute la cavalerie et gendarmerie, laquelle toute la « nuict avoit passé par dedans La Fère, pour arriver à poinct « nommé. » Ib.

1 La Somme, qui prend sa source à quelques lieues de SaintQuentin.

2 La cavalerie allemande, de reitter, cavalier.

3 Les bandes d'ordonnances ou grosse cavalerie.

de se retirer, et gaigner un bois qui leur estoit voisin. Monseigneur le comte d'Egmont faisoit aussi devoir de mettre ses gens en ordre, afin de donner dedans, ce qu'il fit en une briefve deliberation. Il nous dit à tous ceux qui estions sous sa charge, en cette ou semblable maniere:

CHAPITRE XXIX.

De la victoire du comte d'Egmont sur les François devant Saint-Quentin.

« Messieurs, ce sera aujourd'huy un jour de bataille << et victoire pour nous, s'il plaist à Dieu : pourquoy je « vous prie tous de bien faire vostre devoir, et de ne « s'arrester à prendre aucuns prisonniers que la vic«<toire ne soit gaignée. » Ce que tous les capitaines et seigneurs promirent de faire, et ainsi fut fait et observé. L'on baissa les visieres, et mit les lances en l'arrest, et fut ainsi donné au travers des escadrons des gens de pieds de l'armée françoise, laquelle en un instant fut vaincuë et renversée, et poursuivie jusques aupres de la Fere', si que de cette armée françoise il n'eschappa un seul homme de pied ny de chevaux, sinon fort peu.

1 « Le lieu du grand massacre et plus furieuse tuerie fut, «< comme chacun le tesmoigne, entre le grand Essigny et une << maison de gentilhomme appellée Rizerolles et un grand chemin appellé Blanc-Fossé, où chacun tiroit pour se sauver et là << estoient attendus pour y payer le dernier tribut de leurs vies. « Ce piteux spectacle et tres cruel sacrifice dura pour le moins (( quatre ou cinq heures, que le vespre commençoit, quand les << ennemis poursuivirent leur victoire jusques à la justice, distant << une lieue de La Fère. » Rabutin, 697.

L'artillerie fut gaignée et toutes leurs amonitions. Le general sieur conestable fut prins prisonnier, et de tous les autres sieurs et capitaines, il n'en eschappa pas un de qualité ou de nom, sinon le sieur de Montmorency, lequel avoit un bon cheval'.

Afin que soyez participant de la fin de ma vie, cedit jour mon cheval se deferra auparavant de donner bataille, monsieur de la Trolliere, mon bon seigneur et capitaine, m'en presta un des siens, lequel n'estoit pas des meilleurs, et apres la charge faite j'avois eu du mal assez de le suivre, courant comme il faisoit au travers de la bataille, et ne le peus jamais aborder jusques au coin d'un bois, que son cheval et le mien ne pouvans plus courrir, force nous fut de leur donner haleine, et lors passerent devant nous deux chevaliers françois, entre luy et moy, sans nous rien dire, qu'aussi tost je courrus apres, et en prins l'un, lequel je mis en mains de mondit sieur capitaine, courrant apres l'autre jusques aupres de la Fere mais je ne le pus avoir, et m'en retournant je trouvay un reistre serviteur2 qui menoit le lieutenant de monsieur le conestable prisonnier, par les resnes de son cheval, lequel sieur lieutenart en abordant à luy me dit : « ha mon capitaine « sauvez moy la vie, ces Allemans me tueront, et je «< suis à demy mort, voyez mes deux bras pendans,

1 Une ordonnance, conservée aux archives du royaume (liasses de l'audience), assignait pour résidence diverses villes du pays, aux nombreux prisonniers de distinction faits dans cette mémorable journée, où la victoire fut due surtout à la bravoure de la cavalerie des Pays-Bas.

2 Chaque homme d'arme, reitre ou chevau-léger avait un valet, ou serviteur. Ordonnances de 1547 et 1552, etc. Rabutin, 683.

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desquels je ne me puis plus aider, ny secourir, ny << tenir la bride de mon cheval, » et en parlant et devisant avec luy, je luy promis de ne l'abandonner. Ledit reistre allemand qui le menoit, me dit en son langage Willefrecasse1?» je luy respondis « Viefille?» il me dit trente couronnes, à quoy je m'accorday, et environ demie heure apres je trouvay mon page, lequel portoit ma bourse, et je contay audit reistre la somme de vingt-huit escus et demy, qui me delivra ledit prisonnier lieutenant, nommé monsieur de la Chapelle Biron, lequel se mit à rançon de quinze cens escus d'or, desquels j'ay esté payé2.

Enfin la ville de Saint-Quentin fut aussi prinse par force et d'assaut3. Le Chastelet rendu, et le chasteau de Ham* prins, et le tout bien muny et fortifié, nostre camp se retira à l'entrée de l'hyver.

1 Inutile de faire observer que le bon chroniqueur traduit singulièrement ce langage.

2 Cette cupidité des officiers et soldats faillit causer la désorganisation de l'armée des Pays-Bas. De Thou, 1. XIX, 522. 3 Saint-Quentin fut emporté d'assaut le 27 août 1557; la première attaque avait été faite par 1,500 allemands, sous Lazarus de Schwendi, gouverneur de Philippeville; la deuxième fut exécutée par des espagnols et des wallons, sous les ordres de Navarette et du comte de Meghem; Julien Romero conduisit la troisième, à la tête de trois enseignes espagnoles et de 2,000 anglais; enfin la quatrième fut confiée à trois enseignes bourguignonnes, commandées par Jehan de Carondelet, depuis capitaine et gouverneur de Charlemont. L'amiral et ses principaux officiers furent faits prisonniers. Rabutin, 710, 711.

4 Ham fut pris le 12 septembre; l'armée occupa ensuite Noyons et Chauny.

CHAPITRE XXX.

De l'armée des François mise en route devant Gravelines par le comte d'Egmont, et du roy de France assiegeant Thionville en mesme temps avec une autre armée.

L'esté suivant, qui estoit l'année 1558, le roy de France eut son armée plus tost preste et en campaigne que la nostre, il assiegea Thionville et la print par appointement'. Ledit roy de France avoit une autre armée, laquelle passa prez de Gravelines, du long de la marine2, et entra en Flandre, print Dunquerque, et autres petites villes, et pilla beaucoup de villages par le plat pays. Monseigneur le comte d'Egmont eut charge d'aller vers ce quartier avec sa cavaillerie et nombre de gens de pieds, et fit tel devoir et diligence qu'il arriva avec ses gens de che‐ vaux et de pieds audit Graveline, et en abordant il desiroit aller leur donner la battaille: mais le pays est si plein de fossez, que la cavaillerie n'y peut passer.

Le François ayant recognu le pays se jetta hors de son fort, menant toute son artillerie, avec laquelle il commença à tirer mesme dans nos escadrons, en sorte que nous fumes contraints de nous retirer, et camper tout prez des murailles de Graveline.

Le lendemain, le François ne bougea point, ny semblablement nostre petit camp.

Le troisiesme jour3 il fut conclud et ordonné d'aller

1 La capitulation de Thionville est du 22 juin 1558.

2 Au bord de la mer.

5 Le 13 juillet 1558.

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