Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

tranquillité des habitants, lorsque la révocation de l'édit de Nantes vint porter de nouveau la désolation parmi eux.

On sait qu'un vigoureux génie de résistance et d'opposition a toujours signalé Grenoble et le Dauphiné. Son parlement fut un des premiers à s'engager dans la lutte avec le pouvoir en 1787. Il déclara traître au roi et à la nation quiconque siégerait à la cour plénière. Brienne avant opposé les coups d'autorité, l'appareil militaire, les lettres de cachet à cette audace parlementaire, le peuple s'opposa violemment à l'accomplissement des ordres de la cour. Les troupes furent assaillies dans les rues, et la journée des tuiles se termina par la non exécution des lettres de cachet, à laquelle le gouverneur, le duc de Clermont-Tonnerre, fut forcé de condescendre, dans l'intérêt de son autorité, et même de son existence. Ce fut la première victoire populaire de la révolution. Le 7 juin 1788 des Grenoblois fut comme le prélude du 14 juillet 1789 des Parisiens.

Toutefois, la magistrature craignit de paraître complice de ce mouvement insurrectionnel; et dès que le calme fut rétabli à Grenoble, les membres du parlement partirent pour l'exil, en sortant tous secrètement de la ville, dans la nuit du 12 au 13 juin.

Craignant de perdre avec leur parle ment toutes leurs libertés, les citoyens demandèrent une assemblée de notables. On y résolut le 14 juin une convocation générale des municipalités de la province, qui, à peu d'exceptions près, répondirent aussitôt à l'appel de leur capitale. Ce retour aux anciennes franchises locales effraya le gouvernement, qui manda le premier et le second conseil de Grenoble à la suite de la cour, et fit peser sur eux la responsabilité des événements dont la cité avait été le théâtre dans le courant de juin. Le conseil général de la commune s'assembla aussitôt pour prendre en considération la situation difficile où les chefs de la municipalité se trouvaient placés à cause de leur zèle patriotique; de cette réunion à l'hôtel de ville (2 juillet) sortit enfin la délibération fixant au 21 juillet l'assemblée générale décrétée le 14 juin, cette con

vocation des états particuliers du Dauphiné dont nous avons déjà parlé ailleurs. (Voyez ÉTATS PROVINCIAUX, t. VII, p. 588 et 589.) Le calme régna dans cette assemblée, tenue à Vizille, vieille demeure du pouvoir féodal; les trois ordres y délibérèrent ensemble, sans observer de droits de préséance, et toutes les résolutions y furent prises à l'unanimité, sauf une seule, relative à la liberté des élections pour toutes les places dans les états de la province. Le président était le comte de Morges, le secrétaire Mounier, juge royal de Grenoble. S'accordant avec les autres provinces dans la manifestation de leurs vœux patriotiques, les Dauphinois déclarèrent aussi qu'ils étaient prêts à tous les sacrifices, et ne revendiqueraient que leur qualité de Français; que l'impôt remplaçant la corvée serait, dans leur pays, acquitté par les trois ordres; que le tiers aurait la double représentation dans leurs états particuliers.

La révolution française ne fut pas sanglante à Grenoble, comme l'a observé M. Michelet (*). La démagogie n'y devait pas être violente, puisqu'elle se trouvait là chez elle, et que la révolution était faite d'avance dans le Dauphiné. En effet, la féodalité ne pesa pas sur cette province comme dans le reste de la France. Les seigneurs, en guerre continuelle avec la Savoie, avaient eu intérêt à ménager leurs hommes, Les vavasseurs y avaient été moins des arrière-vassaux que des petits nobles presque indépendants (**), et la propriété s'y trouva de bonne heure divisée à l'infini. Aussi, pendant la terreur, ce furent les ouvriers qui maintinrent l'ordre à Grenoble, avec un courage et une humanité admirables.

[ocr errors]

Grenoble fut la première station de Napoléon à son retour de l'île d'Elbe. (Voyez CENT JOURS, p. 359 et 360.) Et pendant toute la durée de la restauration ses habitants, témoins de l'assas

(*) Histoire de France, t. II, p. 75.

(**) Le noble y faisait hommage debout; le bourgeois à genoux et baisant le dos de la main du seigneur; l'homme du peuple aussi à genoux, mais baisant seulement le pouce de la main du seigneur. Note de M. Michelet, passage cité.

sinat de Didier et des malheureux conjurés dauphinois, se signalèrent constamment par un esprit d'indépendance (*) qui, s'il est incommode au dedans du royaume, en fait le salut contre l'étranger.

Les fortifications de Grenoble, bâties d'après le système de Vauban par le chevalier Deville, en faisaient autrefois une place frontière de la plus grande importance.

Avant 1789, elle possédait, outre son parlement et son évêché suffragant de Vienne, une chambre des comptes, une cour des aides, une intendance, une généralité, un hôtel des monnaies, une maréchaussée, un bailliage, un arsenal, une école d'artillerie, etc. Elle était chef-lieu d'élection. Aujourd'hui elle a une cour royale, à laquelle ressortissent les départements de l'Isère, de la Drôme et des Hautes-Alpes; des tribunaux de première instance et de commerce, une académie universitaire, une faculté de droit et des sciences, etc. Elle est cheflieu de la 7 division militaire. Sa population est de 24,888 habitants.

Les Grenoblois se glorifient de compter un grand nombre de compatriotes célèbres: Condillac, Mably, Vaucanson, Gentil-Bernard, madame de Tencin, la Mignot, cette blanchisseuse devenue femme du roi de Pologne Casimir III; Ja philosophe Louise Serment, morte en 1692 à l'âge de 30 ans; Mounier, Campenon, Casimir Périer, etc.

GRENOBLE (monnaie de). Les évêques de Grenoble possédaient autrefois le droit de battre monnaie. Ce droit est constaté, à défaut de textes, par des pièces qui portent le nom de la ville. On y voit, d'un côté, la tête du patron saint Vincent, et de l'autre une croix cantonnée, avec les lettres A & D S. Les légendes sont, au droit: S VENCENCIVS, au revers: GRANOPOLIS. A D S doivent s'expliquer par : A et w, Dei sig

num.

GRÉOUX, Griselum, village du département des Basses-Alpes (arrondissement de Digne), fameux par ses eaux thermales. L'antiquité a connu et ap

(*) Un proverbe qui prouve combien cette population est peu gouvernable c'est celui de la reconduite de Grenoble, expression équivalente de reconduite à coups de pierres.

précié ces eaux. De nombreuses traces de constructions romaines, les débris d'un temple, des tombeaux, des urnes, des lacrymatoires, des médailles, prouvent que les Romains s'y étaient arrêtés. D'ailleurs ils ont adressé leur ex voto aux eaux de Gréoux. L'on trouve sur les fragments d'une pierre calcaire l'inscription suivante, rapportée par Millin (*).

...[F]IL. FAVSTINI

T. VITRASI POLLIONIS COS. II PRAE II. IMP. PONTIF. [PROC] OS. ASIÆ

UXOR NYMPHIS GRISELICIS

Spon (**) cite encore comme provenant du même lieu l'inscription suivante :

NYMPHISXI GRISELICIS.

La prospérité des eaux de Gréoux cessa avec les Romains; quand les conquérants de l'univers eurent fléchi sous les barbares du Nord, et que ceux-ci se furent répandus dans les Gaules, elles tombèrent dans l'oubli. Vers les douzième et treizième siècles, au retour des croisades, on emprunta des contrées orientales la coutume de se baigner. Gréoux, passée sous la dépendance seigneuriale des Templiers, reprit sa célébrité, et l'hospice que l'ordre y fit construire recevait de toutes parts des malades. Mais pendant les guerres civiles et féodales de la province, des ennemis ignorants détruisirent de fond en comble cet utile établissement. Aujourd'hui, ces bains ont recouvré toute leur importance.

Après avoir appartenu à la maison de Trians et à celle de Glandevez, Gréoux fut érigée en marquisat, par lettres du mois de septembre 1702, en faveur de Jérôme Audifred, secrétaire du roi, lieutenant de l'amirauté de Marseille.

GRESIVAUDAN. Voyez GRAISIVAU

DAN.

GRESSARD (Joseph), capitaine d'infanterie, né à Albi (Tarn), défendit en 1792, avec 30 hommes, une position près du Diamant et du fort Royal (Martinique), contre les forces réunies des Anglais, et fut nommé lieutenant sur

T. IX. 9° Livraison. (DICT. ENCYCL.,

(*) Mag. encycl., 1811, t. V, p. 59. (**) Misc. erud. antiq., p. 94. ETC.)

le champ de bataille, en récompense de cette action. En 1803, étant de garde avec un poste de 15 hommes dans les environs de Hambourg, au moment où les Anglais venaient de s'emparer d'un bâtiment hollandais, il se jette à la mer suivi de quelques braves, joint les Anglais, monte à l'abordage, s'empare du navire et le ramène dans le port.

GRESSET (Jean-Baptiste-Louis), né à Amiens, en 1709. Il fut élevé par les jésuites de cette ville, et après avoir fait sous leur direction d'excellentes études, ayant peu de secours à attendre de ses parents, qui n'étaient pas riches, se sentant d'ailleurs des inclinations douces et paisibles, il se détermina à entrer dans cet ordre, et commença à seize ans son noviciat, à Reims. Il'alla le continuer au collége Louis le Grand, un des établissements les plus florissants de la société. Là, tout en se préparant à l'état ecclésiastique, il perfectionna ses études, et commença à s'essayer dans l'art des vers, pour le quel il se sentait beaucoup de goût. Ses premières compositions étaient empreintes d'une facilité et d'une élégance qui charmèrent ses maîtres, gens qui unissaient, comme tous les jésuites, le goût des arts à la dévotion, et auxquels ces essais poétiques devaient plaire d'autant plus, que l'esprit en était fort innocent. Logé dans cette mansarde du collège Louis le Grand qu'il a décrite dans la Chartreuse, et qui existait encore il y a quelques années, Gresset se livra au travail poétique avec une ardeur excitée par ces encouragements. Une anecdote piquante, empruntée aux traditious du cloître, lui parut un heureux sujet pour composer un poëme descriptif et badin. Il fit Vert-Vert, qui passa bientôt du college dans les salons, et qui le fit regarder tout à coup comme un poëte par un monde auquel il était absolument inconnu la veille. On admira avec un accord assez rare dans les jugements du public, et qui n'est produit que par l'apparition des œuvres vraiment remarquables, la souplesse, la délicatesse et l'élégance de langage que déployait Gresset dans cet ouvrage; l'intérêt qu'il donnait aux plus petits détails, par des peintures vraies et fines; la malice pi

quante, bien qu'innocente, dont il assaisonnait cette Iliade de couvent; le goût parfait avec lequel il soutenait sans fatigue, sans effort et sans disparate, d'un bout à l'autre du poême, le ton d'une ironie légère et badine. Le succès fut aussi universel qu'il était mérité; mais Jean-Baptiste Rousseau va trop loin, lorsqu'il dit dans une lettre, après avoir lu Vert-Vert : « Je ne sais

[ocr errors]

a

[ocr errors]
[ocr errors]

D

si mes confrères et moi ne ferions « pas mieux de renoncer au métier, que « de le continuer après l'apparition « d'un phénomène aussi surprenant que << celui que vous venez de me faire ob« server.... Je vous avouerai que je « n'ai jamais vu de production qui << m'ait autant surpris que celle-la. Sans << sortir du style familier que l'auteur « a choisi, il y étale tout ce que la poésie a dé plus éclatant, et tout ce qu'une connaissance consommee du « monde pourrait fournir à un homme qui y aurait passé toute sa vie. La Harpe, qui rappelle ce jugement, n'y trouve rien d'exagéré. Mais quel langage aurait donc tenu Rousseau, si de nouveaux Corneille, de nouveaux Racine, avaient paru dans le dix-huitième siecle, s'il avait eu à juger des chefsd'oeuvre aussi éclatants que ceux dont l'apparition avait émerveillé l'époque précédente? Vert-Vert est, dans un genre très-léger, une œuvre pleine de goût, d'élégance et d'esprit, et où règue encore la bonne langue du dix-septième siècle, quoique déjà un peu affaiblie par une abondance un peu molle et une parure trop flottante; mais ce n'est pas un chef-d'œuvre de premier ordre, et le mot de phénomène est ici tout à fait déplacé. La gaieté, la grâce, le bien dire, réunis ensemble dans une composition poétique d'un genre facile, n'ont rien de phénoménal, surtout en France. Tout le phénomène était dans le contraste de l'âge de l'auteur avec le mérite de son ouvrage : l'auteur n'avait pas encore 24 ans. Devenu dès son début, et sans sortir du collége, un des poetes renommés de l'époque, Gresset s'empressa de briguer par d'autres essais de nouveaux applaudissements. Il s'inspira, dans un nouveau poëme, de la pauvreté et du silence de sa retraite, et des jouissances qu'il y trouvait dans

la méditation et l'étude ; il décrivit l'intérieur de sa mansarde, et les plaisirs purs de sa vie modeste et indépendante. Tel était le fond de la Chartreuse, où reparurent les qualités de Vert-Vert, embellies encore par une teinte aimable de mélancolie, mais dont la forme était cependant moins irréprochable, et qui, sous le rapport de la précision de l'expression, ne se soutenait point à la même hauteur. C'est avee raison que la Harpe blame ces phrases incidentes trop fréquentes, ces redoublements d'idées prodiguées outre mesure par le poete, ce luxe immodéré d'épithètes, ces périodes poétiques trop chargées de détails et trop prolongées, où la pensée finit par se nover. L'écueil du talent de Gresset, c'était la redondance et l'abus des ornements poétiques. Il se laissa trop aller à cette tendance de sa manière dans les Ombres et l'Épitre à ma Muse, qui suivirent la Chartreuse. On preféra avec raison le Lutrin vivant et le Carême impromptu, bagatelles qui sentent un peu trop la plaisanterie de collége, mais où il y a cependant beaucoup d'esprit et d'aimable gaieté.

Gresset était lu et célébré dans le monde, et il n'y vivait pas. Il commença à s'ennuyer de la vie de jésuite. Cet ennui s'accrut encore, lorsque ses supérieurs l'envoyèrent enseigner en province, à Tours d'abord, puis à la Flèche. C'était sur la demande d'un ministre, frère de la supérieure de la Visitation, qui s'était scandalisée des plaisanteries du Vert-Vert, que les PP. jésuites lui avaient imposé cette mission, qui équivalait à un exil. Il n'y put tenir, et se décida à reprendre une liberté qu'heureusement il n'avait pas encore enchaînée; car son noviciat s'était prolongé, et il n'avait point encore prononcé de vœux. Il quitta donc l'habit de jésuite, et vint à Paris. Il y vit s'ouvrir devant lui les sociétés les plus brillantes, où il soutint à merveille sa réputation, par l'élégance de sa conversation et de ses manières. S'étant mis alors à fréquenter les théâtres, où les impressions qu'il trouvait étaient toutes nouvelles pour lui, il sentit naître en lui une ambition nouvelle; il aspira aux succès de la carrière dramatique, et bientôt il avait achevé un essai dans

ce nouveau genre. Son Édouard III n'était qu'une pièce assez médiocre ; mais de beaux vers, des sentences philosophiques bien ronflantes, un coup de poignard très-hardi pour le temps, une certaine couleur anglaise répandue sur l'ensemble de l'œuvre, firent illusion aux spectateurs, et valurent à Gresset d'assez grands applaudissements. Le drame intitulé Sidney, qui vint bientôt après, offrait ce mélange de larmoyant et de comique que Lachaussée avait mis à la mode, et fut très-goûté du public; mais ce n'étaient là que des succès de vogue, brillants mais éphémères. Gresset s'exerça bientôt dans la comédie proprement dite, qui convenait beaucoup mieux à son talent que la tragédie et le genre mixte de Lachaussée.

Le Méchant, représenté en 1745, est une de ces pièces qui résistent à l'épreuve du temps. C'est une de ces bonnes comédies, malheureusement en si petit nombre, qu'on cite encore après Molière. Elle n'est pas sans défaut, assurément la conception en est peu comique, l'action est assez froidement conduite; il n'y a que deux caractères intéressants: celui du Méchant et celui du bonhomme Géronte. Mais le style en est si aisé, si délicat, si fin; le dialogue rappelle si bien le ton de persifflage, l'esprit léger, la médisance ingénieuse qui régnaient dans les salons d'alors, et qu'on retrouve toujours dans les conversations du grand monde; les sorties contre l'élégante dépravation de la société sont si justes et si piquantes; enfin, le caractère du Méchant, supérieurement tracé, fait tellement oublier la pâleur ou l'insignifiance des autres caractères, qu'on trouve toujours dans la représentation ou dans la lecture de cette pièce un plaisir vif et profond, d'autant plus précieux que la raison sérieuse y a sa part. Le Méchant est un tableau intelligent et fidèle de cette société du dix-huitième siècle, desséchée et dépravée par l'amour-propre et par l'abus de l'esprit : mais beaucoup des traits de ce tableau reproduisent des travers constants de la nature humaine dans l'état de civilisation, et Gresset excite aussi cet intérêt supérieur qui s'attache aux peintures mora

les d'une vérité générale et éternelle. Cet ouvrage est son plus beau titre de gloire et durera autant que la langue. L'auteur du Méchant ne tarda pas à se voir honoré des suffrages de l'Académie. Il fut nommé, en 1748, au fauteuil laissé vacant par la mort de Danchet. Le discours qu'il prononça pour sa réception fit voir qu'il ne possédait point, comme il arrive souvent aux poëtes, le talent d'écrire en prose au même degré que le don des vers. Sa harangue était froide, lourde, diffuse ; il est impossible d'y reconnaître l'auteur de tant de vers ingénieux, vifs, faciles. Peu de temps après sa réception, il se maria et quitta Paris; il s'établit avec sa femme dans Amiens, sa ville natale. En parvenant à l'âge mûr, Gresset s'était fatigué de la vie qu'il menait dans ce monde égoïste et frivole, où l'on riait de tout, où l'on sacrifiait tout au désir de briller; il y avait en lui, avec beaucoup d'esprit, un grand fonds de probité et de scrupules, qui ne s'était pas perdu au milieu de la dissipation à laquelle il s'était livré. Il se lia à Amiens avec l'évêque de cette ville, M. de la Motte, homme d'une grande dévotion, qui, par ses entretiens et ses conseils, accrut encore chez lui ce goût pour la retraite, pour la paix innocente du ménage, et ce dégoût pour les salons de Paris. Malgré les relations de Gresset avec les philosophes dont il s'était fait le disciple, il était resté chez lui quelque chose de l'ancien jésuite. En peu de temps, à la place de l'homme du monde, du bel esprit brillant et léger, il n'y eut plus en lui qu'un bon père de famille religieux jusqu'à la dévotion. Pour ne laisser aucun doute sur sa conversion, il renonça solennellement au théâtre, et fit une sorte d'amende honorable pour les trois pièces qu'il avait composées et qu'il regardait à présent comme trois gros péchés. La lettre à l'évêque d'Amiens, où il faisait cette abjuration, fut publiée; on s'en moqua beaucoup à Paris. Les philosophes parmi lesquels Gresset s'était placé un instant, jetèrent feu et flamme contre le transfuge; les poëtes dramatiques accablèrent de plaisanteries et d'injures un ancien confrère qui les trahissait. On sait comment Voltaire traita Gresset dans sa

satire du Pauvre diable. Sa colère de philosophe et d'auteur dramatique s'y exhale avec une vivacité qui va jusqu'à l'injustice.

Je rencontrai Gresset dans un café,
Gresset doué du double privilége
D'être au collège un bel esprit malin,
Et dans le monde un homine de collège;
Gresset dévot, longtemps petit badin,
Sanctifié par ses palinodies:

Il prétendait avec componction
Qu'il avait fait jadis des comédies,
Dont à la Vierge il demandait pardon.

Gresset se trompe; il n'est pas si coupable:
Un vers heureux et d'un tour agréable
Ne suffit pas; il faut une action,

De l'intérêt, du comique, une fable,
Des mœurs du temps un portrait véritable
Pour consommer cette œuvre dụ démon.

Et dans sa correspondance, au moment où il venait de recevoir la lettre à l'évêque d'Amiens, Voltaire s'écriait : - Et ace Gresset, qu'en disons-nous? Quel a fat orgueilleux! quel plat fanatique! . Voilà de la fureur: mais on conçoit que Voltaire ne pouvait voir de sang-froid une conversion dont l'Église tirait avantage, et une palinodie qui était une injure faite à l'art où il avait remporté ses plus beaux triomphes. Gresset ne répondit point à toutes ces attaques. Il s'enterra de plus en plus dans le repos de la vie de province et dans les habitudes de la vie dévote. Il faisait encore des vers sur des sujets licites; mais on n'y retrouve qu'une ombre effacée de sa finesse et de sa gaieté d'autrefois. Quinze ans après, il sortit de sa retraite pour faire, comme directeur de l'Académie française, alors toute philosophique, un discours froid et prétentieux contre le style à la mode, qui fut très-mal reçu. Il vécut jusqu'en 1777. M. Villemain, après avoir consacré à Gresset, dans son Cours de littérature, quelques pages où il le juge avec son goût et sa pénétration ordinaires, achève ainsi son appréciation : « Gresset fut poëte, peu de temps, il est vrai, et sur peu de sujets; mais assez, car il vivra toujours.

[ocr errors]

GRETRY (André - Ernest-Modeste), né à Liége, le 11 février 1741, d'un père musicien et premier violon de l'église de Saint-Martin, fut de bonne heure destiné à suivre la même carrière. A cette époque, on ne connaissait d'autre éducation nécessaire que celle qu'on recevait dans les maîtrises de cathé

« VorigeDoorgaan »