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celle-ci absorbée dans le tissu cellulaire sous-cutané, les injections d'une préparation saturnine dans les veines d'un animal, etc.

Je ne prévois qu'une seule condition qui pourrait introduire le composé de plomb directement dans le système circulatoire de l'homme, ce serait l'emploi d'une seringue oxydée pour la transfusion du sang.

Telles sont les formes variées sous lesquelles le plomb s'offre aux voies d'introduction dans une multitude de circonstances. Mais, entre son application aux surfaces absorbantes et son action sur l'économie, il existe un vide que l'on s'efforce en vain de combler depuis bien longtemps, car, telle est l'insuffisance de nos moyens d'exploration, par suite de nos connaissances, que nous saisissons en général la cause et l'effet des phénomènes sans pouvoir suivre le lien qui les unit l'une à l'autre! La recherche de ce lien est de la plus haute importance pour la connaissance exacte du siége et de la nature de la maladie qui nous occupe, et peut-être, dans l'état actuel de la science, est-il possible de rattacher les signes caractéristiques de la colique de plomb à la cause qui les produit, c'est-à-dire à l'absorption du plomb, sans l'intermédiaire d'aucune solution de continuité. Examinons donc, pour essayer d'y parvenir, comment le plomb pénètre dans l'économie, c'est-à-dire comment se fait son absorption?

Il est généralement admis qu'une substance ne peut être absorbée qu'autant qu'elle est soluble, ou susceptible de le devenir, par suite de réactions chimiques opérées dans le sein de nos organes; nous devons donc rechercher d'abord comment les différents composés de plomb, dont nous avons déjà parlé, peuvent cadrer avec cette règle générale.

Toutefois en admettant, sous l'autorité d'Orfila et de nos toxicologistes modernes, cette nécessité de la solubilité du toxique, nous faisons nos réserves; car s'il est vrai, comme je l'ai lu quelque part (1), que l'on ait trouvé des fragments de charbon dans le torrent circulatoire des mineurs de houille; s'il est bien établi surtout que l'on ait trouvé des globules de mercure métallique dans les artères et les veines des femmes mortes de métro-péritonites puerpérales, après un traitement par les frictions mercurielles faites suivant la méthode que Chaussier a le premier introduite en France; si, dis-je, ces faits se confirment, ils seront une grave induction contre la théorie que nous allons émettre d'après M. Mialhe.

Il résulte en effet des recherches de cet auteur (2) que toutes les préparations de plomb, et le plomb lui-même, mais ce dernier seulement avec le ⚫ concours de l'air, en réagissant avec les chlorures alcalins que nos humeurs > renferment, se transforment en tout ou en partie en chlorure de plomb, et en un nouveau composé alcalin; que le chlorure de plomb, une fois formé, se > combine avec l'excès de chlorure basique, et constitue un chlorure double » très-soluble et surtout remarquable en ceci, qu'il n'est nullement précipité par

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(1) Je ne puis me rappeler où j'ai lu ce fait; il me semble cependant que c'est dans le compte-rendu d'une discussion académique.

2 Loc. cit.

l'eau albumineuse. Ce dernier point est essentiel, car, sans cette propriété, le plomb ne pourrait exister qu'à l'état insoluble dans les liquides organiques. < Bien plus, ajoute M. Mialhe, le précipité blanc que forme l'albumine dans les › sels de plomb est instantanément redissous par les dissolutions de chlorures » alcalins. »

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Si cette théorie est vraie, il est évident que toutes les préparations de plomb doivent être absorbées de la même façon, et, que de deux préparations différentes, celle-là devra plus vite saturer l'économie qui pourra plus tôt et en plus grande quantité fournir le chlorure double, en qui doivent résider les propriétés toxiques de tous les composés saturnins, puisque, en dernière analyse, tous se transforment en lui (1).

Cette théorie, qui repose sur des faits chimiques exacts et sur d'assez nombreuses expériences, mérite confiance; pourtant elle nous paraît trop générale et doit être modifiée en quelques points: ainsi tout le monde sait bien que si le composé métallique ingéré est soluble dans l'eau, il est pris directement par les vaisseaux absorbants (vasa breviora) de l'estomac, et de là entraîné dans la circulation générale sans avoir besoin d'être préalablement transformé en une autre préparation. Tout le monde sait encore que certaines préparations insolubles ont la plus grande affinité pour les acides phosphorique (2), lactique, etc., naturellement contenus dans l'estomac, qui servent à les dissoudre, et par suite leur permettent d'être absorbés par les mêmes vaisseaux dont nous parlions tout à l'heure, sans avoir besoin davantage de la transformation en chlorure double (5).

Quel que soit le mode qui facilite la dissolution aux préparations saturnines, nous tenons pour la nécessité de celle-ci, parce qu'il nous paraît impossible qu'un corps insoluble, c'est-à-dire inerte, puisse avoir une action quelconque sur les organes de l'être vivant : Corpora non agunt nisi soluta!

(La suite au prochain No.)

COMMUNICATION RELATIVE AUX ARSÉNICOPHAGES; par M. le docteur Koepl, membre titulaire de la Société.

MESSIEURS,

Dans notre dernière séance, après la lecture d'un rapport fait par M. Van den Corput, sur un cas d'empoisonnement arsénical, M. Perkins a bien voulu me demander si je possédais quelques renseignements sur les prétendus arsénicophages de l'Autriche. Je n'ai pu fournir alors que des renseignements fort incomplets, tout en me rapportant pour plus amples informations à deux arti

(1) Le sulfure de plomb qui, dans nos laboratoires, résiste aux chlorures alcalins et aux acides chlorhydrique, lactique, etc., éprouve-t-il, lui aussi, la transformation en question?

(2) Le phosphate de plomb insoluble dans l'eau est soluble dans un excès d'acide phosphorique, ce qui est le cas dans lequel nous nous plaçons ici.

(5) Chloro-plombate alcalin de M. Mialbe. Loc cit.

cles sur les toxicophages, publiés par le docteur J.-J. de Tschudi dans le n° 28, année 1851, et dans le n° 1, année 1855, du journal Wiener medizinische Wochenschrift. Ces deux articles m'ayant paru mériter tout notre intérêt, j'en ai fait une traduction littérale, que j'ai l'honneur de vous communiquer.

ARTICLE 1er. Sur les toxicophages par le docteur J.-J. de Tschudi.

On a pu lire dans ces derniers temps, dans le récit des débats judiciaires qui ont eu lieu à Cilli devant le jury, pour un cas d'empoisonnement très-remarquable, et dans lequel l'accusée Anne Alexander a été acquittée, que trois témoins à décharge avaient été interrogés sur le point de savoir, si le lieutenant Mathias Wurzel était toxicophage ou non. Cette circonstance ne fut point constatée, et la seule déposition, quoique peu importante, qui aurait pu rendre probable cette supposition, fut celle du premier lieutenant M. J..., qui déclara avoir trouvé, en 1828, dans le bureau de Wurzel une petite boîte contenant des parcelles de la grandeur d'un grain de maïs, qui n'auraient été que de l'arsenicblanc. Les dépositions des deux autres témoins n'étaient basées que sur des ouï-dire.

Les toxicophages étant pour le public médical un phénomène plus ou moins inconnu, j'ai cru devoir publier quelques renseignements et observations sur cette matière.

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Dans quelques contrées de le Basse-Autriche et de la Styrie, surtout dans les montagnes qui la séparent de la Hongrie, il se trouve parmi les paysans l'habitude remarquable de manger de l'arsenic. Ils l'achètent, sous le nom de Hedri (Hedri, hedrich, hutterrauch), aux herboristes ambulants, à des colporteurs qui l'acquièrent, à leur tour, des ouvriers des verreries hongroises, ou des vétérinaires, des charlatans, etc.

Les toxicophages ont un double but cette pratique dangereuse un air sain et bonpoint.

d'abord ils veulent se donner par frais, et puis un certain degré d'em

Ce sont, par conséquent, très-fréquemment de jeunes paysans et paysannes qui ont recours à cet expédient par coquetterie et désir de plaire, et il est en effet surprenant avec quel succès ils atteignent leur but, car les jeunes toxicophages par excellence se distinguent par la fraîcheur de leur teint, et par une apparence de santé florissante.

Je ne citerai qu'un seul exemple parmi plusieurs cas à ma connaissance. Une vachère bien portante, mais maigre et pâle, se trouve à une ferme dans la paroisse H... Ayant un amant qu'elle voulait s'attacher davantage par ses appas, elle eut recours au moyen connu, et prit de l'arsenic plusieurs fois par semaine. Le résultat désiré ne se fit point attendre, et après quelques mois elle devint potelée, joufflue, bref, tout au gré du Céladon. Pour forcer l'effet, elle augmenta imprudemment la dose de l'arsenic, et tomba victime de sa coquetterie.

Elle mourut empoisonnée et sa fin fut douloureuse. Le nombre de décès par suite des abus d'arsenic n'est pas insignifiant, surtout parmi les jeunes gens.

'Chaque ecclésiastique de ces contrées a pu constater plusieurs victimes, et les résultats de mes recherches auprès des pasteurs sont fort curieuses. Soit crainte de la loi, qui défend la possession illégale de l'arsenic, soit une voix intérieure qui leur reproche leur tort, les toxicophages dissimulent autant que possible l'usage de ce remède dangereux. Ordinairement ce n'est que le confessionnal ou le lit de mort qui arrache le voile du secret.

Le second avantage que les toxicophages veulent atteindre, c'est de se rendre plus << volatil» c'est-à-dire, de faciliter la respiration pendant la marche ascendante. A chaque longue excursion dans les montagnes, ils prennent un petit morceau d'arsenic, qu'ils laissent fondre peu à peu dans la bouche. L'effet en est surprenant, ils montent aisément des hauteurs qu'ils ne sauraient gravir qu'avec la plus grande peine sans cette pratique. J'ajoute ici, que basé sur ce fait, j'ai administré la liqueur de Fowler avec un succès signalé dans certains cas d'asthme.

La quantité d'arsenic avec laquelle commencent les toxicophages représenté, d'après l'aveu de plusieurs d'entre eux, un petit morceau de la grandeur d'une lentille, ce qui ferait un peu moins qu'un demi-grain. Ils s'arrêtent à cette dose qu'ils avalent, plusieurs fois par semaine, le matin à jeun, pendant assez longtemps pour s'y habituer»; alors ils augmentent la quantité insensiblement, avec précaution, au fur et à mesure que la dose habituelle refuse son effet. Le paysan R., de la commune Ag., sexagénaire et jouissant d'une trèsbonne santé, prend actuellement chaque fois un morceau de grains à peu près. Il y a plus de 40 ans qu'il a pris cette habitude héritée de son père; il la léguera à ses fils.

Il est bien à noter qu'aucune trace de cachexie arsénicale n'est visible sur cet individu, pas plus que sur beaucoup d'autres toxicophages; que les symptômes de l'empoisonnement arsénical chronique n'apparaissent jamais sur les individus qui savent approprier la dose, parfois très-considérable, du toxique à leur constitution et à leur tolérance. Il faut encore remarquer que la suspension de l'usage de l'arsenic, soit par défaut matériel du toxique, soit parce que ces individus s'abstiennent de l'acide arsénieux pour toute autre raison, est toujours suivie de phénomènes morbides, qui ressemblent à ceux produits par l'intoxication arsénicale à faible degré; ainsi, on observe un grand malaise joint à une indifférence considérable pour tout ce qui les entoure, de l'anxiété pour leurs personnes, des troubles dans la digestion, de l'anorexie, une sensation de plénitude stomacale, des vomissements glaireux le matin avec ptyalisme, du pyrosis, de la constriction spasmodique du pharynx, des tranchées, de la constipation et surtout des difficultés respiratoires. Contre tous ces phénomènes il n'y a qu'un seul moyen efficace, c'est le retour immédiat à l'usage de l'arsenic. D'après les informations les plus exactes recueillies auprès des habitants de cette contrée, la toxicophagie ne dégénère jamais en passion, comme par exemple, l'opiophagie en Orient, l'usage du bétel aux Indes et en Polynésie, ou du coco au Pérou; elle devient plutôt un besoin pour ceux qui s'y adonnent.

Ce qui se fait là avec l'arsenic, se fait dans d'autres contrées avec le sublimè corrosif; je rappellerai seulement ce cas connu et confirmé par l'ambassadeur anglais en Turquie d'un opiophage à Brussa, qui avala journellement, avec son opium, l'énorme quantité de 40 grains de sublimé corrosif. Dans les montagnes du Pérou, j'ai rencontré très-souvent des individus semblables, et en Bolivie l'usage du corrosif est répandu à telle enseigne, que le sublimé est vendu aux Indiens en plein marché de comestibles.

Il est inutile de faire remarquer l'usage répandu de l'arsenic à Vienne même, surtout parmi les palefreniers et les cochers de grandes maisons. Ils en mêlent une bonne prise en poudre à l'avoine, ou ils en enveloppent un morceau de la grandeur d'un pois dans du linge et l'attachent au bridon lorsque le cheval est harnaché; la salive dissout peu à peu le toxique. L'aspect luisant, rond et élégant des chevaux de prix, et surtout l'écume blanche à la bouche, proviennent ordinairement de l'arsenic, qui augmente, comme on sait, la salivation. Les charretiers, dans les pays montagneux, mettent fréquemment une dose d'arsenic dans le fourrage qu'ils donnent aux chevaux avant une montée laborieuse. Les maquignons se servent très-souvent de petits plombs pour les chevaux poussifs, qu'ils conduisent au marché. Ils leur en font avaler un quart à une demi-livre. Il parait que l'effet constaté de cette manœuvre, effet qui persiste quelques jours, est dû uniquement à l'arsenic, que contiennent les plombs. A la fabrication de ces projectiles, on ajoute 1 pour cent d'arsenic blanc et jaune au plomb, pour rendre la masse plus fluidisable et plus apte à prendre la forme sphérique; la quantité d'arsenic qu'on trouve sur ces gens d'écuries, est souvent très-considérable, et leur inadvertance bien coupable.

Le brasseur R., à A., remit au pharmacien de l'endroit, M. B. Sch... un morceau d'arsenic de 314 de livre, qu'il trouva dans la malle de son domestique. L'hiver passé, un paysan s'empoisonna dans mon voisinage avec un morceau d'arsenic du volume d'une poire, qu'il pulvérisa et qu'il avala avec de l'eau. Il expira une demi-heure après.

Cette pratique s'exerce pendant des années sans accidents quelconques; mais dès que le cheval passe dans les mains d'un maitre qui n'emploie pas d'arsenic, il maigrit, perd sa gaieté, devient blafard, et malgré la nourriture la plus abondante, l'animal n'acquiert plus son apparence antérieure.

Ces communications esquissées sur les toxicophages peuvent servir à démontrer combien il est utile aux médecins et aux légistes d'avoir connaissance de cet abus très-répandu dans quelques contrées de la monarchie autrichienne. Les débats judiciaires dont il est fait mention au commencement de cet article, n'ont pas mis en évidence si M. Wurzel était toxicophage ou non, mais il est permis de le supposer. Si l'autopsie et les recherches chimiques n'avaient pas été faites avec une négligence impardonnable, si l'accusée, douée d'un esprit très-vif, eût été embarrassée par des interrogatoires réitérés, et s'était laissé surprendre en flagrante contradiction et par des dépositions peu précises, il est probal·le que le verdict du jury pour la femme Anne Alexander aurait été moins favorable, malgré son innocence.

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