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DE MÉDECINE.

(JANVIER 1854.)

I.-MÉMOIRES ET OBSERVATIONS.

CORPS ÉTRANGER DU PHARYNX, EXTRACTION, GUÉRISON; par le docteur G. KOEPL, membre titulaire de la Société.

Le 4 septembre 1855, A. D., garçon de 25 mois, fort et toujours bien portant, avala, en jouant, une pièce de 2 centimes (un cents). La mère étant accourue aux cris que poussait l'enfant, il lui indiqua, en présence d'une autre femme, ce qu'il venait de faire. Quelques efforts spontanés mais infructueux, pour vomir, n'aboutirent point à la sortie de la pièce de monnaie. Dès ce moment l'enfant refusa toute nourriture solide, et se borna à prendre de l'eau et du lait qu'il avala cependant avec assez de facilité sans régurgitation. Les nuits qui suivirent, il eut à différentes reprises des accès de suffocation assez alarmants, mais sans toux. Le 7 septembre, je vis l'enfant pour la première fois. La mère me fit le récit de tout ce qui s'était passé, et de l'avis de plusieurs praticiens qu'elle avait consultés et qui ne crurent pas devoir procéder à l'extraction, elle attendit.

L'enfant sembla bien portant, quoique maigri d'après le dire de la mère. On ne voit rien au fond de la gorge, si ce n'est la luette allongée et dirigée en bas et en arrière. Les mouvements de la langue sont libres. L'inspection et le toucher du cou ne présentent aucune altération. La phonation ainsi que la respiration et la circulation sont dans l'état normal. Le petit avala de l'eau en ma présence avec facilité, mais ni fruits, ni bonbons ne le tentent. Il porte sou vent la main au cou, comme pour écarter quelque obstacle. En lui offrant des sucreries, on voit bien que l'enfant en voudrait, et que s'il refuse, c'est qu'il craint d'opérer la déglutition.

Me trouvant seul avec la mère et l'enfant, je ne fais qu'une faible tentative avec les pinces courbes, qui ne me donne aucun résultat. En attendant l'opportunité d'un examen plus minutieux, je prescris un vomitif composé d'ipécacuanha et de tartre stibié. L'enfant vomit et eut plusieurs selles sans que la monnaie apparût dans les matières évacuées.

Rien de plus naturel que la demande : Y a-t-il réellement un corps étranger engagé dans le canal de la déglutition? Ou le cents a-t-il été craché sans que

l'on s'en soit aperçu; ou, en franchissant le cardia, est-il descendu dans l'estomac? Pour ma part, j'étais convaincu de la présence du corps étranger dans le pharynx; car comment expliquer après un accident semblable, arrivé en présence d'un témoin, le refus constant de l'enfant, très-bien portant du reste, de prendre de la nourriture? Ajoutons ces accès de suffocation nocturnes, trèsexplicables par la pression indirecte du cents sur la trachée, l'allongement et la direction de la luette, que j'ai constatés dans plusieurs cas de cette nature, ainsi que les mouvements instinctifs des mains vers le cou, et tout doute devait s'évanouir. Pour aborder la chose plus franchement, je proposai à la mère de se rendre le lendemain à l'hôpital Saint-Jean, où l'assistance de mes honorables confrères me mettrait en état de procéder à une exploration rigoureuse, et à l'extraction s'il le fallait; car l'enfant opposait une résistance telle à l'introduc tion de tout instrument, que les forces de la mère ne suffirent pas à la vaincre. Il me fallait des aides intelligents.

Le 9 septembre en effet, nous plaçâmes l'enfant (dans le service de M. le professeur A. Uytterhoeven) entre les genoux d'un aide assis sur une chaise. Pendant que le même aide renversa la tête en arrière, un autre s'assura des mains du petit, moi j'introduisis la tige en baleine surmontée d'une éponge, dans le pharynx.

Je parvins jusqu'à la hauteur du cartilage cricoïde, où je me sentis arrêté par un obstacle qui me parut être le cents. Les tentatives faites ayant fatigué l'enfant, je m'arrêtai. J'ajournai l'exploration au lendemain, tout en recommandant à la mère, d'après le conseil de M. A. Uytterhoeven, de pratiquer à l'enfant des injections nasales (procédé Henriette) avec un looch blanc, dans l'intention de lubrifier préalablement les partics intéressées.

Le 10 septembre, la mère me dit que l'enfant avait refusé même la boisson. Les injections avaient produit quelques évacuations alvines. Je fis placer l'enfant comme la veille; la baleine à éponge, introduite par M. le docteur Testelin et par moi, fut arrêtée à la même hauteur. M. le docteur Henriette fit pénétrer, avec grande facilité, une sonde élastique jusqu'à l'estomac. Ce n'est qu'après avoir vu, dans les différentes tentatives, l'instrument arrêté à la même hauteur par un obstacle infranchissable, et après avoir vu glisser la sonde élastique (no 8 à peu près) aisément dans l'estomac, que j'eus la conviction que le cents était placé et fixé verticalement. J'eus recours alors à la sonde préhensive œsophagienne à clochette articulée de Dupuytren, à laquelle j'avais donné la courbure convenable; je la poussai lentement dans l'estomac, non sans difficulté à l'endroit de l'obstacle, ni sans apparence de suffocation. En la retirant, je fus arrêté à la même place, et ce n'est qu'après une traction assez forte que je pus retirer le cents engagé dans la partie antérieure de la clochette. Il n'y eut pas une goutte de sang versé; la pièce de cuivre n'était ni oxydée ni couverte de vert-de-gris, et avait l'aspect ordinaire comme légèrement poli.

J'ai bien abusé de la patience des confrères en portant ce cas dans tous ses détails à leur connaissance. Je crois cependant que l'extraction des corps étrangers du pharynx et de l'œsophage n'est pas une opération journalière, et, quoi

que très-simple en elle-même et en apparence très-facile à pratiquer, lorsqu'on en lit la description dans les traités de médecine opératoire, elle présente plus d'une difficulté et plus d'un danger dans l'exécution. C'est sous ce point de vue que je veux joindre au cas actuel quelques considérations générales sur cette matière. Elles sont le résultat de ma pratique et des observations recueillies dans les hôpitaux.

Un examen rigoureux, tant commémoratif que physique du malade, est d'une valeur incalculable après cet accident, qui, sauf les cas de danger imminent, se prête plus que tout autre à des interprétations erronées, même de la part des malades adultes. Ainsi le patient prétendra avoir avalé une arête de poisson et la sentir à la hauteur des premiers anneaux trachéaux, et l'examen attentif la fera voir enfoncée dans une amygdale, comme je l'ai constaté moi-même. L'introduction précipitée d'un instrument pourrait amener l'opposé de ce qu'on désire obtenir. Il y a encore des circonstances où le chirurgien doit être sur ses gardes d'une manière toute particulière : c'est lorsqu'il a affaire à des personnes atteintes d'hypochondrie ou de rétrécissements du pharynx ou de l'œsophage. Les individus de la première catégorie prétendent, souvent avec opiniâtreté, avoir le passage alimentaire intercepté par un corps étranger quelconque, sans qu'il y ait trace de réalité, et ils ne peuvent parfois être débarrassés de cette idée fixe que par un petit escamotage, innocent en lui-même et très-avantageux au malade. Quant aux rétrécissements pharyngiens ou œsophagiens, on observe qu'un des premiers symptômes de cette affection est la sensation d'arrêt pendant la déglutition, ce qui fait que le malade croit à la présence d'un corps étranger. Donner dans cette appréciation ou plutôt dans cette illusion, pourrait être fatal au malheureux. J'ai vu un homme qui, dans un accès de mélancolie, avait bu, pour se suicider, une certaine quantité d'acide sulfurique concentré. L'action caustique du breuvage causa des rétrécissements cicatriciels tout le long du pharynx et de l'œsophage, pour lesquels le malade consulta un grand nombre de médecins et de chirurgiens, en racontant de bonne foi à chacun d'eux qu'une prune, une bouchée de viande, etc., s'étaient arrêtées au passage. Une fausse honte lui faisait cacher la véritable origine du mal. Cet homme présenta, à l'autopsie, une déchirure de l'œsophage au-dessus de la partie la plus rétrécie, à laquelle l'introduction d'instruments n'était peut-être pas étrangère. Ces coarctations du canal de la déglutition ont pour cause : des ulcérations scrofuleuses et vénériennes, le cancer, l'action des acides minéraux concentrés, avalés par méprise ou par intention de suicide, sans parler de différentes affections des organes voisins donnant lieu à la dysphagie, telles que l'anévrisme de l'aorte, la carie des vertèbres cervicales ou thoraciques, les dégénérescences des poumons et des médiastins, etc. Là où on soupçonnera ces rétrécissements, il sera indispensable de s'enquérir de tous les antécédents, du malade avant de procéder à la propulsion ou à l'extraction du prétendu corps étranger.

Le diagnostic des corps étrangers à la partie supérieure du tube alimentaire offre parfois beaucoup de difficultés, lorsqu'il s'agit d'enfants en bas âge. Trèssouvent c'est au moment de l'absence des surveillants, lorsque les enfants se

trouvent en compagnie des autres ou lorsqu'ils veulent satisfaire leur gourmandise à la dérobée, qu'ils avalent précipitamment des corps trop volumineux ou de forme pointue ou anguleuse, qui s'arrêtent au passage. Ils ont ordinairement soin de cacher ou de nier ce qui s'est passé, et ce n'est que par les habitudes changées de l'enfant, par le hasard ou par le début subit des phénomėnes alarmants du côté de la respiration ou de la circulation que les parents se décident à réclamer les secours de l'art. J'ai connu une enfant de 3 ans qui, en jouant toute seule avec une boite d'aiguilles bien approvisionnée en forme de clef, se piqua au doigt, et pour cacher aux parents la cause de la petite piqûre, qui saignait, mit l'instrument, heureusement fermé, à la bouche et l'avala. Des convulsions survinrent la nuit et mirent en danger les jours de la petite. Le hasard en fit découvrir la cause, et l'extraction de cet étui rempli d'aiguilles, qui se trouvait au-dessus du cardia, réussit aux mains habiles du chirurgien.

Lorsqu'un corps étranger s'est arrêté pendant l'acte de la déglutition, il s'agit encore de savoir s'il se trouve dans le canal alimentaire ou dans les voies aériennes. Rien dans les symptômes plus ou moins graves que peut offrir la respiration, la circulation ou le système nerveux, ne peut aider au diagnostic du siége du corps étranger dans l'une ou l'autre des deux voies. Un corps volumineux engagé au commencement de l'œsophage, peut causer de la toux, de la suffocation et des congestions cérébrales par la pression, quoique médiate, sur la trachée, les vaisseaux et les nerfs qui côtoyent ces organes, et par contre une aveline, une chevrotine, un bouton métallique ou un noyau de cerise, etc., pourront séjourner quelques jours dans la trachée ou dans une bronche sans amener aucun des accidents mentionnés, à un haut degré. J'émets, ou plutôt je confirme cet avis pour l'avoir vu justifié par mon observation personnelle. Ainsi, je peux citer le cas d'un brin d'épi enfoncé dans un des piliers du palais, qui produisit des accès de toux convulsive avec figure bleue, extrémités froides, respiration laborieuse, etc., de manière à faire croire à l'entrée du corps étranger dans le larynx. Un garçon porta une espèce de clou en fer très-pointu pendant cinq jours dans la bronche droite sans en être incommodé. Le sixième jour, des symptômes de pneumonie se révélèrent et la mort en fut la conséquence. Pour qu'un corps étranger introduit dans les voies aériennes produise des phénomènes respiratoires et circulatoires caractéristiques nullement équivoques, il faut un certain concours de conditions de la part du corps étranger et de l'endroit du tube aérien, où il s'arrête. Ainsi, un corps rond, quoique volumineux, mais mou, tel qu'une bouchée de viande, par exemple, ou un morceau de saucisson, un fruit cuit, etc., qui s'engage dans la cavité du larynx (ce qui arrive souvent, du reste, lorsque le malade parle pendant l'acte de la déglutition), peut tuer comme la foudre. J'ai fait l'autopsie d'un homme de 48 ans ayant toujours joui de la meilleure santé, qui, en joyeuse compagnie, se prit d'un éclat de rire à propos d'une plaisanterie, pendant qu'il avalait un morceau assez gros de filet de bœuf. Sa physionomie riante devint noire et il tomba à la renverse dans un mouvement convulsif, pour ne plus se relever. Le corpus delicti était tellement,

je dirai enchâssé dans la glotte, que j'eus de la peine à le dégager. L'épiglotte était soulevée et les cordes vocales faisaient anneau sur le corps étranger. Des cas semblables ont été observés souvent sur les ivrognes et sur les aliénés.

Si le corps avalé est peu volumineux ou anguleux, il donne lieu à des symptômes qui varient d'après la forme et le siége du corps étranger dans les voies aériennes, et d'après son degré de fixité. Tout corps solide qui s'arrête dans la cavité laryngienne sans obstruer entièrement la glotte par son volume, qu'il soit fixé ou ballottant, amène de la douleur qui augmente sous la pression des cartilages thyroïdes, une toux spasmodique plus ou moins suffocante, sèche ou avec expectoration muco-sanguinolente presque non interrompue et violente jusqu'à donner lieu aux convulsions générales et à l'apoplexie.

La voix change toujours de timbre, et devient ordinairement plus basse, semblable à la voix croupale; la respiration est accélérée, sifflante et même stertoreuse.

L'auscultation des poumons donne un résultat négatif, c'est-à-dire qu'elle révèle la persistance du bruit respiratoire dans toute l'étendue des poumons. Cet état persiste jusqu'à la mort si le corps étranger n'est pas dégagé, soit par la toux, soit par le procédé opératoire, ou s'il ne se déplace pas pour descendre dans les régions inférieures du tube aérien. Si, en subissant ce déplacement, il s'arrête dans la trachée, il y a ordinairement douleur locale au-dessus de l'échancrure du sternum, qui augmente par la pression latérale, difficulté respiratoire à différents degrés, mais point ou peu de toux, si l'obstacle est immobilisé, soit par son enfoncement dans les parois de la trachée, soit par leur pression latérale. Dès qu'il y a, au contraire, ballottement du corps étranger pendant les mouvements respiratoires, ce qu'on peut distinguer quelquefois par le toucher, en promenant deux doigts le long de la trachée, la toux ne manque jamais et est très-violente. Les symptômes varient également selon le volume du corps étranger et son engagement plus ou moins considérable dans les bronches. Les dispositions anatomiques expliquent suffisamment pourquoi la bronche droite est plus fréquemment le siége de ces corps que la gauche. Lors de la présence du corps étranger dans les bronches, la percussion et l'auscultation des poumons peuvent donner des éclaircissements diagnostiques très-précieux. Ainsi, malgré une respiration plus ou moins laborieuse, malgré le facies vultueux, malgré le jeu des ailes du nez, malgré la sueur froide du front et l'abaissement de température des extrémités, etc., la percussion du thorax donne une sonorité normale; mais le bruit respiratoire du poumon dont la bronche contient le corps étranger est nul, si son calibre est complétement obstrué, au point d'intercepter toute entrée d'air atmosphérique. On entend une respiration plus ou moins sifflante, s'il reste encore, à cause de la forme même du corps étranger, un intervalle entre lui et la paroi bronchique. Si le corps étranger introduit dans les bronches peut subir un mouvement de va-et-vient, sous l'influence du mouvement de l'expiration et de l'inspiration, il y a de la toux, et celle-ci est d'autant plus violente que le corps étranger est lui-même poussé et chassé plus haut vers le larynx, car il est constaté par des faits authentiques

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