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son chef. Deux fois, quand il fallut jeter des ponts sur la Bérésina, il traversa le fleuve, à cheval, pour aller reconnaître la rive opposée. Au terme de ce grand désastre, l'empereur le nomma premier officier d'ordonnance, place qu'il créa pour lui afin de l'attacher au cabinet. Ce fut en cette qualité que Gourgaud le suivit pendant la campagne de Saxe, sur les champs de bataille de Lutzen, de Bautzen, etc. Durant l'armistice de Plesswitz, il fut chargé de veiller au matériel de l'artillerie, et reçut une nouvelle dotation. Le 24 août, ce fut sur l'avis transmis par Gourgaud que Napoléon, qui voulait d'abord marcher sur Koenigsberg, changea tout à coup de direction, et arriva à Dresde assez tôt pour empêcher l'ennemi d'enlever cette ville et pour livrer bataille. Dans cette circonstance, il eut encore, à titre de récompense, une dotation de six mille francs avec le brevet d'officier de la Légion d'honneur. Après la bataille de Leipzig, il sauva le corps du maréchal Oudinot qui était resté en arrière. Dans l'intervalle qui sépara la campagne outre-Rhin des premiers événements de la campagne de France, Gourgaud s'occupa sans relâche de la réorganisation de l'armée et de la défense du territoire, et quand l'invasion eut commencé, il partit avec l'empereur pour la combattre. Au retour de l'île d'Elbe, Gourgaud reprit auprès de lui ses fonctions de premier officier d'ordonnance. Bientôt il se signala à Fleurus, devint aide de camp de l'empereur avec le grade de général. Après avoir combattu toute la journée à Waterloo, où il fit tirer les derniers coups de canon, il revint à Paris avec Napoléon; se rendit ensuite avec lui à la Malmaison, puis à Rochefort, où il fut chargé de porter au prince régent d'Angleterre la lettre par laquelle le souverain déchu demandait à s'asseoir au foyer du peuple britannique. Arrivé à Plymouth, le général Gourgaud ne put débarquer, et fut conduit en rade à Torbay, pour être mis à bord du vaisseau monté par Napoléon, qui le choisit, avec Montholon et Bertrand, pour partager sa captivité. Toutefois, parvenu à la fatale destination, le général ne tarda pas à éprouver un notable dérangement de sa santé, et, après un séjour de plus de trois

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ans, il tomba, dit-on, si dangereusement malade, que les médecins décidèrent qu'il devait retourner en Europe (*). Ramené en Angleterre à l'époque du congrès d'Aix-la-Chapelle, Gourgaud écrivit aux empereurs de Russie et d'Autriche pour leur faire connaître l'état déplorable où Napoléon était réduit, et pour les encourager à apporter quelque adou. cissement à son sort. On croit pouvoir attribuer à cette démarche l'envoi à Sainte-Hélène d'un aumônier, d'un médecin et de trois domestiques. Le 25 août 1818, il adressa de Londres à Marie-Louise, l'indigne épouse du grand homme, une lettre dans laquelle il la conjurait de faire enfin une démarche en faveur de son époux. « Madame, écri<< vait-il, au nom de ce que vous avez de plus cher au monde, de votre gloire, « de votre avenir, faites tout pour sauver l'empereur, l'ombre de Marie-Thérèse a vous l'ordonne!..... Pardonnez-moi, << madame, d'oser vous parler ainsi; je << me laisse aller aux sentiments dont je suis pénétré pour vous; je voudrais « Vous voir la première de toutes les « femmes. » Marie-Louise, déjà livrée à de scandaleuses affections, et projetant une union secrète qui convenait à la politique de Metternich, fut sourde à cette voix généreuse. En 1817, le général, fatigué d'entendre injurier à Londres l'armée française qui avait combattu à Waterloo, avait publié une relation de cette bataille rédigée à SainteHélène. Cette démarche indisposa contre lui Wellington et le ministère, qui, sous le prétexte de saisir entre ses mains des papiers importants, le firent arrêter, voler, maltraiter, et ensuite jeter au rivage de Cuxhaven sur le continent. Il resta plusieurs années errant, proscrit, pourchassé. Plusieurs fois, il sollicita vainement l'autorisation de rentrer en France. Sa mère, âgée de soixante et quinze ans, adressa à ce sujet une pétition à la chambre des députés. Cette malheureuse femme, accablée de chagrin, fut frappée d'apoplexie. Enfin, le ministre des affaires étrangères, M. Pas(*) D'autres prétendent que des mésintelligences survenues entre lui et Montholon (mésintelligences qui causèrent de graves ennuis à l'illustre captif), furent le véritable motif qui nécessita son départ de Longwood.

T. 1x. 3 Livraison. (DICT. ENCYCLOP., ETC.)

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quier, expédia un passe-port au général, qui revit la France le 20 mars 1821. Lorsqu'on eut appris la nouvelle de la mort de Napoléon, Gourgaud signa, avec le colonel Fabvier, le comte Armand de Briqueville, François Collin de Nantes, et Henri Hartmann, fabricant du Haut-Rhin, une pétition dans la quelle il demandait à la chambre des députés d'intervenir pour réclamer les restes de l'empereur. Le temps n'était pas venu..... Rayé des contrôles de l'armée, le général, satisfait d'une indépendance qu'il devait à la libéralité du prisonnier de Sainte-Hélène, ne s'occupa plus qu'à mettre en œuvre les documents précieux qu'il avait pu recueillir pendant les neuf années du service intime et journalier qui l'avait attaché à l'empereur. En 1827, l'Histoire de Napoléon, par Walter Scott, présenta Gourgaud comme ayant mis le gouvernement anglais sur la trace des nombreux moyens d'évasion qu'avait l'illustre prisonnier, ce qui aurait été la cause indirecte du système de rigueur déployé contre lui. Pour repousser ces inculpations, le général fit insérer dans les journaux une lettre dans laquelle il démentait avec indignation le romancier anglais, qui répliqua, et prétendit que tout ce qu'il avait avancé était appuyé sur des documents officiels, transmis par des agents ministériels anglais. Gourgaud, dans une brochure publiée à cette occasion, répondit que ces prétendues communications se réduisaient à des conversations sans importance comme sans effet, et que les agents anglais avaient agi dans le sens que leur imposait le besoin de légitimer d'infames attentats; reproduisit lui-même les pièces publiées par Walter Scott dans les journaux anglais, afin de mettre au grand jour la futilité des communications alléguées, et la perfidie avec laquelle elles avaient été dénaturées. Il fit paraître successivement un récit de la Campagne de 1815 (1817, in-8°); conjointement avec le général Montholon, des Mémoires pour servir à l'histoire de France sous Napoléon, écrits à Sainte-Hélène sous la dictée de l'empereur (1823 à 1825, 8 vol. in-8°); Napoléon et la grande armée en Russie, ou Examen critique de

l'ouvrage de M. de Ségur (1824, in-8°).

La révolution de juillet a changé la position du général Gourgaud. Rentré en activité, il fut nommé commandant de l'artillerie de Paris et de Vincennes, puis lieutenant général (1835), attaché à la personne de Louis-Philippe, et désigné enfin comme un des membres de la commission qui alla chercher à SainteHélène et ramena à Paris les restes de Napoléon.

GOURGUES (Dominique de), gentilhomme protestant du seizième siècle, célèbre par sa courageuse expédition de la Floride, que nous avons eu occasion de raconter ailleurs avec détails (*). Nous avons vu qu'il s'en fallut de peu que de Gourgues ne payât de sa tête cette expédition ; que, pour se soustraire à la vengeance du roi d'Espagne, il fut forcé de se cacher pendant quelque temps. Il mourut à Tours vers 1593, au moment où il se disposait à prendre le commandement de la flotte que la reine Élisabeth envoyait au secours du roi de Portugal.

GOURNAL, Gornacum, petite ville du département de la Seine-Inférieure, arrondissement de Neuchâtel. Population: 3,030 habitants.

Gournai existait, dit-on, avant là conquête des Romains. Au moyen âge, elle a joué un assez grand rôle par suite de sa position dans un pays que les rois de France et d'Angleterre se sont disputé si souvent les armes à la main, et elle fut prise plusieurs fois, entre autres en 1418.

«

Phelipes de Saveuses, dit Pierre de Fenin, estant à Gournay en Normandie atout (avec) de deux à trois cens combatans, fist par plusieurs fois de grans dommages aux gens du roy Henry, et mout en emmena de prisonniers dedens la ville de Gournay, et tant que les pri sonniers englès prindrent le chastel de Gournay, et le tindrent ung jour; mais le Boin de Saveuses, qui lors y estoit pour Phelipes, son frère, fist tant par belles parolles, que lesdiz Englès prisonniers luy rendirent ledit chastel, donc il en y eut qui en eurent malvais loier. Quelque temps après, Gournai retomba au pouvoir du roi d'Angleterre.

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(*) Voyez FLORide.

L'ancienne église collégiale est assez remarquable. Cette ville faisait partie du diocèse, du parlement et de l'intendance de Rouen, et de l'élection d'Andely.

GOURNAY (Marie le Jars de), née en 1566, d'un trésorier de la maison du roi, perdit son père fort jeune; vécut d'abord à la campagne dans une solitude studieuse, dont la médiocrité de la fortune de sa mère lui faisait une loi, et sut ensuite, par sa haute intelligence et ses nobles qualités, gagner l'affection de Montaigne, qui devint son père adoptif. Deux ans après la mort de l'illustre auteur des Essais, elle fit le voyage de Bordeaux, dans le but pieux de visiter la veuve et la fille de Montaigne, et de recueillir les renseignements qui lui étaient nécessaires pour faire une nouvelle édition de son immortel ouvrage. Plus tard, ayant perdu sa mère, elle revint habiter Paris, où sa maison fut le rendez-vous des savants et des gens de lettres. Mademoiselle de Gournay, dans sa jeunesse, s'était occupée de la recherche de la pierre philosophale, et y avait dépensé la presque totalité de sa petite fortune. Ses amis obtinrent du roi, pour elle, une modique pension. Après la fondation de l'Académie, elle recevait chez elle une partie des membres de cette compagnie; prit part à presque toutes les querelles littéraires de son temps, notamment à celle qui s'éleva lorsque les académiciens, qui, d'après leur institution, devaient fixer la langue, voulurent en retrancher une foule de mots vieillis. Comme on le pense bien, la fille d'adoption de Montaigne tenait pour les vieilles locutions.

Elle a publié deux éditions de Montaigne, la première de 1595, et la seconde (qui lui est supérieure) de 1635. Cette seconde édition fut dédiée au cardinal de Richelieu; et mademoiselle de Gournay ne pouvant trouver un imprimeur qu'à des conditions trop onéreuses, se vit obligée, comme elle nous l'apprend elle-même, de recourir à la générosité de quelques grands seigneurs. Outre la remarquable préface qui précede cette édition, mademoiselle de Gournay, surnommée, par quelques contemporains galants, la sirène française et la dixième muse, a composé le Prome

noir de M. de Montaigne, par sa fille d'alliance; la traduction française du deuxième livre de l'Énéide; le Bouquet poétique; des versions de morceaux détachés de Virgile, Tacite et Salluste; un Discours pour la défense de la poésie; l'Égalité des hommes et des femmes; l'Ombre de la demoiselle de Gournay, etc. Elle publia vers 1641 le recueil de ses œuvres complètes, sous ce titre les Avis et présents de la demoiselle de Gournay. On y trouve sa vie écrite par elle-même avec une grâce et une naïveté qui, quelquefois, rappellent de loin Montaigne. Elle mourut à Paris en 1645, et fut inhumée à SaintEustache.

GOURVILLE (Jean Hérauld, sieur de), né à la Rochefoucauld en 1625, de parents obscurs, fut d'abord garçon d'écurie, puis valet de chambre, secrétaire, et enfin confident intime du duc de la Rochefoucauld (l'auteur des Maximes), et lui rendit, ainsi qu'au prince de Condé, d'importants services pendant la fronde (*). Aussi intelligent qu'intrépide et actif, il devint ensuite intendant des vivres à l'armée de Catalogne, et receveur général des tailles en Guienne, où il fit une fortune considérable. Protégé de Fouquet, enveloppé dans la disgrâce de ce ministre, il ne fut point ingrat, et le secourut de son argent et de son crédit. Gourville séjourna quelque temps à Londres, puis à Bruxelles et à Breda pendant la tenue du congrès, en 1666. C'est alors que Louis XIV, informé des bons sentiments du financier exilé, l'accrédita comme plénipotentiaire secret auprès du duc de Brunswick, dans le temps même que Colbert le faisait condamner comme concussionnaire. Après cette mission, Gourville revint à Paris, et, par l'entremise de Condé, il négocia sa grâce au prix de six cent mille francs. Il mourut en 1703, après avoir fondé à la Rochefoucauld un hospice pour les malades, et laissant plusieurs legs en faveur des pauvres de cette ville. On a de lui des Mémoires contenant les affaires aux

(*) Ainsi en 1651, il tenta avec une audace inouïe d'enlever le coadjuteur de Retz, au milieu de Paris; voyez Mémoires de Gourville, p. 150; et Mémoires de Retz, t. III, p. 140, et t. IV, p. 5 et 16.

quelles il a été employé par la cour depuis 1642 jusqu'en 1698 (Paris, 1724, 2 vol. in-12). Voltaire y a puisé pour son Siècle de Louis XIV.

GOUT. - L'histoire de ce qu'a été en France, aux différentes époques, ce que nous appelons en littérature le goût, trouvera sa place ailleurs dans ce recueil. En présentant un tableau historique général de la littérature (voir ce mot), nous raconterons par là même toutes les vicissitudes du goût, toutes ses différentes formes.

On ne veut ici que présenter quelques réflexions sur l'idée que se faisaient du goût les écrivains célèbres de nos deux grands siècles littéraires, et sur les devoirs qu'ils s'imposaient eux-mêmes d'après cette idée; puis remarquer en

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la définition qu'ils avaient donnée goût a été attaquée, et comment la règle qu'ils s'étaient faite s'est modifiée depuis un demi-siècle.

La Harpe, interprète fidèle des idées et des principes de nos auteurs classiques, dit que le goût peut se définir ainsi : « Connaissance du beau et du vrai, sentiment des convenances. >>

Voltaire, dissertant sur le goût dans l'Encyclopédie, pense que « le goût fin et sûr consiste dans le sentiment prompt d'une beauté parmi des défauts, et d'un défaut parmi les beautés. » Un peu plus loin, il ajoute : « L'homme de goût, le connaisseur, verra d'un coup d'œil prompt le mélange des deux styles; il verra un défaut à côté d'un agrément. Il sera saisi d'enthousiasme à ce vers des Horaces:

Que vouliez-vous qu'il fit contre trois ?—Qu'il mourut. Il sentira un dégoût involontaire au vers suivant :

Ou qu'un beau désespoir alors le secourût,»>

Pour la Harpe, pour Voltaire, on le voit, le goût, ce n'était pas seulement le sentiment du beau, c'était aussi l'amour scrupuleux et sévère de la justesse et de la correction; c'était une susceptibilité de raison qui ne pouvait faire grâce aux fautes, aux imperfections de pensée ou de style, même en faveur des plus sublimes beautés; c'était un besoin profond de vérité et de rectitude qui refusait au génie le pardon de ses écarts, et interdisait à l'imagination

toute lâche complaisance pour ellemême.

Qu'on recherche ce que les grands esprits du siècle de Louis XIV ont pensé sur le goût, qu'on examine leurs jugements sur ce sujet, on trouvera partout, exprimés dans leurs paroles, cet instinct sévère de pureté, ce tact délicat, ce mélange d'entraînement vers le beau, et d'aversion non pas seulement pour le laid, mais pour l'irrégulier, le vague, le factice, l'obscur; enfin, cette alliance d'un sentiment négatif et d'un sentiment passionné que nous venons de voir proclamé sous le nom de goût par la Harpe et par Voltaire.

Boileau n'a employé nulle part le mot goût dans le sens abstrait et absolu dont nous venons de nous servir, et dont l'usage n'a été consacré que dans le dernier siècle. Il n'a donc pas défini le goût; mais, ce qui revient au même, il a fait connaître assez clairement ce qu'il entendait par le bon goût (*); sa définition se compose d'un grand nombre de vers de l'Art poétique que tout le monde sait par cœur, et dont les plus caractéristiques sont ceux-ci :

Aimez donc la raison; que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix.

La sévérité des idées de Boileau sur le goût va même en cet endroit jusqu'à l'exagération, puisqu'il ne veut ici d'autre guide pour l'écrivain que la seule raison, à laquelle, moins austère et plus' conciliant ailleurs, il a donné lui-même plus d'une fois l'imagination pour auxiliaire et pour compagne.

Voilà donc à quelle loi sévère s'asservirent les écrivains qui illustrèrent la France depuis Pascal jusqu'à Buffon. Leurs ouvrages, créés sous l'empire de cette loi, ne sont point glacés par la contrainte qu'ils ont subie, par tous les scrupules, toutes les précautions, tous les efforts qu'ils se sont imposés; leurs térité virile de la raison et la vivacité ouvrages nous présentent réunis l'ausdu sentiment, la perfection de l'art et la fraîcheur des impressions, l'élégance

(*) Le mauvais goût, le bon goût sont des expressions assez fréquentes dans Boileau et ses contemporains. Mais il n'y a pas un exemple de gout employé alors absolument et sans épithète.

correcte et soutenue des formes, et le mouvement et la vie qui naissent de la passion. La raison règne partout, mais partout aussi l'imagination anime la raison, la passionne et l'embellit. Ainsi, chacune de ces deux facultés a sa part nettement faite et son domaine séparé, tout en se prêtant une force mutuelle. La raison n'enchaîne pas, ne dessèche pas l'imagination : l'imagination n'altère, ne trouble jamais la raison, ne l'éblouit jamais par ses caprices, ne l'égare jamais par ses brillantes, mais vagues et chimériques fantaisies.

La sagesse de nos grands écrivains ne fut donc ni de la gêne ni la froideur. Il est vrai que, par suite de leur sagesse même, ils s'élevèrent rarement, Bossuet excepté, au plus haut degré d'enthousiasme; que l'inspiration chez eux, alors même qu'elle était profonde, était toujours contenue, et qu'ainsi ils nous éclairent, nous charment, nous touchent, plus souvent qu'ils ne nous entraînent. Mais s'ils produisent assez rarement sur nous ces impressions qui remuent violemment les âmes et y font naître les plus vifs transports, jamais ils ne nous font acheter le plaisir qu'ils nous donnent en mêlant à leurs beautés des imperfections affligeantes; ils ne nous choquent point par une marche inégale, par une succession disparate de traits admirables et de chutes imprévues, de grandes pensées et d'idées fausses, de paroles éloquentes et de négligences choquantes. Leurs beautés sévères, sereines, dégagées de tout alliage, souvent sublimes, mais toujours calmes et pures, vives et animées, malgré leur rectitude paisible, nous remplissent d'une admiration que rien ne traverse et ne contrarie, d'une émotion douce, sérieuse, noble, qu'on savoure sans inquiétude et sans trouble, et qui est une des plus précieuses jouissances qu'il soit donné à l'intelligence humaine de ressentir.

Telle fut la littérature du dix-septième siècle et d'une partie du dix-huitième. Cet équilibre parfait entre l'imagination et la raison, qui constitue son caractère le plus heureux et le plus saillant, fut le résultat des principes que les écrivains d'alors s'étaient faits sur le goût, et des entraves auxquelles ils s'étaient li

brement assujettis. Ce caractère la distingue profondément des littératures des autres peuples modernes, où l'art fut moins exigeant et plus indécis, où les droits respectifs de l'imagination et de la raison ne sont pas nettement et uniformément posés, où l'imagination régna souvent en souveraine, où la vérité se mêle partout à la fantaisie et au désordre que la fantaisie fait naître. Ce caractère la sépare complétement de la littérature anglaise, dont le grand homme, Shakspeare, mêle tant d'imperfections à tant de génie; de la littérature espagnole, livrée à toutes les conceptions romanesques de l'imagination, à toutes les exagérations fausses de la passion; de la littérature allemande, entraînée souvent dans un monstrueux chaos par le goût de la rêverie et l'amour de la poésie flottante et vague. Par ce caractère, la littérature française s'assimile à la littérature sage, brillante et passionnée à la fois, qui fleurit en Italie au temps de Pétrarque, et dans le siècle de l'Arioste et du Tasse; par là aussi elle se rattache aux littératures anciennes. Son génie tient par une parenté incontestable au génie si pur, si savant, si calme et si élevé de Rome et de la Grèce; au génie de Rome surtout; car, en Grèce, l'imagination s'élançait souvent avec une hardiesse peu réglée au delà des horizons où la raison s'enferme : il y fantastique chez Homère, chez Aristophane, chez les tragiques. Sans doute, par un privilege unique, alors même qu'il se livrait à ces écarts, le génie grec ne perdait rien de sa pureté et de sa beauté, et ne cessait pas d'imprimer à ses œuvres ce sceau de perfection qui les distingue entre toutes. Mais il y avait dans sa nature quelque chose de libre, d'irrégulier, de téméraire, que le nôtre n'a pas reproduit. Voilà pourquoi la littérature française se rattache par une filiation plus directe à la latine, où éclatent d'une manière si remarquable, au temps d'Auguste, l'autorité de la raison et la sévérité du goût.

du

Vers la fin du dernier siècle, on vit se manifester dans les lettres les symptômes d'une révolution. Bientôt les lois d'après lesquelles s'étaient dirigées, comme nous venons de le voir, deux générations de grands écrivains, furent

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