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Mais je ne suis pas moins certain que je suis capable d'une multitude d'affections diverses. Essayons si dans cette multitude nous pouvons reconnaître quelques modes distincts dont nous puissions faire des classes différentes, sous lesquelles il soit possible de ranger toutes nos perceptions, afin de commencer à y mettre quelque ordre, et à y porter quelque lu

mière.

J'observe d'abord que je suis souvent affecté d'une certaine façon que nous appelons vouloir. Nous connaissons tous, par expérience, par sentiment, cette modification de notre être. Nous savons qu'elle consiste à désirer d'éprouver ou d'éviter une manière d'être quelconque. Je ne puis la confondre avec aucune autre; ainsi, voilà un mode distinct de ma sensibilité que j'appelle volonté, et ses actes des désirs.

Je remarque ensuite que je ne puis pas concevoir en moi, ni même dans aucun être animé, un désir sans un jugement préalable, implicite ou explicite, qui prononce qu'une telle affection est bonne à rechercher ou à éviter. Quand on juge qu'une chose est désirable, on ne la désire pas encore pour cela. On est affecté en jugeant autrement qu'en désirant; c'est un autre acte de notre sensibilité. Cette nouvelle action, cette nouvelle fonction, on l'appelle jugement, et les perceptions qui en résultent on les appelle encore des jugemens, tant nos langues sont pauvres et mal faites pour tout ce qui a rapport aux opérations de notre esprit. Cela doit être, car ces opérations, ayant toujours été mal démêlées, ne peuvent être que mal désignées.

Cette action de juger consiste à voir que l'idée que j'ai d'une chose appartient à l'idée que j'ai d'une autre. Quand je juge qu'un fruit est bon ou n'est pas bon, j'aperçois, je perçois, je sens que dans l'idée totale que j'ai de ce fruit, est comprise l'idée d'être bon ou celle de n'être pas bon. Ainsi, la perception appelée jugement, qui résulte de cet acte appelé juger, est toujours la perception qu'une idée en renferme une autre.

Ceci me conduit à une autre observation. Pour que j'aperçoive qu'une idée en renferme une autre, il faut qu'auparavant j'aie perçu ces deux idées. Il y a donc un autre acte de ma sensibilité qui consiste à sentir, à percevoir purement et simplement une idée, une perception quelconque. Cet acte n'est ni celui de juger, ni celui de désirer; il en est distinct; il est nécessairement antérieur, ne fût-ce que d'un instant ou peut l'appeler spécialement sentir.

Mais la perception que je sens, l'idée quelconque que je perçois, peut être l'effet direct d'une cause actuellement présente, ou n'être que le rappel d'une impression déjà éprouvée, d'une idée déjà perçue. Cette circonstance est assez frappante et assez importante pour distinguer deux espèces dans l'action de sentir simplement, sans juger ni désirer encore. La seconde de ces deux façons de sentir peut s'appeler se ressouvenir, et ses effets des souvenirs.

Ainsi, quoique tout effet de notre sensibilité, tout acte de notre pensée, tout mode de notre existence consiste toujours à sentir quelque chose, nous pouvons distinguer quatre modifications essentiellement

différentes dans cette action de sentir, celles de sentir simplement, de se ressouvenir, de juger et de vouloir, et nous nommerons leurs effets sensations (dans le sens de perceptions directes), souvenirs, jugemens et désirs.

Ces distinctions sont autant de nouveaux faits dont je suis tout aussi certain que du premier fait général, je sens ; et j'en suis certain de la même manière, c'està-dire parce que je les sens : ce qui est ma seule manière d'être sûr de quoi que ce soit.

Je sais que beaucoup d'observateurs de l'homme ont remarqué plusieurs modifications de notre sensibilité qu'ils ont cru devoir distinguer, telles que la réflexion, la comparaison, l'imagination, etc. Je ne nie point que ce ne soit en effet là autant d'états de notre sensibilité, ou d'opérations de notre pensée, qui diffèrent réellement les unes des autres; mais il n'en résulte pas pour nous immédiatement des perceptions d'un genre nouveau que nous puissions nommer des réflexions, des comparaisons, des imaginations: Quand je compare deux idées, je les sens et je les juge ou je ne fais rien : il en est de même quand j'y réfléchis. Quand j'imagine, j'assemble différemment des idées que j'ai déjà eues ; je sépare les unes, je réunis les autres, j'en forme de nouvelles combinaisons; mais tout cela en vertu de ce que je les perçois et que j'en porte des jugemens. Ainsi ce sont là autant d'opérations intellectuelles différentes, si l'on veut, mais ce ne sont pas des opérations élémentaires et primordiales, puisqu'elles se résolvent toutes dans celles que nous avons remarquées. On trouvera la même chose

dans tous les cas qu'on voudra se donner la peine de bien examiner. Nous ne faisons donc jamais que percevoir, juger et vouloir. Essayons de pénétrer plus

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JE poursuis l'examen de ma propre existence, parce que c'est la seule dont je sois sûr directement et immédiatement. Elle consiste dans ce que je sens ; et je continue à l'observer abstractivement et séparément de l'existence de tout autre être, parce que je ne connais celle-ci que subséquemment et médiatement. Nous verrons ensuite comment nous découvrons cette seconde existence, en quoi elle consiste, ce que nous en savons, et ce que nous en devons penser. En attendant, néanmoins, je parlerai toujours des corps comme s'ils existaient réellement. C'est l'opinion commune ; et nous verrons bientôt qu'elle est fondée.

Toutes ces perceptions ou idées que nous ne faisons que sentir, et en conséquence desquelles ensuite nous jugeons et désirons, sont fort différentes entre elles.

Nous avons d'abord des sensations proprement dites, lesquelles ne sont que de simples impressions que nous recevons de tous les êtres qui affectent notre sensibilité, y compris notre propre corps ; telle est la

perception de brûlure ou de piqûre. Nous avons des idées de ces êtres, qui agissent sur nous, lesquelles sont composées de la réunion de toutes les affections qu'ils nous causent; telle est l'idée d'un poirier ou d'un caillou. Nous avons de même des idées des propriétés, des actions, des qualités de ces mêmes êtres, lesquelles ne sont encore que les impressions que nous en recevons, considérées non dans nous, mais dans les êtres qui les produisent; telle est l'idée de chaleur ou de pesanteur.

Toutes ces idées sont d'abord relatives à un seul fait. Elles sont individuelles et particulières. Nous les étendons ensuite à tous les faits qui se ressemblent, abstraction faite de leurs différences : elles deviennent générales et abstraites. Ainsi l'idée brûlure n'est plus celle d'une telle brûlure, mais de toutes les brûlures; l'idée d'un arbre n'est plus celle d'un tel arbre, mais de tous les arbres ; l'idée de chaleur n'est plus celle de la chaleur d'un tel corps, mais de la chaleur de tous les corps chauds.

Ensuite nous établissons des degrés dans ces idées générales et abstraites, et nous formons des idées d'espèces, de genres, de classes, par des éliminations successives, de manière que moins elles conviennent à un grand nombre d'êtres, plus elles retiennent des particularités de chacuns d'eux, et que plus au contraire elles s'étendent à une grande multitude, moins elles renferment des élémens propres à chaque individu : c'est ainsi que nous formons successivement les idées poirier, arbre, végétal, corps, et enfin être, qui étant la plus générale de toutes,

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