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vue, et nous ignorons ce que cette vue doit nous donner à penser.

Voici donc deux observations : la première, que l'invention et la nouveauté du sujet ne sont pas à beaucoup près la principale chose que nous demandions au peintre; la seconde, que le choix d'un sujet connu favorise et facilite l'effet de son art. Si l'on adopte ces deux principes, je crois que pour expliquer comment l'artiste se résout si rarement à traiter des sujets nouveaux, il n'en faudra plus chercher la cause avec Caylus dans sa commodité, dans son ignorance, dans les difficultés de la partie mécanique de l'art, qui demande tout son temps et toute son application. On trouvera que sa conduite a des causes plus profondes, et peut-être même que là où l'on ne voyoit que d'injustes bornes mises à l'art et à nos plaisirs, on reconnoîtra une sage retenue de l'artiste, qui nous est utile à nous-mêmes, et qu'on aura sujet de louer. Je ne crains pas non plus que l'expérience me réfute. Les peintres sauront gré au Comte de sa bonne volonté, mais je doute qu'ils en profitent aussi généralement qu'il l'a cru. Il auroit mieux valu, j'en conviens, que dès le temps de Raphaël, les pein

tres eussent pris Homère, au lieu d'Ovide, pour leur répertoire. Mais puisqu'enfin les choses sont ainsi, qu'on laisse le public dans la voie qu'on lui a frayée, et qu'on ne lui fasse pas acheter ses jouissances plus cher qu'il ne faut pour qu'elles demeurent des jouis

sances.

Protogènes avoit fait le portrait de la mère d'Aristote. Je ne sais pas combien ce philosophe le paya, mais il donna au peintre soit en paiement, soit par-dessus le paiement, un avis qui valoit mieux encore. Il lui conseilla de peindre les actions d'Alexandre; et je ne puis me résoudre à ne voir qu'une flatterie dans ce conseil. Non, Aristote avoit considéré combien l'art avoit besoin de se rendre intelligible à tout le monde, et il conseilla au peintre de représenter les actions d'Alexandre, dont tout le monde alors s'entretenoit, et dont il prévoyoit que la mémoire seroit durable. Mais Protogènes ne fut point assez sage pour profiter de ce conseil. Impetus animi, dit Pline, et quædam artis libido', un certain déréglement de génie, un certain appétit d'artiste pour le bi

Lib. xxxv. sect. 36. p. 700. edit. Hard.

zarre et l'inconnu, l'entraînèrent à des sujets d'un tout autre genre; il aima mieux peindre l'histoire d'un Jalysus, d'une Cydippe et d'autres semblables, dont il est impossible aujourd'hui de deviner seulement les sujets.

XII.

On trouve dans Homère deux espèces d'actions et de personnages, les uns visibles, les autres invisibles. La peinture ne peut indiquer cette différence; chez elle tout est visible, et visible de la même façon.

Qu'arrivera-t-il donc, si le comte de Caylus fait succéder dans une suite non-interrompue, des tableaux d'actions visibles, et d'actions qui ne le sont pas? si dans ceux où paroissent des personnages des deux espèces, il n'indique pas, et peut-être ne peut indiquer comment le peintre devra disposer les personnages que le spectateur sera censé seul appercevoir, pour que les acteurs qu'il met en scène avec eux puissent ne pas les voir, ou du moins pour qu'il nous soit possible de le croire? certainement toute la suite,et même plus d'un tableau particulier, n'offrira confusion, contradiction, obscurité.

que

.

Cependant on pourroit à toute force remédier à ce mal, en prenant le livre à la main. Ce qu'il y a de pire, c'est que la peinture, en faisant ainsi disparoître la différence du visible à l'invisible, perd aussi tous les traits caractéristiques qui élèvent les êtres de l'espèce supérieure au-dessus des êtres inférieurs.

Voyons, par exemple, dans Homère, les dieux partagés sur le destin de Troie, en venir entr'eux aux mains. Tout ce combat appartient chez lui'à la classe des actions invisibles; et c'est en le peignant comme tel qu'il donne l'essor à notre imagination, qu'il lui permet d'étendre la scène, de donner au personnel des dieux et à leurs actions une grandeur illimitée, de les élever au-dessus des proportions humaines, sans autres bornes que son bon plaisir. La peinture, au contraire, est forcée de placer tous ses acteurs sur un théâtre visible, dont les dimensions nécessairement connues nous servent à les mesurer. Cette mesure est toujours à portée de l'œil, et par cela même qu'elle rend sensible l'énorme disproportion des êtres supé

'Iliad. . v. 385.

rieurs, ces êtres qui n'étoient que grands dans l'imagination du poète, deviennent monstrueux sur la superficie visible où le peintre les a transportés.

C'est contre Minerve que Mars tente la première attaque qui commence le combat; elle recule, et d'une main puissante, enlève de terre une pierre brute, une roche énorme et noircie par le temps, qu'autrefois plusieurs hommes ensemble avoient roulée vers cette place, pour y servir de borne à leurs champs.

Η δ' ἀναχασσαμενη Λίθον είλετο χειρι παχειῇ,
Κειμενον ἐν πεδιῳ, μελανα, τρηχυντες μεγαν τε,
Τον ῥ άνδρες προτεροι θεσαν έμμεναι έξον άρεξης.

Pour bien apprécier la grandeur de cette pierre, qu'on se rappelle qu'Homère donne à ses héros une vigueur double de celle des plus forts hommes de son temps, et qu'il peint la vigueur des hommes que Nestor avoit connus dans sa jeunesse, comme surpassant encore bien davantage la force qu'il donne à ses héros. Or maintenant, je le demande, pour que Minerve soulève d'une main cette pierre, roulée ainsi pour servir de borne, non par un seul homme, mais par plusieurs hommes, contemporains de la jeunesse

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