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professions, on a compté un moins grand nombre de décès chez les premiers? Ce qu'on n'a pas pu faire, parce qu'on ignorait le nombre d'ouvriers employės aux fabriques de plomb. Mais, et cela diminue encore bien plus la valeur numérique dans cette circonstance, on n'a pas même connu exactement le nombre d'ouvriers en plomb morts du choléra dans les hôpitaux de Paris, parce que beaucoup d'entre eux, se livrant à d'autres professions et ne travaillant le plomb que par le manque d'ouvrage de leur état, ont pu se faire inscrire sous le nom de leur profession habituelle, bien qu'ils fussent employés aux fabriques à l'époque de l'épidémie; enfin, parce qu'un très-grand nombre de cholériques n'ont point été inscrits du tout. L'immunité des ouvriers en plomb serait d'ailleurs chose fort remarquable, l'observation de l'hygiène passant pour le plus sûr préservatif du choléra, et ce genre d'ouvriers ne pouvant être considéré, ainsi que tout le monde le sait, comme modèle à suivre en fait d'hygiène.

MARCHE DE LA COLIQUE DE PLOMB.

Nous venons d'achever l'inventaire des signes et des complications de la colique de plomb. Tous ces phénomènes, observés au lit des malades, sont loin de se présenter dans un ordre invariable pendant le cours de l'affection; ils se réunissent, se groupent et s'intriquent de la manière la plus variable, ce qui en rend toujours la marche irrégulière et insidieuse.

La colique saturnine est surtout remarquable par la brusque succession des accidents qui la caractérisent, passant fréquemment d'une forme à une autre, sans transition, comme sans cause apparente, changeant sans cesse de physionomie tantôt violente, tantôt légère, pour redevenir bientôt violente ou modérée.

Il en est de même de la variabilité de ses accès, de leur fréquence et de l'époque de leurs retours.

Enfin, cette maladie présente cela de particulier, que celui qui en a été affecté se voit souvent frappé d'une rechute des plus violentes au moment où il se croyait définitivement guéri.

PRONOSTIC DE LA COLIQUE DE PLOMB.

Malgré cette marche défavorable en apparence, la colique de plomb se termine presque toujours par le retour à la santé; et, quand la mort survient, elle est en général due aux complications. C'est donc une maladie peu grave par elle-même.

Les complications aggravent diversement le pronostic: les accidents cérébraux, l'épilepsie surtout, font souvent périr le malade; certaines lésions des viscères abdominaux contre-indiquent l'emploi des purgatifs et réclament un traitement inefficace contre l'affection de plomb.

En revanche, il paraît qu'on a vu disparaître, avec la colique de plomb, quelques lésions contre lesquelles la thérapeutique avait été jusque-là impuissante. La durée de la maladie doit varier suivant les mêmes circonstances.

ANATOMIE PATHOLOGIQUE.

A voir la symptomatologie d'une colique de plomb violente, on croirait

qu'elle est la traduction d'altérations anatomiques fort graves, et quelques auteurs n'ont point hésité à l'expliquer par les désordres physiques les plus divers et les plus effrayants: « Le plomb, dit Alibert dans sa Thérapeutique, est un > des poisons les plus terribles qui puissent affecter l'estomac et le canal intestinal; pour en juger, il suffit de porter son attention sur l'ouverture des indi> vidus morts à la suite d'une colique saturnine, qui offre quelquefois des traces > manifestes d'inflammation, de gangrène, des rétrécissements extraordinaires > du tube alimentaire, le pylore et le duodénum affectés de squirrhosités, etc. » La vérité est pourtant que l'anatomie pathologique de cette affection est à peu près nulle, et que les ouvertures de cadavres n'ont fourni, jusqu'à présent, que des résultats contradictoires. Ainsi, tandis que Dehaen et M. Mérat signalent la constriction du colon comme à peu près constante, M. Andral déclare ne l'avoir jamais rencontrée; et, tandis que Henckel, Astruc, Fodéré, et plus récemment M. Renauldin, disent avoir constaté des altérations anatomiques de nature inflammatoire dans le canal intestinal, et que ce dernier ajoute avoir vu des désordres divers dans les centres nerveux, M. Andral n'a trouvé aucune lésion appréciable, soit dans le tube digestif, soit dans le cerveau, soit dans la moelle épinière, soit dans les nerfs qui en partent.

Nous pourrions ainsi opposer les uns aux autres tous les auteurs qui ont été à même de faire des recherches nécroscopiques sur cette maladie, sans en retirer un grand avantage. Que concluerons-nous donc de cet état contradictoire de la science? Que les altérations de texture (congestions, ramollissements partiels, épaississements de la muqueuse intestinale, hypertrophie des follicules, tassement, coarctations des intestins), constatées sur les cadavres d'individus qui ont succombé à la colique de plomb, ne sauraient être considérées comme caractéristiques de cette affection, puisqu'elles ne sont pas constantes et qu'elles font défaut dans la moitié des cas environ; par suite, qu'il faut les rapporter, soit aux complications, soit à l'effet de la maladie.

Les congestions, les ramollissements, les épaississements de la muqueuse intestinale, par exemple, doivent évidemment être rapportés aux complications, quelquefois même au traitement trop actif employé contre les accidents saturnins; tandis que la contraction et le tassement des intestins nous semblent bien plutôt devoir être la conséquence de la colique saturnine. La cachexie métallique, la coloration spéciale des gencives sont encore dans le même cas.

La cachexie qui survient chez tous les gens longtemps exposés aux émanations métalliques, tels que cérusiers, étameurs de glaces, etc., paraît produire chez eux la diminution des globules, la fibrine et les autres éléments du sang restant en quantité normale. Mais, tant que cette cachexie n'est point survenue, le composé de plomb est seulement mélangé au sang, dissous dans son sérum, sans effectuer avec lui de combinaison chimique capable de l'altérer dans sa composition.

Les organes qui ont été le siége des altérations symptomatiques (tube intestinal, foie, rate, cerveau, etc.), contiennent du plomb d'intoxication qu'il est facile de distinguer du plomb normal ou physiologique, suivant M. Orfila. En

effet, l'un et l'autre ayant pénétré dans les organes de la même manière ne peuvent s'y distinguer que par la différence de quantité; aussi l'eau bouillante dissout-elle celui qui est en excès, c'est-à-dire le plomb d'intoxication, tandis que le plomb physiologique est inappréciable par ce moyen. Pour obtenir ce dernier, il faut calciner l'urine, ou le tissu quelconque qui le renferme, traiter le charbon par l'acide nitrique et faire traverser le liquide filtré par un courant d'acide sulfhydrique pour précipiter le métal à l'état de sulfure noir de plomb, qu'on pourra alors recueillir sur le filtre.

Les complications saturnines qui se traduisent souvent par les signes les plus effrayants et les plus désordonnés, sont tout aussi muettes d'altérations pathologiques à l'ouverture des cadavres. A peine trouve-t-on à signåler le tassement de la substance cérébrale observé chez quelques sujets morts d'épilepsie saturnine (1). Encore n'est-il pas bien sûr que ce tassement ne dépende pas de quelque autre cause non éclaircic jusqu'à ce jour.

SIEGE ET NATURE.

La connaissance exacte de la nature et du siége véritable de la colique saturnine ressort naturellement de tout ce qui précède; sa nature, c'est un empoisonnement; son siége, c'est l'intestin.

Les signes caractéristiques de la colique de plomb se montrant toujours à la suite de l'introduction, au sein de l'économie, d'une substance hétérogène, le plomb; d'une autre part, l'étude du développement de cette affection permettant toujours de suivre la substance hétérogène dans l'économie depuis son introduction jusqu'à la production des accidents; enfin, l'analyse chimique démontrant cette même substance dans les organes qui ont manifesté des phénomènes morbides, il est évident que la colique de plomb est un empoisonnement, c'est-à-dire une affection causée par une substance absorbable (le plomb), susceptible de s'accumuler, de se localiser dans les tissus vivants, de s'unir à la matière même de ces tissus et, conséquemment, d'exercer sur l'économie une action délétère assez violente parfois pour entraîner la mort.

La colique saturnine, tout en remplissant ces conditions diverses, comporte en outre un mode spécial, lent et gradué d'absorption du toxique qui fait de cette affection un empoisonnement spécial qu'on ne peut pas confondre avec l'empoisonnement à haute dose par le même composé de plomb, tant à cause de ses symptômes différents que par l'absence de toute lésion organo-pathologique. On ne saurait trop insister sur cette distinction capitale!

Quelle est l'essence même de cet empoisonnement spécial qui constitue la colique de plomb, c'est-à-dire quel est l'acte intime, la modification moléculaire insaisissable résultant du contact du métal, de son union momentanée avec les tissus vivants, et sur quels tissus agit-il plus particulièrement? Voilà ce qu'il est difficile de dire, l'anatomie pathologique étant muette d'altérations caractéristiques! L'ignorance dans laquelle nous sommes à cet égard, et que nous

(1) Les circonvolutions cérébrales sont aplaties et leur consistance est diminuée. Laënnec regardait cela comme une hypertrophie cérébrale, ce qui ne parait pas exact.

avouons volontiers, est d'ailleurs la même que nous devons confesser toutes les fois que nous avons à expliquer le phénomène intime résultant de l'action des corps extérieurs sur nos organes. Que savons-nous, par exemple, de l'action moléculaire produite par les poisons les plus subtils, par les médicaments même les mieux connus, par l'opium que nous employons tous les jours? Absolument rien! et quand nous devons donner la raison du phénomène, quand nous devons dire, par exemple, pourquoi l'opium fait dormir, nous ne pouvons que répondre avec Molière: Quia est in eo virtus dormitiva, quelle que soit d'ailleurs la périphrase plus ou moins savante employée pour déguiser cette même pensée! Disons done, sans pousser plus loin cette recherche inutile de l'action moléculaire insaisissable du composé plombique sur l'économie, que la colique saturnine est un empoisonnement spécial! Et par là nous aurons exprimé qu'il est un phénomène distinct, bien déterminé, qu'on ne peut confondre avec aucun autre! Tout n'est-il pas spécial dans les actes vitaux ?

Voilà pour la nature de l'affection saturnine. Les symptômes et les lésions anatomiques, effets de cette maladie, ne laissent pas de doute sur son siége dans l'intestin. Celui-ci est donc en dernière analyse l'aboutissant ordinaire de l'empoisonnement saturnin. Toutefois la manifestation locale désignée sous le nom de colique de plomb, n'est pas cet empoisonnement tout entier; car quand même le phénomène colique est isolé de toute autre altération pathologique, il n'en est pas moins vrai que le poison existe vers tous les organes, continuellement charrié par le sang qui le met en contact immédiat avec toutes les parties du corps humain et contribue à lui faire exécuter l'échange incessant qui se produit invariablement autour de toutes les voies éliminatoires insuffisantes, cause première et la plus efficace de l'apparition des accidents.

Que si l'intestin seul révèle l'action toxique du plomb, c'est que lui seul, entre toutes les voies d'issue de ce poison, peut accuser sa présence par un effet sensible. Que peut, en effet, l'action physiologique du composé saturnin à la peau, à la muqueuse respiratoire, voire même à toute la portion sus-diaphragmatique du tube digestif? Évidemment peu de chose dans l'état de santé ! Vers le rein, l'astriction saturnine suspend quelquefois momentanément la filtration urinaire.... Vers l'intestin, au contraire, la même action est bien plus propre à détruire des circonstances fonctionnelles indispensables: là un mouvement continuel, péristaltique, est destiné à faire cheminer le résidu de la digestion ; là une sécrétion abondante doit lubrifier sans cesse l'intestin pour faciliter ce glissement. Vienne l'action astringente du plomb! La sécrétion intestinale n'humidifie plus les surfaces et le résidu fécal, endurci lui-même, a peine à continuer le parcours intestinal; en même temps, l'intestin tout entier, mais le colon surtout, est atteint dans sa puissance contractile par l'astriction du métal, qui le fait se resserrer sur les fèces, et celles-ci, déjà ralenties dans leur course par la sécheresse du canal ont la plus grande peine à parvenir au terme du voyage quand le mouvement péristaltique vient à diminuer. Enfin, la difficulté augmentant sans cesse par ces causes réunies, une portion de matières endurcies s'arrète dans un point du trajet, presque toujours dans le colon, et devient le noyau contre lequel toutes les autres vont être retenues. Dès lors la constipa

tion est produite et trouve, dans ce point d'arrêt, l'occasion de devenir plus opìniâtre à chaque instant.

Sous l'influence de tous ces embarras, l'intestin devrait s'irriter et tendre à repousser, comme corps étrangers, les masses fécales qui l'obstruent; mais le contact du plomb empêche l'inflammation, et ce qui devrait provoquer le débarras de l'économie n'est qu'une nouvelle cause de prolongation et d'aggravation des accidents.

En résumé, diminution et peut-être suspension complète de la sécrétion intestinale, perversion de la contractilité des tuniques du tube digestif se traduisant par une contraction quelquefois violente, toujours irrégulière de la partie supérieure, par la paralysie ou du moins par la diminution de la contractilité dans la portion inférieure: tel est l'effet de la présence du plomb dans le tube digestif, telle est aussi l'origine de la constipation.

L'arrêt des sécrétions séro-muqueuses de l'intestin et la perversion de la contractilité des membranes du canal digestif, ne pouvant s'effectuer que sous l'influence du système nerveux, à l'égal de tous les phénomènes fonctionnels, nous devons rapporter la diminution des sécrétions (1) au système nerveux ganglionnaire, seul chargé de cette fonction, et la perversion de contractilité au même système, comme effet secondaire, et à l'appareil cérébro-spinal, comme fait primitif, sans essayer toutefois d'expliquer pourquoi et comment le plomb agit sur la fibre nerveuse pour produire ces troubles, ce qui nous ramènerait à la discussion sur la nature intime des accidents saturnins. Un peu plus loin, nous n'essayerons pas davantage d'expliquer l'acte sensible constituant la douleur et qui, quelle qu'en soit la cause, doit être rapporté à l'appareil nerveux cérébro-spinal.

La constipation, le premier, le plus important de tous les signes de la colique de plomb, une fois produite, entraîne après elle le cortège de tous les symptômes qui caractérisent cette affection et permet de les expliquer avec facilité. Elle engendre d'abord la douleur, et voici comment : le colon descendant, avons-nous dit, est rempli de matières fécales, tandis que le reste de l'intestin est distendu par des gaz accumulés au-dessus de ces matières; la douleur siége dans cette dernière portion; elle tient aux contractions vermiculaires dont les efforts se brisent contre l'accumulation des fèces sans pouvoir les expulser. Elle doit tenir aussi à la distension difficile des intestins par les gaz retenus entre les masses de ces matières endurcies, et à l'action crispante du métal sur les tuniques alimentaires.

Cette astriction est surtout manifeste au début de la colique saturnine, quand il n'existe pas encore de constipation. Il n'est pas rare, en effet, de voir des ouvriers en plomb se plaindre d'un embarras douloureux de l'abdomen, d'une sensation de lourdeur, de plénitude et d'un besoin incessant d'aller du ventre,

(1) On a voulu rendre compte de cet arrêt des sécrétions par la coagulation de l'albumine du sang dans le système de la veine-porte, sous l'influence du métal; mais cette explication n'est pas admissible, puisque le chloro-plombate alcalin est plus soluble en présence de l'albumine, et que celle-ci n'est point précipitée. Il y a là, d'ailleurs, plus qu'un fait chimique; il y a bien certainement un phénomène vital nécessitant l'intervention du système nerveux pour sa production!

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