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Cet édit, qui embraffe toutes les parties du gouvernement d'une auffi importante province, mérite, à plufieurs égards, une grande attention. Il fait admirer le génie de Soliman : nous disons le génie, quoiqu'on ne trouve guere que de là raifon dans cet édit; car il faut être né avec du génie pour avoir de la raison fur un trône auffi defpotique & auffi ignorant que celui des Turcs. On peut y voir encore combien l'ignorance & les ufages barbares d'un peuple, corrompent les idées de juftice naturelle dans le defpote même qui s'éleve le plus audeffus de fes esclaves.

» Les Pachas, porte un des articles de cet » édit, pourront dépofer les cheiks Arabes, » & nommer leurs fucceffeurs ; ils pourront » auffi les condamner au fupplice mais cer "exercice de leur autorité & ces changemens » ne doivent pas être dictés par le caprice ou » par la partialité. Ils nous enverront, à la

fin de chaque année, un mémoire détaillé » & juftificatif, dans lequel ils expliqueront » les raifons qui ont donné lieu à la dépofi» tion des uns, & au châtiment ou fupplice » des autres. «

Ce pouvoir de condamner à mort fans aucune espece de formalité, ne doit pas surprendre dans un état defpotique; & Soliman paroît vouloir au moins que le pacha réponde fur fa tête de celles qu'il aura fait tomber injuftement; & quoique cette espece de juftice n'ame ne guere que des meurtres après des meurtres; quoique, dans cet ordre de chofes, pour pu

nir un crime il en faille commettre un autre; on peut favoir gré à Soliman de fon intention. Mais à qui ce prince s'adreffe-t-il pour favoir fur quels motifs le pacha a fait mourir des hommes? Au pacha lui même; au feul homme précisément qui ne lui dira pas la vérité s'il a intérêt qu'elle foit cachée. Quoi! Soliman n'a pas pu imaginer quelque moyen plus propre à lui faire connoître la vérité? Il n'a pas imaginé qu'il valoit mieux interroger l'opinion d'une province, d'une ville, d'un corps quelconque préposé à cet effet? Non. Les defpotes n'imaginent pas de ces moyens, ou ils leš redoutent. Un Européen en propofoit de femblables à un prince Afiatique qui paroiffoit vouloir étudier l'art difficile d'être jufte fur le trône : Ah! s'écria le prince, voilà bien des affaires; on n'auroit pas le tems de gouverner.

On peut être affuré d'avance qu'une loi, quelle que puiffe être fa fageffe, fera inutile, ou même funefte, toutes les fois que ceux qui feront chargés de fon exécution auront un pouvoir abfolu & affranchi de toutes les formalités. C'eft ce qui eft arrivé à l'édit de Soliman. Cette loi n'eft pas tombée tout à-fait en défuétude, mais elle n'eft guere plus qu'une arme d'oppreffion entre les mains de ceux qui devroient s'en fervir pour protéger le peuple.

Il faut entendre parler ici le traducteur, & fe rappeller que c'eft un homme éclairé, & un homme qui a vécu 40 ans dans le pays dont il parle.

Au refte, malgré l'indépendance qui re

»gne aujourd'hui dans le gouvernement d'E"gypte, malgré le defpotifme & l'anarchie » qui fe fuccedent alternativement; malgré les » défordres, les vexations, les dévastations » mêmes, occafionnés par la cupidité infatia»ble de plufieurs rivaux qui fe difputent la place de Cheik-el-Beled, ou commandant. » général de l'Egypte, les édits & réglemens de Soliman n'y font point entiérement tom» bés en défuétude; on femble les refpecter » même en les tranfgreffant. On s'en autorife, » on les exécute, mais avec des modifications » ou des interprétations arbitraires qui tour» nent toujours à l'avantage du plus fort & à » la ruine du cultivateur. S'ils font obfervés » à la lettre, ce n'eft que lorsqu'ils devien» nent, entre les mains d'un chef avide, un » prétexte plausible pour dépouiller les vaffaux » d'un compétiteur qu'il traite en rebelle, & » qui n'eft rebelle que pour avoir fuccombé. » Son exemple entraîne une fubverfion totale » de l'ordre. Les beys, à l'aide defquels il a triomphé, les commandans généraux de mili» ces qu'il ménage, ceux qui lui doivent leur

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fortune, tous fes partifans, chacun felon le » degré d'autorité dont il est revêtu, vexent » impunément les cultivateurs de leur dépen» dance, enlevent leurs récoltes, & les rédui» fent, pour des crimes fuppofés, à la nécef>> fité d'abandonner tout ce qu'ils poffedent » pour fauver leur vie. «

Voilà ce que produit le defpotifme; & il a trouvé des apologiftes!

Les contes qui font à la fuite de l'abrégé hiftorique, ont également le mérite de nous faire mieux connoître les mœurs des pays où ils ont été écrits. Les contes orientaux qui n'ont peut-être pas fervi de modèle à tous les autres, parce que, dans tous les pays du monde, on fait naturellement des contes, font ceux dont le merveilleux étonne le plus notre imagination; & l'imagination cependant s'étonne peu du merveilleux. Peut-être faut-il croire que les mêmes événemens qui font prodigieux pour nous, le font un peu moins pour les Orientaux. La fortune & le hafard ont bien plus d'événemens extraordinaires chez des peuples d'une imagination très-ardente & très-exaltée ; de pareils peuples ne tardent guere à faire une partie au moins de ce qu'ils imaginent, & le merveilleux paffe bientôt de leurs fictions à leurs actions. On peut le voir parmi nous; les hommes à qui la nature a donné une imagination romanefque, ont prefque toujours une vie qui reffemble à des romans. Parmi les contes que nous annonçons, celui d'Alaedden, conte arabe, eft celui où l'on trouve le plus ce caractere propre aux fictions orientales. Il eft fort queftion dans tous de l'alcoran & des derviches on y voit fouvent des hommes fortant du pied des autels pour aller s'enivrer & fe perdre dans les délices du monde, & revenant enfuite au pied des autels pour y dépofer le poids de leurs remords. Ce tableau, tracé fi fouvent dans tous les pays & dans toutes les langues, eft celui peut-être qui peint

le mieux l'humanité. Cela rappelle un des plus beaux vers de Voltaire, un vers qu'il a fait après avoir obfervé pendant près d'un fiecle les vertus & les vices de l'homme :

Dieu fit du repentir la vertu des mortels.

Il y a un de ces contes qui a beaucoup plus d'originalité encore que les autres : c'est le Cady & le Voleur, conte arabe.

Le cady, arrêté par un voleur, & n'ayant point d'armes à lui oppofer, lui cite des paf. fages de l'alcoran; le voleur ne reste pas court; il cite l'alcoran auffi. Son érudition dans le livre facré eft prodigieufe, & il trouve toujours dans l'alcoran que fi un homme fe fait voleur, il peut avoir de très-bonnes raifons pour cela. Le cady, prefque perfuadé, lui donne fa mule & fa peliffe, le feul vêtement qu'il eût; il refte nud. Le voleur lui propose alors de jouer une partie d'échecs; le cady, nud, joue aux échecs: il perd, & c'est ce qu'il paroît avoir le plus de peine à pardonner au voleur. Le cady rentre chez lui; le voleur y vient un moment après, & lui tient ce difcours affez fingulier: » Je viens d'acheter une mai

fon; elle me coûte cent pieces d'or; il faut » que tu la paie. Si tu réfiftes, je vais te dé

montrer que tout ce que tu poffedes m'ap» partient. « La femme du cady, qui ne connoît pas tout le talent du voleur pour la démonstration, eft prête à lui prouver qu'on pourroit bien le faire pendre avant qu'il ait

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