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qui croyoit les accabler, lorfque ces innombrables armées d'efclaves s'évanouiffent devant des hommes libres; l'ame eft agrandie & confolée; elle voir ce que peut la valeur éclairée contre la force aveugle & les reffources qui lui reftent contre la tyrannie.

Si Rome a fubjugué Athenes, Athenes à fon tour, a fubjugué Rome; les armes romaines n'ont pu affujettir que les corps des Grecs, & les arts des Grecs ont affervi les esprits dos Romains.

Gracia capta ferum vidorem cepit & artes
Intulit agrefti latio.

Avant la conquête de la Grece, les Romains favoient labourer la terre & tuer des hommes; les vaincus leur apprirent à penfer, à diftinguer & à fentir le beau fi, depuis, ils ont égalé leurs maîtres dans certaines parties, les grecs ont toujours la gloire de l'invention; les Latins ont mis dans leurs ouvrages plus de vigueur & d'énergie; mais ceux des Grecs l'emportent par la douceur & l'harmonie du ftyle, par la délicateffe & la grace, & par ce goût févere qui fait déguifer l'art pour se rapprocher de la nature. La foibleffe latine n'a jamais pu atteindre à la hauteur de la poéfie dramatique. Les Romains n'ont jamais eu cet enthoufiasme des talens qui animoit les Grecs; les conquérans du monde auroient cru s'avilir en maniant le cifeau & la palette; chez eux la peinture & la fculpture, abandonnées à des elclaves, ont perdu cette vie, cette beauté dis

vine que favoient leur donner les mains libres des Grecs. Dans le beau fiecle d'Augufte Virgile accordoit encore aux Grecs la gloire des arts, & réservoit pour les Romains celles des conquêtes.

Excudent alii fpirantia mollius ara...
Orabunt caufas melius, &c.

Horace convenoit que les Grecs, uniquement paffionnés pour les lettres, y avoient mieux réuffi que les Romains, trop occupés du foin de leur fortune.

Graiis ingenium, graiis dedit øre rotundo
Mufa loqui, præter laudem nullius avaris.

Les Grecs n'ont brillé qu'un moment : groffiers & barbares pendant plufieurs fiecles, c'eft dans les guerres contre les Perfes qu'ils commencent à faire éclater ce grand caractere qui les éleve au-deffus de toutes les nations: après la mort d'Alexandre, on les voit dégénérer & s'affoiblir. Les talens concentrés jufqu'alors dans le lieu qui les vit naître comme dans leur patrie, dédaignent bientôt d'honorer un peuple qui s'est déshonoré lui-même ; ils abandonnent avec indignation les vils efclaves des Macédoniens pour fe rendre dans Alexandrie, où les invite la magnificence des Ptolémées. Après avoir langui pendant long-tems fous le joug de la Macédoine & de plufieurs petits tyrans, la Grece eft affervie par les Romains: pendant toute la durée de l'Empire elle n'occupe plus de place dans l'hiftoire. Athenes, cependant,

A

eft toujours remarquable par fes écoles, furtour depuis que Conftantinople eft la capitale du monde; c'eft toujours à Athenes qu'on va puifer le bon goût & la faine éloquence; enfin, cette belle contrée devient la proie des Tures, & dans l'abaissement où font tombés fes habitans, ils ne confervent plus aucune trace de leur fplendeur : tout en eux, jufqu'à leur langage, eft corrompu & dégradé.

Tel eft le tableau des deftinées de la Grece: deux fiecles de gloire; & le reste passé dans la barbarie & dans la fervitude: mais, cette gloire eft fi brillante, que fon éclat rejaillit jufques fur les tems d'opprobre qui l'ont précédée ou fuivie; l'enfance des Grecs, quoique groffiere, devient intéreffante, quand on confidere comment, de cet excès de férocité & d'ignorance, ils ont pu s'élever à ce haut degré de politeffe & de lumieres; la décadence honteufe des Grecs, & l'état d'humiliation profonde où ils font réduits après des jours fi beaux, nous offre un exemple frappant de la foibleffe humaine & des viciffitudes du fort on aime à contempler la Grece ainfi avilie, comme les ruines & les débris d'un temple fameux.

C'est par ce motif, fans doute, que l'auteur s'eft engagé dans des détails fur l'origine des Grecs, qui feroient froids & ennuyeux, s'il s'agiffoit de tout autre peuple; rien n'est à mépriser dans l'hiftoire d'une nation qui a éclairé l'univers ce n'eft donc point un abrégé que M. Cousin Defpréaux préfente au public,

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c'est une hiftoire complette où il a recueilli & fondu avec goût tout ce que les anciens & les modernes ont écrit fur la Grece. Cer ouvrage important manquoit à notre littérature, & je crois que la prodigieufe difficulté de l'entreprise en a jufqu'ici détourné tous les favans la Grece renfermoit une multitude de petits états, unis par une confédération réciproque, mais divifés par leurs loix & leurs coutumes: les relations font fi étroites, qu'à chaque instant l'histoire d'un peuple fait partie de celle d'un autre; quel art ne faut-il pas pour rapporter toutes les actions, tous les intérêts particuliers à la maffe des actions & de l'intérêt général? quelles recherches, quel travail n'exige pas le détail immenfe des loix, des coutumes, des mœurs, de la religion, des fciences & des arts? comment percer la nuit des tems héroïques? quel fil pourra guider l'hiftorien dans ce tortueux labyrinthe comment diftinguer la vérité enveloppée & obfcur cie par un amas de fables, fruits de l'imagination & de la vanité des Grecs?

Animé par le defir d'être utile, M. Coufin Defpréaux a furmonté glorieufement tous ces obftacles on en jugera par les quatre premiers volumes qui comprennent un espace de fix cens ans, depuis l'arrivée d'Inachus & des colonies égyptiennes, jufqu'à la prife de Troyes. Cette partie de l'ouvrage étoit la plus ingrate & la plus difficile à traiter; il a fallu débrouiller l'origine des différentes peuplades qui, fucceffivement, vinrent s'établir dans la Grece :

& cela fans autre fecours, que des traditions fabuleuses, & le chaos de la mythologie. Qu'est-ce que l'histoire d'une multitude de petites hordes de brigands, occupés à fe piller les uns les autres, fans loix, fans commerce, fans habitation fixe? car, tel eft le tableau que Thucydide nous trace des premiers tems de la Grece. Cependant, l'auteur a fu faire for. tir la lumiere de ces tenebres épaiffes, &, raffemblant les différens traits qui fe trouvent épars dans une foule d'écrivains, il en a formé une narration fuivie, claire & nette, & même plus intéreffante que la matiere ne fembloit le comporter.

Pour donner une marche plus libre à fon hiftoire, il a placé dans le premier volume les difcuffions néceffaires à l'intelligence des faits on y trouvera une description très-étendue de la Grece, des tables chronologiques qui font le résultat de ce que les favans ont découvert jufqu'ici de plus exact & de plus für, des differtations très-utiles fur les mefures, les monnoies, & la maniere de compter des Grecs; enfin, un traité fur la mythologie grecque, très-judicieux & plein d'une faine criti que. Le lecteur, muni de ces connoiffances préliminaires, peut fuivre le récit fans aucun embarras.

A la tête du fecond volume, l'auteur, dans une introduction, nous préfente l'état de la Grece avant Inachus; ce pays défolé par le déluge, n'avoit confervé pour habitans que quelques pâtres retirés fur les montagnes, &

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