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La négligence de notre ophthalmique, le retard qu'il avait mis à requérir des soins convenables, l'affection toute spéciale, éminemment destructive et rebelle, dont il était atteint, tout cela avait concouru à mettre son œil dans un état singulièrement compromettant.

L'énergie du traitement devait donc être mesurée sur la gravité même de cette redoutable affection.

De larges cautérisations avec le nitrate d'argent furent immédiatement opérées. Des applications continuelles d'eau froide et d'une pommade mercurielle dans laquelle entrait l'extrait de belladone furent également mises en usage. La potion de Chopart fut prescrite à l'intérieur. Une solution de nitrate d'argent fut employée en injection dans l'urèthre. La diète absolue, des scarifications sur la muqueuse nasale, amendèrent l'état fiévreux auquel le malade était en proie et modifièrent avantageusement le travail phlegmasique granuleux.

Le 19 avril, le malade était mieux, la paupière, moins tuméfiée, était cependant encore d'un rouge violacé.

On continue les cautérisations et les applications réfrigérantes: Eau de Sedlitz @j. - Diète.

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Le 20, chémosis considérable, rougeur moins vive à la conjonctive palpébrale supérieure. La cornée est toujours intacte; fièvre. Scarification dans les narines; cautérisation; diète.

Du 21 au 23, amélioration sensible. La tuméfaction est diminuée au point que le malade peut écarter les paupières. La rougeur violacée a presque disparu. La conjonctive palpébrale est moins injectée, surtout dans l'étendue du cartilage tarse. Cependant le chémosis persiste. Instillation dans l'œil, plusieurs fois le jour, de quelques gouttes d'un collyre avec un grain de sublimé pour deux onces d'eau distillée. Cautérisation des granulations. Eau froide en permanence. Régime léger, lait.

Depuis cette époque jusqu'au 7 mai, la maladie resta pour ainsi dire stationnaire. A peine une amélioration légère était-elle venue nous inspirer quelque espérance, que le lendemain, une récrudescence que rien n'avait pu faire prévoir, que rien n'expliquait, si ce n'est la ténacité et le caractère tout spécifique de l'affection, nous faisait craindre les déceptions les plus malheureuses. Tous les jours des déplétions sanguines à l'aide de sangsues appliquées aux narines, des purgatifs salins de temps à autre, le calomel à dose refractée, vésicatoire permanent à la nuque, entre les épaules, laudanum de Rousseau, collyre au sublimé, réfrigération constante, pommade mercurielle belladonée, cautérisations réitérées, parfois même deux fois dans la journée, tout avait étė employé avec une constance et une assiduité qu'on ne pouvait dépasser et les granulations, comme une hydre toujours renaissante, reparaissaient avec une incroyable promptitude.

Cependant, le 10 mai, une amélioration plus sensible et plus stable s'annonce. La conjonctive oculaire ne présente qu'une légère injection qui laisse apercevoir le nacré de la sclérotique.

La cornée transparente est intacte; elle parait moins imbibée, moins mace

rée que les jours précédents, écartement des paupières facile, photophobie infiniment moindre.

Les granulations qui ont pour siége la conjonctive palpébrale ont considérablement diminué de volume. Elles ne sont plus même apparentes en certains. endroits. Celles qui restent sont encore saignantes au moindre contact. Collyre, un grain de sublimé par once d'eau. Eau froide, sangsues aux ailes du nez, nouvelle cautérisation.

Dès ce moment tout alla pour le mieux, le globe oculaire revint bientôt à son état normal; vision parfaite; la muqueuse palpébrale seule est foncièrement transformée. Elle a perdu son poli et sa netteté ordinaire, on y remarque même des traces de véritable tissu cicatriciel; vers l'angle externe seulement, il existait encore, au mois de juin, un petit paquet granuleux qui continue à -fournir une faible sécrétion.

L'amélioration ne devait pas être définitive; sous l'influence de variations. atmosphériques fâcheuses, le malade, trop avide de jouir des bienfaits de l'air extérieur, a vu son état s'empirer tout à coup. La sécrétion purulente qui était presque réduite à rien, a singulièrement augmenté. La conjonctive s'est injectéede nouveau, et un certain degré de photophobie n'a pas manqué de reparaître. Profitant ainsi d'une cause irritante extérieure, le principe contagieux a repris une activité plus grande, et alors que l'on croyait avoir combattu victorieusement cette redoutable affection, le malade se plaignit de picotement dans l'œil droit, jusqu'alors resté sain, grâce, sans doute, à la recommandation expresse qui lui avait été faite, de ne jamais y porter les mains, et d'éviter de se coucher sur ce côté.

Déjà on y aperçoit de petites granulations à l'état miliaire, d'un aspect velouté au moment où l'on renverse la paupière, saignant à la plus légère pression. Déjà la sécrétion est assez abondante, et il suffit d'un instant pour voir toutes les inégalités se remplir immédiatement d'un liquide légèrement puriforme qui finit bientôt par cacher les éminences granuleuses.

Il n'y avait pas à temporiser une large cautérisation fut immédiatement pratiquée, un purgatif salin fut administré, quatre sangsues aux ailes du nez.. Malgré une thérapeutique aussi énergique, et appliquée dès le début, le mal fit des progrès rapides. La fièvre survint plus violente que jamais, et l'œil droit, en raison de la rapidité et de la gravité des symptômes, nous donna des inquiétudes plus sérieuses que ne l'avait fait son congénère. Le gonflement, la turgescence de la paupière supérieure, sa coloration violacée, le renversement de ses bords, le chémosis, la compression de la cornée, l'imbibition, le ramollissement de cette membrane, les taches nébuleuses opaques qui s'y formèrent, tel était son état. C'en était certes assez pour faire présager une terminaison fâcheuse.

Ainsi qu'on l'avait fait pour l'oeil gauche, on pratiqua des cautérisations deux fois le jour pendant l'acuité des symptômes; on fit deux profondes incisions à la face oculaire de la paupière supérieure, on opéra des scarifications dans les

narines, et tous les jours, pendant un mois, on y fit l'application de deux ou quatre sangsues. Le calomel fut administré à l'intérieur et un large vésicatoire fut établi entre les épaules. Une diète rigoureuse fut observée, en même temps qu'à l'aide d'un syphon on faisait arriver sur l'œil un jet continu d'eau froide chargée de sulfate d'alumine.

Sous l'heureuse influence de ce traitement, les symptômes si graves, si compromettants d'abord, s'amendèrent peu à peu et disparurent bientôt, les fonctions des yeux se rétablirent nettement, et le 15 juillet la guérison était assurée, les globes oculaires ne présentant plus la moindre trace d'altération. Les conjonctives palpébrales, par la perte de leur poli, leur état dur, presque cartilagineux, témoignent seules de l'existence passée d'une affection qui avait profondément modifié ces muqueuses.

2. OBSERVATION.

Blennorrhagie granuleuse double de l'œil; par M. Valère Petit, élève interne (service de M. Thiry).

Le nommé Desmet, âgé de 24 ans, tempérament lymphatique, constitution faible, entre à l'hôpital le 20 octobre 1855. Il est atteint d'uréthrite et d'ophthalmie.

Le malade fait remonter l'existence de son uréthrite à un mois environ : deux jours après avoir eu des rapports avec une fille publique, une inflammation intense et très-douloureuse se déclara dans la muqueuse uréthrale; cette inflammation se propageant au prépuce, donne naissance à un phimosis accidentel; en même temps une matière épaisse, jaune-verdâtre, striée de sang, s'écoule en abondance du canal de l'urèthre. La miction est excessivement douloureuse, et le malade accuse un sentiment de chaleur brûlante, de cuisson, à la région périnéale. Cependant, malgré les vives souffrances qu'il éprouve, il ne réclame point les secours de l'art, et d'après le conseil de quelques amis, il confie au temps et à la nature le soin de sa guérison.

Une amélioration très-peu sensible s'était opérée dans son état à la date du 12 octobre; l'écoulement était encore très-abondant, mais les douleurs avaient diminué d'intensité, quoique encore assez vives pendant l'émission des urines.

Quelque légère qu'ait été, après ce laps de temps, l'amélioration apportée dans les symptômes de l'uréthrite, cette inflammation, si elle eût été simple, pouvait dans un temps plus ou moins long se résoudre d'une manière insensible, sans laisser après elle aucune trace de son existence; mais une circonstance malheureuse vint apprendre à notre malade, et nous faire reconnaître à tous qu'il existe plusieurs espèces d'uréthrite, et qu'il est de toute nécessité, pour traiter ces affections, d'admettre une nouvelle division. Quelquefois, l'inflammation de la muqueuse urethrale passe à la résolution par les seules forces de l'organisme, lorsqu'une irritation simple l'a produite; d'autres fois elle ne cède qu'à un traitement profondément modificateur, employé avec énergie et persé vérance: c'est lorsqu'elle est la conséquence de l'action d'une cause de nature spécifique, d'un véritable virus (granuleux ou chancreux).

La veille de son entrée, le malade, après avoir changé le linge dans lequel était reçu l'écoulement mucoso-purulent du canal de l'urèthre, se coucha sans avoir soin de se laver les mains, qui étaient plus ou moins souillées par la matière morbifique contagieuse.

Pendant la nuit il éprouva des picotements dans l'œil gauche. Il y porta la main à plusieurs reprises dans l'espoir de les faire cesser; plus le malade frottait, plus les picotements étaient vifs et rapprochés; bientôt il ressentit une châleur brûlante, suivie d'une douleur lancinante et d'une tuméfaction si considérable, qu'à son lever il ne pouvait plus entr'ouvrir les paupières.

Justement alarmé d'une affection qui, débutant si brusquement, atteignait en moins de douze heures une intensité si grande, le malade s'empressa de venir réclamer des soins à l'hôpital Saint-Pierre.

Lors de la visite du chef de service, voici les symptômes que l'on observe. La verge est le siége d'un œdème inflammatoire considérable. Phimosis incomplet. Un pus jaunâtre, d'une odeur caractéristique, mêlé de stries de sang, s'écoule en abondance du canal de l'urèthre.

L'œil gauche est fermé; impossibilité au malade de l'ouvrir sans y porter la main. La paupière supérieure, rouge sombre, présente une forte convexité en avant; elle est le siége d'un engorgement considérable. Les mêmes caractères, non moins prononcés, se remarquent à la paupière inférieure. Les deux paupières écartées au moyen des doigts, on aperçoit des brides fibrineuses qui s'étendent d'une conjonctive à l'autre, et les tiennent mécaniquement réunies. Ces brides sont dues à la coagulation du sang produit par la surface conjonctivale. Outre ces brides fibrineuses, on constate une forte accumulation de pus entre les deux paupières. Ces brides dues à la coagulation du sang, adhèrent assez intimement à la face interne des paupières, et à la partie antérieure du globe oculaire, qu'elles cachent entièrement. Enlevées au moyen du stylet, elles laissent à découvert la cornée qui est intacte. Autour de la cornée existe un chémosis très-considérable comprimant fortement le globe oculaire. Les mouvements de l'œil dans la cavité orbitaire sont difficiles et très-douloureux. Photophobie très-prononcée. L'œil droit est sain.

L'état général du malade est satisfaisant. Peu de réaction; à peine le pouls accuse-t-il un léger mouvement fébrile.

En présence des symptômes que je viens d'énumérer, et des commémoratifs rapportés plus haut, M. Thiry diagnostique une uréthrite granuleuse, ayant donné naissance, par le transport du virus granuleux dans l'œil gauche, à une ophthalmie granuleuse.

La filiation, l'identité de ces affections, ne nous laissent aucun doute.

On porte le nitrate d'argent fondu sur les conjonctives granuleuses. Cette cautérisation ne peut se faire d'une manière complète; car le gonflement énorme des paupières s'oppose à leur renversement, et de plus elles sont le siége d'un blépharospasme tellement violent, qu'il est presque impossible de les tenir ren

versées.

La cautérisation pratiquée, on éteint aussitôt le caustique au moyen de l'huile d'amandes douces et de belladone.

Pour combattre la complication inflammatoire, on applique 15 sangsues aux apophyses mastoïdes, et on fait de profondes scarifications dans le nez. On établit, au moyen d'un syphon, un système d'irrigation continue d'eau froide chargée de sulfate d'alumine et de potasse; on opère une révulsion sur le tube digestif, en administrant un purgatif; diète absolue.

On combat l'uréthrite par des injections d'une solution de nitrate d'argent gr. Iv par 3 d'eau distillée.

Le 21, nous avons devant nous une ophthalmie double.

L'œil droit avait été infecté la veille par le malade lui-même, il offre les mêmes symptômes que ceux que présente actuellement l'œil gauche, sauf l'acuité qui est plus grande à gauche. De chaque côté, les paupières supérieures sont fortement saillantes, rouge vif à droite, rouge violacé à gauche. De chaque côté un chémosis volumineux entoure la cornée qui est saine.

Des deux yeux, dont les paupières sont agglutinées, s'écoule un liquide jaunâtre, purulent, très-abondant. Le traitement est le même pour les deux yeux: Cautérisation profonde, extinction du caustique. Le blepharospasme empèche une cautérisation uniforme et complète.

On applique de nouveau quinze sangsues aux apophyses mastoïdes; scarification de la muqueuse nasale, irrigation continue sur chaque œil, diète absolue. Le même traitement que celui de la veille est continué pour l'uréthrite, l'écoulement est déjà moins considérable et moins épais.

Le 22, l'inflammation des paupières a diminué d'intensité, la coloration rouge-sombre a fait place à une couleur plus vive, légèrement rosée. La tuméfaction, moins considérable, permet le renversement des paupières, lequel s'effectue avec assez de facilité à droite, malgré la contraction spasmodique du muscle orbiculaire, tandis qu'il est excessivement difficile à gauche, non-seulement à cause du blépharospasme, mais à cause du peu de fixité des cils qui s'arrachent à la moindre traction; quoi qu'il en soit, les paupières étant retournées, on constate des granulations très-nombreuses, très-proéminentes à la face interne de la paupière supérieure droite. Ces granulations présentent un aspect velouté, rouge-amarante; elles saignent au moindre contact, ce qui indique une destruction complète de l'épithélium. Il en existe également à la paupière inférieure, mais elles y sont moins développées et moins nombreuses; ces granulations sécrètent un liquide purulent très-abondant, qui se reproduit aussitôt qu'il a été épongé.

Des paquets de granulations énormes se voient, quand on parvient à renverser la paupière supérieure gauche; la conjonctive palpebrale en est littéralement couverte; elles augmentent en volume au fur et à mesure qu'on les examine plus près de l'angle interne; la paupière inférieure en est également recouverte. En raison du nombre plus considérable de granulations à gauche, la sécrétion purulente y est plus abondante que du côté droit.

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