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de revient de la houille, dans les localités, bien entendu, où la coopération féminine existe encore. En dehors, donc, de l'interdiction légale dont je poursuis le principe, il est un ordre d'idées qui, dans la pratique, ne sauraient être méconnues.

Le 26 novembre dernier, un mois avant que le rapport de votre Commission ne fût distribué, j'ai eu l'honneur d'écrire à l'Académie une lettre que, par des raisons excellentes, sans doute, mais que je ne saisis pas, on ne vous a pas communiquée. Permettez-moi de vous en citer quelques passages:

« Je n'insisterai pas sur l'évidence du principe considéré dans ce qu'il offre de nécessaire et de rigoureux, mais je me permettrai, maintenant que la base me paraît admise, d'appeler votre attention sur les ménagements que commandent, selon moi, les convenances actuelles de l'industrie. Si partisan que je sois de l'interdiction absolue, j'avoue qu'on ne pourrait faire litière des intérêts engagés, au point de méconnaître, du jour au lendemain, les droits et les devoirs respectifs qu'ils imposent aux patrons et aux ouvriers. En effet, la meilleure et la plus indispensable des lois ne peut s'affranchir de tous précédents et le progrès humanitaire luimême ne s'improvise pas, alors surtout qu'il consacre une restriction sociale apportée à la liberté. C'est pour ces raisons, Messieurs, que j'ai l'honneur de vous soumettre l'esprit, sinon les termes (auxquels je ne tiens nullement) d'une résolution par laquelle pourrait se traduire la réforme dont l'Académie se rendrait l'écho auprès du Gouvernement.

<< Considérant que l'emploi des femmes dans les travaux souterrains des mines méconnaît les intérêts généraux les plus prochains de l'hygiène et de l'éducation des classes laborieuses;

« Considérant que c'est au foyer de la famille qu'est la véritable place et que doit s'exercer l'influence naturelle et sociale de la fille, de l'épouse et de la mère de l'ouvrier;

«

<< Voulant rendre, sous ce rapport, au cours des choses la direction tracée par les lois imprescriptibles de la moralité publique ;

<< Nous avons arrêté ce qui suit:

1° Le travail des femmes dans les galeries souterraines. est désormais interdit;

« 2° Toutefois, afin de ne point changer brusquement les conditions actuelles, passées dans les habitudes de quelques populations du pays, et pour ne point porter atteinte d'une manière inopinée à des contrats à l'exécution desquels l'usage et la bonne foi président aujourd'hui, un délai de (ici le nombre des années) sera accordé à ceux des exploitants qui en feront la demande, pour l'accomplissement sans réserve de la réforme dont il s'agit;

<3° Tous les ans, ces exploitants auront à réduire de (ici la proportion) au moins le nombre des femmes qu'ils emploient aujourd'hui dans les travaux souterrains, nombre que déterminera dès à présent, pour chaque exploitation, l'état statistique qui sera dressé à ce propos par le Gouverneur de chaque province;

< 4° Ces réductions successives porteront particulièrement sur les femmes-mères, mariées ou non, et sur celles dont les publications de mariage auront officiellement eu lieu. »

«En adoptant l'interdiction échelonnée dont je vous transmets le cadre, l'autorité publique arriverait graduellement à l'extinction d'une coutume désastreuse, sans léser, d'une manière sensible, les conditions librement consenties entre le capital et le travail. »

Telles étaient, Messieurs, les propositions que j'avais l'honneur de vous soumettre dès le 26 novembre dernier.

Maintenant, que je crois avoir mis hors de cause le principe même de la réforme, permettez-moi d'aller au-devant de quelques objections pratiques qu'on ne manquera pas de m'opposer.

Que faites-vous, me demandera-t-on, de la liberté individuelle, et comment conciliez-vous le respect qu'elle mérite avec l'interdiction que vous prononcez? De quel droit interdirez-vous à la femme un ordre de travaux auxquels elle se reconnait aple, et tarirez-vous ainsi pour les familles ouvrières la source d'une rémunération légitime? Je ne méconnais pas d'une manière absolue ce que l'argument peut avoir de fondé au point de vue matériel et moral. Mais, tout en avouant mon incompétence quant au côté juridique de la question qu'il soulève, je me permettrai une remarque. Nos codes ne sont-ils pas remplis de restrictions apportées à l'exercice de la liberté individuelle absolue, au nom d'un principe antérieur et supérieur : l'ordre public? Est-ce que les articles 1131 et 1132 du Code civil, par exemple, ne prévoient pas l'existence et la caducité des obligations illicites? Il suffit donc de démontrer, et ensuite de décider législativement que l'emploi des femmes dans les travaux souterrains est contraire à la moralité et à l'hygiène sociales, pour donner à l'interdiction que nous demandons le caractère de légitimité qui lui fait encore défaut. Il y aurait peu de chose à faire sous ce rapport pour modifier l'article 1780 du Code civil, lequel constitue, avec l'article 1781, tant battu en brèche récemment, la section du Code relative au louage des domestiques et ouvriers.

Je n'aborderai pas ces détails de droit, pour la discussion

desquels je n'ai pas les aptitudes suffisantes. Cependant, je rencontre un fait tout actuel et qui démontre d'une manière irrefragable l'évidence des droits dont les pouvoirs publics peuvent être armés dans certaines circonstances. Vous savez que la fabrication, le transport et la vente de la nitro-glycérine ont été défendus à la suite de l'accident de Quenast, où dix personnes seulement ont perdu la vie. Je dis seulement, et j'aime à penser que personne ne voudra croire que je suis indifférent à une catastrophe dans laquelle dix de mes concitoyens ont trouvé la mort. Mais ce mot seulement signifie: qu'alors que le Gouvernement se montre si justement rigide à propos d'un détail d'exploitation qui ne compromet que des existences isolées, il ne saurait manquer de motifs légitimes pour proscrire un état de choses qui porte atteinte à la dignité et à la moralité humaines.

Je crois avoir exposé, tant bien que mal, et plutôt mal que bien, je le reconnais, les raisons qui commandent impérieusement, selon moi, la réforme dont il s'agit. Qu'il me soit permis de dire, en terminant, que je m'estime heureux d'avoir, en quelque sorte, ressuscité cette question; heureux de l'accueil que l'Académie a bien voulu lui faire; heureux d'avoir été indirectement le promoteur de ces débats et du remarquable travail de M. Kuborn. Il appartenait à l'Académie de médecine de Belgique de prendre en main la cause, si longtemps méconnue, de la partie la plus intéressante de notre monde industriel, et tenez pour certain qu'en sauvegardant la moralité des populations ouvrières, en défendant la femme contre l'exploitation brutale dont elle est encore l'objet, en élevant chez elle le niveau de l'intelligence, de l'esprit et du cœur, en rendant à l'épouse et à la mère le noble et touchant prestige que Dieu accorde à la famille humaine, l'Académie aural bien mérité du pays.

Quelques mots pour finir, et qui sont l'expression d'un sentiment que, dans cette enceinte comme au dehors, tous les Belges comprendront. Protéger contre la routine et l'intérêt particulier la santé du corps et de l'esprit, c'est faire non-seulement œuvre sociale, mais aussi œuvre nationale. C'est développer dans les masses le sens de la responsabilité, ce grand levier de l'humanité chrétienne, sans lequel peuvent exister des esclaves, mais jamais des citoyens. C'est créer, pour les éventualités d'un avenir possible, ces races viriles qui, seules, font et maintiennent les nations libres; ces hommes courageux et intelligents qui échappent aux doctrines subversives du socialisme partageux, à la fois soldats du travail et de la liberté, et qui constituent, aux moments suprêmes des grandes luttes, les défenseurs les plus ardents et les plus convaincus de l'honneur, de l'indépendance et de la dignité de la patrie. (Applaudissements.)

M. Boëns : En prenant la parole dans cette discussion, je ne me flatte pas d'être aussi brillant que les deux orateurs que vous venez d'entendre, mais je serai pour le moins aussi précis et peut-être plus explicite. S'il me fallait seulement faire assaut d'éloquence avec M. Vanden Broeck, je me tairais; mais comme il s'agit plutôt ici d'exposer des faits et des raisons que de les orner d'élégantes paroles, j'espère pouvoir, avec le concours de mes notes, vous faire comprendre et même partager les convictions qui m'animent.

La question qui est soumise à notre examen est d'une haute portée. Elle touche à tout, à l'économie sociale, à l'industrie, à l'hygiène, aux droits de la famille et à la liberté individuelle. Cependant nous pouvons l'envisager sous deux points de vue principaux seulement, en étudiant les conséquences du

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