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et de surprendre au milieu du chaos des intrigues tout le manége des courtisans. Ses tableaux sont vrais, et il excelie surtout dans les portraits; il s'est même dans ce genre élevé à la hauteur des plus grands historiens de l'antiquité. Il ne ménage rien, mais il charge quelquefois les couleurs, et lorsqu'il aborde l'histoire des scandales, le cynisme de ses récits va souvent jusqu'à l'obscénité. Ce n'est qu'à dater de la publication de ses Mémoires que la cour de Louis XIV et celle du régent ont été bien connues. Malgré quelques embarras de style et des details oiseux qui tiennent surtout aux préjugés aristocratiques du temps, le duc de SaintSimon peut être considéré comme un des premiers écrivains de son siècle.

La plupart des auteurs de Mémoires du siècle de Louis XIV se sont montrés, en écrivant l'histoire de ce roi, ses admirateurs passionnés. Cependant les traditions de l'esprit satirique de la Fronde, qui avait produit tant de pamphlets, ne s'étaient point perdues. tout entières au milieu de l'enthousiasme monarchique. Il y avait bien des choses à blâmer dans le grand siècle, et le blâme se produisit par voie d'allusions détournées dans une foule de piè ces qui forment l'appendice nécessaire des souvenirs historiques de cette époque. Nous rappellerons parmi les plus curieux de ces pamphlets, le Recueil de pièces pour servir d'ornement à l'histoire de Louis XIV; les Pensées morales de ce roi; la Confession réciproque; le Conseil privé assemblé pour les impôts; les Soupirs de la France esclave qui aspire après sa liberté; le Partage du lion de la fable vérifié par le roi, etc., etc.

Les Mémoires secrets de DUCLOS sur Louis XIV et sur Louis XV forment pour ainsi dire la liaison des deux règnes. C'est un anias d'anecdotes vraies ou fausses, sérieuses ou frivoles, licencieuses jusqu'à la saleté. Duclos ne s'y montre nulle part historien. Dans la triste période de la régence, et sous le règne plus triste encore de Louis XV, la corruption des mœurs publiques envahit jusqu'à l'histoire C'est pour ainsi dire l'avénement des Mémoires apocryphes. On n'altère pas seulement les

faits, on cherche à couvrir les mensonges de l'autorité des noms les plus respectables; et d'ailleurs, à quelques exceptions près, la plupart des publications relatives à cette époque sont postérieures et en petit nombre.

Le règne de Louis XVI et la révolution française présentent d'innombrables documents de toute sorte, qu'il serait impossible d'énumérer et d'apprécier en détail. Toutes les opinions ont trouvé dans la révolution française des représentants et des apologistes. Les Mémoires abondent; mais à cause de leur nombre même, il est souvent difficile de saisir sans prévention le véritable sens des événements. Nous n'entreprendrons pas de caractériser, même sommairement, tous les ouvrages qui ont paru sur cette époque mémorable, nous ne pourrions le faire sans dépasser de beaucoup les limites qui nous sont assignées. Nous nous contenterons donc d'indiquer ici les principaux, ceux qui résument en quelque sorte les arguments que chaque parti avait à faire valoir dans cette longue lutte où toutes les armes furent si souvent employées.

M. DROZ, dans son Histoire du règne de Louis XVI, a présenté avec beaucoup de convenance, un résumé, presque toujours impartial, des événements de ce regne, pour la fin duquel il faut d'ailleurs consulter les Mémoires de madame CAMPAN. Ceux du MARQUIS DE FERRIÈRES, du MARQUIS DE BOUILLÉ, du COMTE DE MONTLOSIER, de BERTRAND-MOLLEVILLE, de LA FAYETTE et de BAILLY, présentent, sous des points de vue divers, le récit des événements dont la France fut le théâtre sous l'Assemblée constituante.

Les Mémoires d'un homme d'État, rédigés par Scholl, secrétaire du prince de HARDENBERG, contiennent des détails curieux sur l'invasion des Prussiens et des Autrichiens en 1792, et surtout sur les causes de la retraite précipitée de cette armée. DUMOURIEZ a cherché, dans ceux qu'il a publiés à Hambourg en 1794, à présenter sa conduite sous un jour moins défavorable que celui sous lequel elle apparaissait à ses contemporains; cependant il y laisse échapper des aveux qui ne seront point perdus pour l'histoire.

Les massacres de septembre ont été bien des fois racontés: RIOUFFe, BeauMARCHAIS, JOURNIAC DE ST-MÉARD, l'abbé SICARD, l'auteur de l'Histoire des hommes de proie, Roch MARCANDIER, MATOn de la Varenne, ont décrit dans tous leurs détails ces terribles événements.

Les écrits de BUZOT, BARBAROUX, BRISSOT, LOUVET, etc., les Mémoires attribués à madame ROLAND, contiennent le récit des événements qui eurent lieu sous l'Assemblée législative et pendant les premiers temps de la Convention; mais ces événements y sont racontés avec les préoccupations du parti de la Gironde. CAMILLE DESMOULINS a jugé ce parti dans son Histoire des Brissotins, qui est l'un des plus remarquables ouvrages de cette époque.

La guerre de la Vendée a été racontée de la manière la plus dramatique par mesdames DE BONCHAMP et DE LA ROCHEJAQUELIN; mais l'on conçoit que les veuves des chefs royalistes aient apporté dans leur récit une certaine partialité. On a aussi, et en grand nombre, des relations rédigées dans un tout autre esprit tels sont, entre autres, les Mémoires pour servir à l'histoire de la Vendée, par TARREAU, l'un des généraux de la république (*).

Les Mémoires sur la terreur sont nombreux; mais ils ont presque tous été écrits après la réaction, et par des hommes animés de sentiments réactionnaires. Citons cependant ceux de GARAT, de THIBAUDEAU, de SENART, de GREGOIRE, de FOUCHÉ, de MEILLAN, de FRERON, de LEVASSEUR DE LA SARTHE, de DURAND-MAILLANE, de BARRERE. Le rapport de COURTOIS sur les papiers trouvés chez Robespierre, Saint-Just et Payan, contient des pièces curieuses, mais dont le choix a été fait avec une partialité souvent révoltante, et qui sont pour la plupart tronquées, et souvent même dénaturées dans une intention perfide. La Correspondance inédite du comité de salut public, mise en ordre par M. LEGROS, Paris, 1837, mérite plus de confiance.

Pour l'époque du Directoire, on a les (*) On peut consulter en outre sur cette guerre, les Mémoires de PULSAYE, d'OLIVIER D'ARGENS et de VAUBAN.

Mémoires de GoHIER, remarquables par l'esprit d'impartialité, souvent aussi par la bonhomie de l'auteur, et ceux de FAUCHE BOREL, l'agent le plus actif des Bourbons.

Mais c'est surtout dans le Moniteur, dans les procès-verbaux des assemblées législatives, et dans les journaux, qu'il faut aller chercher les matériaux de l'histoire de la révolution (*).

Parmi les ouvrages écrits à l'étranger sur cette grande époque, on peut citer comme un des plus remarquables, les Réflexions sur la révolution française, par Ed. Burke. LACRETELLE JEUNE, FANTIN DESODOARDS, TOULONGEON. PAGANEL, L'ABBÉ PAPON et L'ABBE MONTGAILLARD, ont écrit tour à tour, dans l'intérêt de divers partis, des histoires générales de la révolution, qui aujourd'hui sont complétement oubliées.

Comme les Considérations de madame DE STAEL,ouvrage d'ailleurs beaucoup plus recommandable par la beauté du style que par la profondeur des idées, le livre de M. THIERS a moins de solidité que d'éclat. L'esprit de partialité y domine à ce point, qu'il présente l'histoire détaillée, et surtout l'histoire pittoresque d'un parti pendant la révolution française, bien plutôt que l'histoire même de cette grande révolution. Moins brillant que M. Thiers, mais plus correct, plus judicieux et plus impartial, M. MIGNET n'a cependant pas su éviter entièrement cet écueil. Sa philosophie a quelque chose de fataliste, comme les aperçus de M. Thiers; et, à son exemple encore, il trahit, quoique moins souvent, des préférences pour la bourgeoisie qui vont presque jusqu'au dédain pour le parti populaire et pour ses chefs. L'Histoire parlementaire est exempte de ces défauts. Par malheur, les riches trésors qu'elle contient sont quelquefois entassés sans ordre, et les auteurs, qui ont eu parfois le tort de négliger le style, sont portés à pousser trop loin le zèle du catholicismė. Cependant la collection de MM. BUCHEZ et ROUX n'en est pas moins un monument na

(*) Voyez à cet égard la Bibliographie des journaux, par M. Deschiens. Paris, 1829, in-8°.

tional, où la cause du peuple est défendue avec courage et avec dignité. On y reconnaît à chaque page l'œuvre de deux écrivains honnêtes, qui n'ont cherché ni dans le scepticisme, ni dans le fanatisme, deux extrémités qui se touchent, un secret bien connu depuis les travaux de certains auteurs, et qui consiste à s'affranchir des lois de la morale toutes les fois qu'on a besoin de justifier les fautes de son parti. On doit surtout leur savoir gré d'avoir produit les documents historiques tels qu'ils sont, sans prendre le soin de les modifier, soit pour les embellir, soit pour les dénaturer, comme il n'arrive que trop souvent à M. Thiers, qui s'oublie quel quefois jusqu'a placer dans la bouche d'un orateur des paroles prononcées par un autre, ou même une motion différente de celle qu'il a faite.

L'Histoire complète de la Révolution française, par M. TISSOT, est un ouvrage remarquable, conçu dans un esprit vraiment national, écrit avec impartialité quoique avec feu, et avec cette émotion qui révèle un des témoins, parfois même un des acteurs du grand drame. Mais cette histoire a un grand défaut, qui n'a pas été sans lui faire du tort c'est l'absence complète de méthode, et par suite, une confusion fatigante pour le lecteur, écueil si habilement évité par M. Mignet. Quelquefois aussi, à force de bonhomie, M. Tissot tombe dans une indulgence voisine du scepticisme, et qui tendrait à donner l'impunité aux écarts les plus coupables. En dernière analyse, le livre de M. Tissot, malgré quelques taches, est un des meilleurs et des plus instructifs qui exis

tent.

Egalement faite au point de vue national, l'Histoire populaire de M. CABET est loin de donner lieu aux mêmes éloges et aux mêmes reproches. A part le manque de méthode et d'ensemble, c'est l'extrême opposé. Autant M. Tissot a de ménagements pour tout le monde, autant M. Cabet se montre inexorable pour ses adversaires, qu'il combat trop souvent avec une arme qui ressemble à l'insulte. Sa manière d'écrire est tout à fait excentrique : s'il rapporte un discours, il interrompt mille fois l'orateur pour glisser une ré

plique entre deux parenthèses; il commente chaque ligne, chaque mot, et les pressure avec une sévérité, impatiente de condamner, qui rappelle un peu trop les procédés du parquet. Et cependant la thèse qu'il soutient, si favorable au parti populaire, jusqu'à ce jour si peu connu, si abreuvé d'outrages, si calomnié, est aussi vraie que féconde, et doit, suivant nous, triompher un jour. Enfin on voit que l'auteur est de bonne foi, et qu'il écrit sous l'impression d'une conviction profonde; aussi se sent-on disposé à lui pardonner quelques travers.

Beaucoup plus sagement exécutée, l'histoire de M. LAPONNERAYE mérite d'être rangée au nombre des ouvrages qui ont défendu la cause populaire. Ce qu'on peut reprocher à l'auteur, c'est d'avoir montré trop de faiblesse pour le parti ultrarévolutionnaire, dont l'exagération et le caractère indisciplinable fut une des principales causes du succès de la réaction thermidorienne. Trop d'animosité contre la classe moyenne n'est pas une bonne manière de répondre aux dédains d'un assez grand nombre d'auteurs pour le parti populaire. Un excès n'en corrige pas un autre, et il en prépare presque toujours de nouveaux. D'ailleurs, le peuple et la bourgeoisie ont des griefs réciproques, mais qu'il faudra bien oublier un jour; car après tout, leurs véritables intérêts sont les mêmes, puisque ces deux classes composent la nation française, qu'elles ne sauraient prospérer l'une sans l'autre, et que la France a besoin de leur union pour ne pas déchoir de sa grandeur. Pour la composition de l'ouvrage, M. Laponneraye a souvent multiplié les citations quelquefois fort longues de documents officiels; si ce système a pu déplaire à des lecteurs frivoles, il a mis un grand nombre d'esprits sages en état de juger par eux-mêmes.

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La plupart des documents relatifs au Consulat et à l'Empire ont été publiés depuis la Restauration; car l'empereur n'accordait pas aux écrivains la permission de le juger, et la censure impériale n'était point favorable à la publication des Mémoires. Mais après les revers, les hommes qui l'avaient servi, attaqué ou trahi, ceux qui s'étaient re

tirés en vieillissant des affaires actives, et qui éprouvaient ce besoin de souvenirs qu'on ressent toujours vers le déclin, se recueillirent pour apprendre à l'Europe, toujours inquiète et curieuse du grand homme, ce qu'ils savaient de lui et de son règne. Quelques-uns l'accusèrent, et le plus grand nombre le défendit. On distingue pour l'intérêt, lors même qu'on diffère d'opinion, les Mémoires de BOURRIENNE, le recueil de pièces relatives à la mort du duc d'Enghien, les Mémoires du duc de GAETE, ministre des finances; ceux du baron BAUSSET, préfet du palais impérial; du duc de RoVIGO; les Manuscrits de 1812, 1813 et 1814 du BARON FAIN, qui se recommandent par leur exacti-, tude et leur intérêt toujours soutenu; l'Histoire de France de M. BIGNON, qui s'étend depuis le 18 brumaire jusqu'à la paix de Tilsitt, et qui est jusqu'ici le livre le plus impartial, le plus complet qui ait été écrit sur l'Empire et le Consulat; le Recueil de pièces officielles destinées à détromper les Français sur les événements qui se sont passés depuis quelques années, par FRED. SCHOELL, Paris, 1814-1816; l'Histoire de Napoléon par NORVINS, et surtout les Mémoires dictés à SteHélène par l'empereur lui-même, et les souvenirs recueillis chaque jour au courant de sa parole par les compagnons de son exil (*).

L'histoire militaire de la Révolution et de l'Empire a été traitée par les généraux MATHIEU DUMAS (campagnes de 1799 à 1814); JOMINI (histoire critique des guerres de 1792 à 1801); GUILLAUME DE VAUDONCOURT (cam

(*) Voir aussi les Mémoires du lieutenant général MATHIEU DUMAS, de 1770 à 1816; Mémoires du PRINCE DE LA PAIX sur les affaires de la Péninsule; Documents histo riques sur le gouvernement de Louis Bonaparte en Hollande, par le ROI DE HOLLANDE lui-même; Mémoires pour servir à l'histoire de Charles XIV Jean, roi de Suède, par COUPE DE SAINT-DONAT et l'Histoire de Charles XIV, par TOUCHARD-LAFOSSE; la Vérité sur les Cent jours, par BENJAMIN Constant; Lettre sur les Cent jours, par le même; Histoire critique et raisonnée de la situation de l'Angleterre au 1er janvier 1816, par DE MONTVÉRAN, etc., etc.

pagnes de 1812-13-14-15); ALEX. BERTHIER; les officiers anglais WILSON ANDERSON et WALSH'S (expédition d'Égypte et de Syrie); GOUVION-STCYR (campagnes des armées du Rhin et de Rhin et Moselle, de 1792 jusqu'à la paix de Campo - Formio); ALPH. BEAUCHAMP et LEQUINIO (guerres de la Vendée et des chouans); PELET (campagne de 1809), ouvrage du plus haut intérêt; le colonel anglais NAPIER, SUCHET, THIÉBAULT et Foy (guerres de la Péninsule); E. LABAUME, PH. DE SEGUR et le Russe BUTTURLIN (campagne de Russie); l'historien ta lien BOTTA (guerres d'Italie). L'ensem ble des opérations de 1792 à 1815 se trouve d'ailleurs résumé dans les Victoires et Conquêtes, ouvrage médiocre, qui a obtenu une grande vogue, mais qui est tout à fait au-dessous du sujet.

Mais savons-nous la vérité tout entière sur ce temps qui nous touche, sur cet empereur qui est mort quand nous étions encore enfants, et que nos pères ont servi? Pouvons-nous même la savoir? Le voisinage des événements, leur ébranlement, que nous ressentons encore, nous laissent-ils la liberté de juger avec calme et impartialité? Et au milieu des luttes si diverses des partis, sommes-nous, dans notre époque de confusion, assez fermes, assez sûrs de notre conscience politique pour nous maintenir, sans en descendre, dans les hauteurs de l'histoire indépendante et libre (*) ?

(*) On consultera, pour l'histoire de la rèstauration et de la révolution de juillet : LACRETELLE, CAPEFIGUE, CAUCHOIS-LEMAIRE; l'Histoire du congrès de Vérone, par M. Da CHATEAUBRIAND; les Mémoires sur la vie et la mort du duc de Berry, par le mème; les nombreuses publications de l'abbé de PRADT, les Mémoires du VICOMTE SOSTRÈNES DE LA ROCHEFOUCAULD; la Minerve, le Censeur européen, le Conservateur; la Révolution de 1830, par CABET; Deux ans de règne, par PEPIN, avocat; La Fayette et la révolu tion de 1830, par SARRANS jeune; LouisPhilippe et la contre-révolution, par même; Ham, par un employé de Polignac, etc., etc., et un livre récent, supérieur à tout ce qui a été écrit sur cette époque. l'Histoire de dix ans (1830-1840), par

M. LOUIS BLANC.

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§ II. HISTOIRES GÉNÉRALES ET DOGMATIQUÉS. Jusqu'à présent nous ne nous sommes occupés, pour ainsi dire, que des chroniqueurs et des rédacteurs de Mémoires; des écrivains qui ont raconté les événements dont ils étaient conternporains. C'est qu'il fallait en effet, et comme point de départ, indiquer les sources. Voyons maintenant les histoires générales et dogmatiques, celles qui prennent le peuple à son origine et le suivent pas à pas à travers ses destinées diverses. Ce genre d'histoire était inconnu au moyen âge; à part un certain nombre de traditions populaires, qu'on se transmettait sans contrôle, qu'on adoptait sans vérification, les esprits les plus curieux eux-mêmes, au milieu de la barbarie des temps et des désastres de toute espèce, s'inquiétaient peu de recueillir avec exactitude, et de soumettre aux épreuves de la critique le peu qu'ils savaient du passé: la légende envahissait constamment l'histoire. Au douzième siècle, la nation française, si toutefois ce nom peut convenir au peuple de cette époque, avait entièrement perdu les traces de ses origines. Le serf ignorait qu'il descendait des vaincus; les nobles des conquérants. Le catholicisme des Francs avait lavé leur nom, ainsi que l'a dit M. Augustin Thierry, de toute souillure barbare; et les rares souvenirs qu'avaient laissés les malheurs des invasions étaient exclusivement rejetés sur le compte d'Attila et des Sarrasins. On croyait les Francs issus des compagnons d'Énée, et les plus lettrés eux-mêmes vénéraient comme fondateurs de la nation française, Francion, fils d'Hector. Cette tradition devait, sans aucun doute, son autorité et sa persistance aux souvenirs de la littérature,classique, touours puissants, même dans la barbarie.

Personne avant le seizième siècle n'avait songé à reconstruire dans son ensemble l'histoire de la nation par la recherche et l'étude des documents contemporains; mais à cette époque la curiosité, réveillée par la renaissance, après s'être dirigée d'abord vers l'antiquité grecque où latine, se tourna vers le moyen âge et les antiquités nationales. Il était difficile de s'affranchir

entièrement, dès les premiers pas, du joug des traditions qui avaient reçu la consécration du temps. Mais au milieu des incertitudes les plus diverses, il y eut néanmoins réaction contre les chroniques fabuleuses ou inexactes, et, tout en adoptant des opinions erronées, on essaya une science nouvelle fondée sur l'étude des documents authentiques. NICOLE GILLES, DUHAILLAN, PAULÉMILE, FAUCHET, GAGUIN, DUPLEIX, BELLEFOREST, JEAN DE SERRES, DU TILLET, et quelques autres encore dont la valeur a été si bien appréciée par M. Augustin Thierry, commencèrent à débrouiller, du point de vue de l'érudition positive, le chaos de notre histoire et de nos origines; mais leurs essais se sentent encore de l'imperfection de toute science qui commence. Les uns, comme Paul-Emile, par une imitation maladroite des écrivains de l'antiquité, introduisirent dans leur récit des harangues qui dénaturèrent tout à la fois le caractère des personnages et la physionomie du temps; les autres, pour faire leur nation plus noble en la faisant plus ancienne, lui fabriquent une généalogie fabuleuse et inventent des rois de Gaule dont la succession légitime remonte par voie d'hérédité jusqu'à Priam, et plus loin encore.

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Il est deux hommes cependant qui méritent, à plus d'un titre, d'être distingués à cette époque: HOTTMAN et ÉTIENNE PASQUIER. Il y a dans le livre d'Hottman intitulé: FrancoGallia, deux parties distinctes: la partie politique et la partie historique. « C'est un livre habile et érudit où, « pour la première fois, les doctrines « démocratiques sont appliquées à no<< tre histoire nationale, et où le droit populaire est justifié avec une grande « verve de paradoxe, comme remontant « au berceau même et aux lois fonda«mentales de la monarchie française. » Son point de départ est une hostilité constante des indigènes de la Gaule contre le gouvernement romain. L'auteur est épris des gouvernements par assemblées, et il retrouve dans nos siècles barbares la souveraineté exercée par un conseil national qui élit les rois, fait les lois et la guerre et nomme aux offices. Ce livre exerça une grande

T. IX. 27 Livraison. (DICT. ENCYCL., ETC.)

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