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l'antiquité, que par les témoignages incomplets et souvent suspects des peuples avec lesquels la guerre les a mis passagèrement en rapport. La géographie de la Gaule, ses limites, l'emplacement de ses villes sont souvent un mystère; et Pomponius-Mela, Pline, Strabon, Ptolémée, Denis le Périégète, Marcien d'Héraclée, l'Itinéraire d'Antonin et la Table de Peutinger, qui forment les sources de notre géographie historique, ne peuvent suffire à la reconstituer d'une manière toujours satisfaisante, avec la certitude qu'on serait en droit de demander à la science. La plupart de ces géographes, d'ailleurs, ne connaissaient eux-mêmes la Gaule que comme une contrée lointaine, sauvage, et pour ainsi dire inexplorée; et ils en parlaient sans cette sympathie et cette curiosité vive qui, seules, excitent à la recherche et donnent l'exactitude; ils en parlaient comme pouvaient le faire des hommes civilisés et des vainqueurs, d'une terre de barbares et de vaincus.

Dans l'histoire militaire et politique des Gaulois, la même obscurité regne encore, et il faut chercher cette histoire dans celles des autres peuples. Les écrivains romains ne s'occupent des enfants de Brennus que dans ces moments terribles pour Rome, où le tumultus gallicus est proclamé, ou lorsqu'ils les rencontrent, comme alliés, dans les rangs de leurs ennemis. C'est ainsi qu'en ont parlé Tite-Live et Polybe. Les historiens grecs, à leur tour, ne leur donnent quelques souvenirs que lorsqu'ils les trouvent égarés par des migrations lointaines, dans la Grèce ou dans l'Asie. Un seul monument de l'antiquité: La guerre des Gaules de CÉSAR, est exclusivement consacré à la patrie de Sacrovir et de Vercingétorix; mais qu'estce donc pour la vie tout entière d'un peuple qu'une période de dix ans? Et la vérité sur les vaincus est-elle impartiale et complète dans les écrits des vainqueurs? Nous ne savons donc avec détail, de la nation gauloise, que sa défaite et ses derniers moments. Mais que de grands episodes de cette lutte suprême nous sont sans doute cachés sans retour! César compte les morts, mais il ne dit pas comment ils sont tombés, et

jamais peut-être la dureté du monde antique ne s'est montrée plus inflexible. Le vainqueur d'Alise assiste aux funérailles de la Gaule, comme le peuple romain assistait aux jeux du cirque, et la mesure de la pitié du conquérant et de l'historien se révèle tout entière dans ces mots : « César a tué un million de Gaulois, et il en a vendu un million pour l'esclavage. »

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Quand la conquête romaine eut soumis toute la Gaule, quand Rome eut admis les vaincus au rang de citoyens romains, il est à remarquer que les Gaulois, initiés à la culture littéraire des vainqueurs, restèrent complétement indifférents au passé de leur patrie, et qu'il ne se rencontra personne parmi eux pour raconter la défaite. Rome était le centre du vieux monde; tous les grands événements ne semblaient s'accomplir que par elle et pour elle, et les barbares n'eurent une histoire que du moment où le triomphe de l'invasion eut fait mentir les livres sibyllins qui promettaient à la ville l'éternité de l'empire.

SI. Chroniques et mémoires.

Le plus ancien historien national que nous ayons c'est, on le sait, GRÉGOIRE DE TOURS, le père de notre histoire. Au milieu du chaos de la barbarie mérovingienne, Grégoire de Tours apparaît comme le dernier représentant de la civilisation romaine, en même temps qu'il se montre l'homme d'une époque et d'une foi nouvelle. On chercherait vainement dans les pages qui sont restées de lui les lumières de la critique, la discussion des faits, la préoccupation des causes. Mais en racontant l'histoire d'un temps où les derniers débris de l'ancien monde persistent encore, où la piété la plus vive n'exclut pas des crimes inouïs, le saint évêque a rencontré, par sa naïveté et sa barbarie même, une singulière puissance de terreur. Ses récits sont dramatiques, animés, et le titre de sa chronique: Histoire ecclésiastique des Francs, résume heureusement en trois mots toute la société d'alors; d'un côté le christianisme, de l'autre la conquête. Le premier livre de Grégoire de Tours commence, suivant l'usage du moyen âge, à la création, et s'arrête en l'en 397 de notre ère. Les

livres suivants s'étendent de cette date à l'an 591; et c'est là qu'il faut chercher tous les souvenirs que le temps a laissés parvenir jusqu'à nous de cette époque mérovingienne si remplie de faits singuliers, d'incidents bizarres ou tragiques. L'abréviateur et continuateur de Grégoire de Tours, FRÉDÉGAIRE, qui vivait au milieu du septième siècle, a laissé des chroniques qui s'arrêtent en 641. Comme son devancier, il donne en commençant un abrégé de l'histoire universelle depuis le commencement du monde, et finit par le récit des événements accomplis de son vivant. Frédégaire est à peu près le seul historien du septième siècle; mais pour la culture littéraire, pour l'habileté de la narration, il est déjà loin de Grégoire de Tours. On sent que la barbarie a fait des progrès, que les dernières lueurs de la civilisation romaine se sont éteintes. Malgré le christianisme, il reparaît dans Frédégaire quelque chose de la dureté antique. L'habitude de tous les désastres, le spectacle de tous les crimes a émoussé en lui la pitié, et il raconte sans s'émouvoir et sans blâmer.

La Vie de saint Léger écrite par un moine de Saint-Symphorien d'Autun, est à peu près le seul document historique propre à éclairer la seconde moitié du septième siècle. Ainsi que le remarque M. Guizot, à défaut de cette légende grossière mais pathétique encore, l'histoire des Mérovingiens, de 660 à 680, serait tout à fait inintelligible.

Les grands événements du règne de Charlemagne, et l'homme supérieur qui a dominé ces événements, n'ont laissé par malheur dans nos annales que des souvenirs incomplets et vagues. C'est dans EGINHARD qu'il faut chercher les renseignements les plus précis et les plus complets. Éginhard a écrit des Annales qui s'étendent de 741 à 829, et une Vie de Charlemagne, qui porte à chaque phrase un caractère de vérité incontestable. Les Lettres de cet historien présentent également des détails fort curieux sur l'état social et les mœurs du neuvième siècle; mais la critique historique est toujours absente.

Deux écrivains contemporains de Louis le Débonnaire, THEGAN, chorévêque de Trèves, et un anonyme connu

sous le nom de l'ASTRONOME, nous ont laissé la Vie de ce roi. On trouve, au milieu d'un grand nombre d'erreurs chronologiques, des indications curieuses sur le caractère du monarque; mais c'est surtout dans le poëme d'ERMOLD LENOIR, Faits et gestes de Louis le Pieux, qu'il faut chercher sur ce regne, sur les mœurs et l'état général de la société de ce temps, les détails les plus circonstanciés. Ermold ne s'occupe point des grands événements; mais sa poésie, à défaut de verve et d'inspiration, offre un tableau intéressant des grandes réunions du champ de mai, des fêtes de la cour, des chasses royales, de toutes les choses enfin qui ressuscitent pour ainsi dire les générations mortes dans leur physionomie native.

NITHARD, petit-fils de Charlemagne, écrivit, à la sollicitation de Charles le Chauve, l'Histoire des dissensions des fils de Louis le Débonnaire; mais le courage lui manqua pour achever son œuvre, et il l'interrompit par la tristesse que lui causait le récit de tant de malheurs. Nithard a, sur les historiens contemporains, une incontestable supériorité; il est méthodique, spirituel, et il cherche toujours à remonter de l'événement à la cause.

On trouve, pour l'histoire du neuvième siècle, les Annales de Metz, qui n'offrent qu'un intérêt secondaire; les Annales de Saint-Bertin, qui s'étendent de 741 à 882, et le poëme d'ABBON sur le siége de Paris. Les Annales de Saint-Bertin sont confuses; mais elles offrent un tableau fidèle des désastres de l'invasion normande. Le poëme d'Abbon présente une relation détaillée du siége de Paris. L'auteur raconte froidement; son récit est souvent obscur, mais il a du moins le mérite de l'exactitude.

L'Histoire de l'église de Reims, de FRODOARD, où l'on trouve beaucoup de lettres et de pièces, et la Chronique du même auteur, qui s'étend de 919 à 966, sont sans contredit les ouvrages les plus curieux du dixième siècle. C'est là qu'il faut chercher la plupart des souvenirs qui se rattachent à Charles le Simple, à Louis d'outre-mer, et à une partie du règne de son fils Lo

thaire. Des narrations gracieuses et naïves s'y mêlent aux croyances nationales, aux miracles, à d'innombrables aventures religieuses. C'est de l'histoire telle qu'on pouvait l'attendre d'un siècle barbare.

RAOUL GLABER, dans sa Chronique; HELGAUD, dans la Vie du roi Robert, et le Poëme d'ADALBERON offrent, pour l'histoire du onzième siècle, les sources les plus certaines. Raoul Glaber embrasse, dans son récit, la France et « les quatre parties du monde. » C'est ainsi qu'on désignait alors l'empire romain; et tout en mêlant la métaphysique à l'histoire, la poésie à la prose, il donne sur les Capétiens des détails qu'on chercherait ` vainement ailleurs. La Vie de Robert, par Helgaud, est moins une histoire qu'un panégyrique, et l'obscurité du Poëme d'Adalberon a désespéré les érudits les plus habiles.

Le grand mouvement communal du douzième siècle est retracé avec inté rêt, mais du point de vue des luttes locales, dans l'Histoire du monastère de Vézelai, par Hugues de Poitiers (1140 à 1167), et dans la Vie de Guibert, abbé de Nogent-sur-Seine, qui ressemble plutôt dans certaines parties aux rêves d'un mystique malade qu'à l'autobiographie d'un historien. On trouve encore quelques renseignements dans les OEuvres d'Hildebert, évêque du Mans; mais l'œuvre vraiment importante de cette époque est sans aucun doute la Vie de Louis le Gros, par SuGER. L'abbé de Saint-Denis avait influé directement comme ministre sur les destinées de la France, et, en racontant des événements dont il avait pu surprendre le secret à leur source même, il s'est montré quelquefois historien habile, comme il s'était montré homme supérieur dans la pratique des affaires. Quant à la Vie de Louis le Jeune, qu'on lui a faussement attribuée, elle est tout à fait indigne de lui.

Les histoires des croisades, et surtout des premières expéditions, sont nombreuses et détaillées. Nous nous bornerons à citer GUIBERT DE NOGENT, GUILLAUME DE TYR, Bernard LE TRÉSORIER, SOon continuateur, ALBERT d'AIX, RAYMOND D'AGILES,

JACQUES DE VITRY, RAOUL de Caen, ROBERT LE MOINE, FOULCHER DE CHARTRES, et la Vie de saint Bernard, écrite par deux abbés et un moine qui avait été secrétaire du saint. Guillaume de Tyr a mérité le nom de prince des historiens des croisades. Il est exact, véridique, instruit en histoire et en géographie, chose rare au moyen âge, où les habiles plaçaient Rome au nord de Paris, et Hugues de Saint-Victor, la Grèce où il fait toujours froid, dans le voisinage du pôle. Guillaume de Tyr se préoccupe des mœurs, ne se dissimulant ni les vices ni les fautes des croisés, lors même qu'il s'agit des princes de l'Église, et il les suit avec une sympathie toujours vive, à travers leurs triomphes ou leurs revers; mais sans penser jamais que la sainteté de la cause soit compromise par les fautes, ou le succès rendu impossible par les désastres. Son continuateur Bernard, qui est loin de son mérite, n'a laissé qu'une narration confuse et pleine d'erreurs, mais abondante encore en détails curieux sur les affaires du royaume de Jérusalem et les relations des chrétiens avec les musulmans, dont il avoue la supériorité. - Albert d'Aix, qui s'arrête en 1120, n'avait point visité la terre sainte; mais il suivait avec enthousiasme les pas de ceux qui, plus aventureux, s'étaient jetés dans les migrations lointaines. Il recueillit avec soin, à leur retour, les souvenirs et les récits, et, en les reproduisant avec exactitude, il nous fait assister pour ainsi dire aux conversations des pèlerins qui arrivent de la terre sainte, et qui racontent ce qu'ils ont fait et ce qu'ils ont souffert.-Raymond d'Agiles avait vu de ses propres yeux ; il était chanoine du Puy en Velai lorsque Urbain II vint prêcher la croisade à Clermont. Le comte de Toulouse s'était armé pour la guerre sainte; Raymond se fit le chroniqueur de son prince et des croisés de sa suite, et les visions, les pressentiments, les miracles qui se trouvent mêlés dans son récit sont la peinture fidèle de la disposition d'esprit où se trouvaient les hommes mêlés à ces grandes aventures. Jacques de Vitry, qui fut évêque de Saint-Jean d'Acre et mourut en 1244, après

avoir pris aux affaires de la Palestine une part active, est moins un historien qu'un voyageur qui s'applique à faire connaître tout ce qu'un long séjour en Orient lui a révélé de cette contrée. Raoul de Caen, qui passa en Syrie en 1107, et fut attaché à Tancrède dont il s'intitule le serviteur, a consacré sa plume à raconter les exploits de ce chevalier célèbre. Quant à la chronique de Foulcher de Chartres, qui fut chapelain de Baudouin 1er, roi de Jérusalem, c'est moins une histoire composée en vue de la postérité qu'un journal adressé aux chrétiens restés en Occident pour les instruire des faits et gestes de leurs frères.

La vie de saint Bernard, composée par deux abbés et un moine contemporain, mérite une attention particulière. Là sont consignés les détails les plus précis qui nous restent sur cet abbé de Clairvaux, qui fut la plus grande intelligence de son temps. C'est aussi dans les œuvres de cet homme illustre qu'il faut chercher, ce qu'on a trop négligé jusqu'aujourd'hui, des révélations sur les motifs qui l'avaient porté à prêcher la croisade; sur cette parole puissante qui entraînait les maris et les enfants loin de leurs femmes et de leurs mères, et ne laissait sur la terre de France que des veuves dont les époux étaient vivants; sur les regrets qui troublèrent les derniers jours du saint quand les crimes et l'imprévoyance des croisés eurent amené de terribles désastres qui trahirent toutes les espérances de sa foi. Jamais du reste, à aucune époque du moyen âge, l'action immédiate et directe de Dieu dans les choses humaines n'a été proclamée plus haut par les historiens. Quand le pape Urbain appelle à la guerre sainte, c'est que Dieu veut la guerre. Quand les infidèles, comme le dit saint Bernard, dépeuplaient par le glaive la terre bé«nie, la terre de promission où le « Dieu qui est la vie des hommes s'est << endormi dans la mort; quand le saint << des saints était livré aux chiens, quand les jours de l'opprobre éternel « se levaient pour les générations mau« vaises, on pensait dans la chrétienté « que le bras de Dieu s'était raccourci;

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« Dieu cependant pouvait sur un signe « envoyer douze légions d'anges pour « délivrer sa terre; il le pouvait, mais << il ne l'a pas voulu, parce qu'il vou«!ait savoir s'il y avait encore parmi « les hommes des hommes sensibles à « ses douleurs..... Et quand les fils de l'Église, quand ceux qui se glori« fiaient du nom de chrétiens et qui << étaient partis pour délivrer le temple, << tombèrent dans le désert percés par l'épée et consumés par la faim, c'est « qu'ils s'étaient égarés dans les voies de « ténèbres et que Dieu avait répandu « son mépris sur eux. Quand le doigt divin est ainsi partout, ne semble-t-il pas que la libre activité de l'homme soit anéantie? On le croirait, puisqu'il reparaît dans les inflexibles doctrines providentielles des historiens de la croisade quelque chose du fatalisme des écrivains antiques ou des historiens musulmans.

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Ce n'était pas seulement sur la terre profanée par les infidèles que les pèlerins armés de ces mystiques époques allaient conquérir les palmes du martyre; ils croyaient les conquérir encore sur le sol de la chrétienté en combattant l'hérésie des Albigeois, et cette guerre cruelle devait avoir aussi ses historiens passionnés. Tous ceux qui se sont occupés du passé connaissent, au moins de nom, PIERRE DE VAULX-CERNAY et GUILLAUME DE PUY-LAURENS. La chronique de ce dernier remonte aux premiers temps de l'hérésie albigeoise, et s'arrête en 1272. Elle est empreinte d'une haine très-vive contre les hérétiques, et ce même reproche peut s'adresser encore à Pierre de Vaulx-Cernay. Témoin et acteur de l'un des plus tragiques événements du treizième siècle, Pierre a mis dans son récit une verve de passion qui manque à la plupart des chroniqueurs. Citons encore l'Histoire de la croisade contre les hérétiques albigeois, écrite en vers provençaux par un poëte contemporain. et dont le principal mérite est, sans au cun doute, d'avoir fourni à M. Fauriel l'occasion du beau travail qui sert d'introduction à cette histoire, dans la collection des Documents inédits publiés par ordre du ministre de l'instruction publique.

Philippe-Auguste, Louis VIII et Philippe le Bel ont trouvé dans RIGORD, GUILLAUME LE BRETON, NICOLAS DE BRAY et GUILLAUME DE NANGIS, des historiens et des biographes poétiques curieux de leurs faits et gestes, et fort exacts à les enregistrer. Rigord, dans la Vie de Philippe-Auguste, s'est donné plus de peine qu'on ne s'en donnait en général de son temps pour réunir des matériaux, vérifier les faits, et colorer son œuvre d'un certain vernis littéraire, Guillaume le Breton continua Rigord dans le poême de la Philippide, et c'est encore en vers que Nicolas de Bray célébra les Faits et gestes de Louis VIII. Quant à Guillaume de Nangis, sa chronique, qui remonte au commencement du monde, ne devient un ouvrage original qu'à dater de 1113; mais, à partir de cette époque, elle présente une grande quantité de faits recueillis avec un soin extrême, et c'est le document le plus exact et le plus complet qui nous reste sur les seize années comprises entre 1285 et 1301.

Dans la période qui nous occupe, la Normandie compte plusieurs historiens particuliers qu'il faut mettre, par l'importance des souvenirs de cette province, au premier rang de nos chroniqueurs. Ce sont : ROBERT WACE, auteur du Roman de Rou et des ducs de Normandie. Cet ouvrage est aussi remarquable sous le rapport littéraire que sous le rapport historique. Il présente le tableau des invasions des Normands et de la vie de leurs ducs, depuis Rollon jusqu'à Henri Ier, et ce tableau est beaucoup plus exact que ne semble le promettre le titre de roman, ou la forme métrique adoptée par Wace; ORDÉRIC VITAL, narrateur sans art, sans méthode, mais honnête et naïf, simple et crédule, mais indépendant et sincère, et qui nous a transmis les renseignements les plus précieux sur l'histoire des onzième et douzième siècles, l'état civil, politique et religieux de la société en Occident, et sur les mœurs du clergé, de la noblesse et du peuple. C'est encore GUILLAUME DE JUMIÉGES qui sait donner à son récit un air de vie et un cachet de vérité qui attache, et l'historien de Guillaume le Conquérant, GUILLAUME DE POITIERS, l'un des

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plus distingués de nos anciens chroniqueurs, en ce qu'il sait démêler les causes des événements et le caractère des acteurs.

Il faut noter ici la révolution qui s'accomplit alors dans l'histoire. Elle se sécularise en quelque sorte; et, en adoptant la langue vulgaire, elle devient accessible à tous. Sa première forme, dans cet idiome nouveau, et qui bégaye encore, est la forme poétique; mais, par son instrument même, elle tend à se confondre avec les romans dans lesquels se sont transfigurés Arthur et Charlemagne. Cependant, elle se dégage vite de ses embarras métriques, et, avec VILLEHARDOUIN, elle s'élève par le drame du récit jusqu'à la hauteur de l'ancienne histoire.

Villehardouin, qui nous a laissé l'Histoire de la conquête de Constantinople (1199 à 1207), est un écrivain naïf qui trouve sa grandeur dans son héroïsme chevaleresque; il s'inquiète peu des causes et des effets, mais beaucoup des coups de lance. Il quitte sa plume pour son épée, dit ce qu'il a vu, loue, chose toujours rare, ce qu'ont fait de grand ceux qui vivaient autour de lui, et, comme l'a dit un de ses biographes, rien ne représente mieux que son langage la nation française du treizième siècle. Mœurs guerrieres, mœurs politiques, mœurs de famille, tout s'y retrouve. Les chroniques de Villehardouin ont été continuées par HENRI DE VALENCIENNES, dont les Mémoires contiennent de curieux détails sur la fondation de l'empire latin de Constantinople. La narration de cet écrivain a de la netteté et de la couleur; l'importance et la nouveauté des faits qu'il raconte prêtent à son récit un intérêt véritable; mais ce récit est incomplet; la dernière partie manque, et, selon toute apparence, elle s'étendait jusqu'à l'année 1216.

Le règne de saint Louis, à la fois si triste et si glorieux, la vie de ce roi qui fut un saint pour l'Église, un héros pour la chevalerie, et qui, avec MarcAurèle, est peut-être le seul, de tous les hommes qui ont occupé le trône, qui ait pris la règle du devoir pour base de sa conduite; cette noble vie, disonsnous, par suite de l'admiration même

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