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2. DE LA FOLIE SUBITE, PASSAGÈRE, au point de vue médico-légal; par M. le docteur VAN HOLSBEEK, médecin en chef de la Maison de santé d'Evere.

I

La folie subite, passagère, est souvent invoquée dans les cours d'assises; admise par les juges, elle exerce, on le conçoit, une grande influence sur leurs décisions. Cette espèce de folie mérite donc d'être bien connue.

De même qu'on constate des maladies subites, passagères, de l'ordre somatique, il existe des maladies subites, passagères, de l'ordre psychique. Cette assertion est généralement admise de nos jours.

Un jurisconsulte distingué, qu'on ne taxera pas d'indulgence, reconnait l'existence de la folie subite, passagère : « Il est des fous, dit Bellard, que la nature a condamnés à la perte éternelle de la raison, et d'autres qui ne la perdent qu'instantanément, par l'effet d'une grande douleur, d'une grande surprise ou de toute autre cause pareille. Il n'est de différence entre ces deux folies que celle de la durée; et celui dont le désespoir tournait la tête pour quelques heures ou pour quelques jours, est aussi complètement fou pendant son action éphémère que celui qui délire pendant beaucoup d'années. Lorsque le maniaque a causé quelque grand malheur, l'enfermer, c'est justice et précaution; l'envoyer à l'échafaud, ce serait cruauté. »

«Ne rencontrons-nous pas dans la société, dit Marc, des personnes raisonnables et d'une grande moralité reconnue, qui avouent avoir été, au moins une fois dans le cours de leur vie, surprises par un accès d'extravagance et même d'atrocité ? »

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Le docteur Mare ne craint pas de se citer en tête de cette liste il fut saisi de l'épouvantable désir de jeter à l'eau un jeune maçon assis sur le parapet d'un pont. L'horreur de cette idée le fit s'éloigner avec promptitude.

Nous possédons des observations dont l'exactitude et l'authenticité sont incontestables, et qui ne laissent aucun doute sur l'existence de cette manie passagère, de cette manie de quelques instants, pendant lesquels des hommes qui n'ont jamais donné des signes de l'aliénation mentale, sont tout à coup privés de leur raison, se portent aux plus déplorables excès, au meurtre même, en vertu d'un besoin instinctif, irrésistible.

II

L'espèce de folie qui nous occupe consiste dans un trouble psychique, subit et passager, déterminé par une sorte de fougue nerveuse ou congestive, accompagné souvent d'impulsions violentes, automatiques et irrésistibles.

Quelquefois le sujet, par l'effet de la volonté, subitement malade, vole, incendie, se tue ou assassine, sans qu'aucun acte extérieur puisse faire pressentir l'excès auquel il va se livrer.

« J'ai vu cette maladie, dit Guislain, chez un homme d'une constitution atrabilaire, qui, doué de beaucoup de raison, éprouvait de temps en temps des accès de mélancolie, pendant lesquels il sautait à la gorge du premier venu. Un jour il faillit étrangler une de ses cousines, à qui il était allé rendre visite. Ces transports se terminaient ordinairement après quelques minutes; le malade déplorait alors son

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triste sort. Il a fini par se suicider, fatigué, comme il était, d'être le jouet d'une fatalité (1). »

Le docteur Loeventhal rapporte, dans le Journal de Hufeland, l'observation suivante :

Un cordonnier, âgé de 33 ans, d'un tempérament sanguin, d'un caractère tranquille, laborieux, sobre, d'une excellente santé, vivait, depuis quatre ans, heureux dans son ménage. Le 12 avril, il s'était levé de bonne heure, comme à son ordinaire, pour se livrer à son travail; au bout d'une heure, sa femme est frappée de l'incohérence de ses discours, de son air effaré. Tout à coup cet homme jette ce qu'il tient dans la main, saisit son tranchel, et se précipite sur sa femme pour la tuer. Celle-ci eut à peine le temps de se sauver avec son enfant. Plusieurs personnes s'emparèrent du cordonnier. Le docteur Loeventhal arrive et lui donne quelques soins. Après midi, il était devenu calme et dormait. Le soir, il avait récupéré l'usage de ses facultés intellectuelles.

<< Parcourant la rue de la Porte-d'Alais, raconte M. de Castelnau, nous fùmes prié d'entrer chez D..., d'un tempérament bilioso-nerveux, très-impressionnable, vigoureux, n'ayant jamais donné des soupçons de dérangement physique. D... brisait ses meubles, déchirait ses vêtements, voulait maltraiter sa femme; personne n'osait l'aborder. Il avait la face animée, les yeux égarés, les muscles et les veines. tendus; il criait, chantait. D... avait depuis longtemps de grands égards pour nous. En nous voyant, il s'assit auprès d'une table qu'il frappait à coups redoublés. Rien, nous dirent ses voisins et ses amis, n'avait pu motiver cet accès de manie. Après quelques soins, D... revint à lui et nous (1) GUISLAIN. Leçons orales de phrénopathie, t. II, p. 234.

promil d'être tranquille. Le soir, il avait complètement recouvré l'intelligence. Il n'a plus donné de signes de folie depuis cette époque. »

Le docteur Marc rapporte, d'après le docteur Cazauvieilh, le fait d'un tailleur, sobre et appliqué, qui, étant revenu le matin de la promenade avec sa femme, s'assied, refuse de déjeuner; puis tout à coup il renverse les objets qui sont autour de lui et se jette sur sa femme. Les voisins, accourus, eurent grand'peine à se saisir de ce furieux. Le lendemain, il était tout à fait paisible.

Récemment encore, nous avons été appelé pour constater l'état mental d'un individu qui, pendant la nuit, s'était livré, sans raison, aux actes les plus extravagants; à notre visite, le malade était fort tranquille et se repentait de ce qui était arrivé.

La folie subite, passagère, est assez rare; elle se borne généralement à un seul accès; elle peut cependant se reproduire périodiquement.

III

Toute circonstance susceptible d'ébranler fortement le système nerveux ou d'amener dans le cerveau une irruption congestive, peut faire naître la folie subite, passagère.

Il est rare qu'une seule et unique cause produise le trouble intellectuel, et il est souvent difficile de dire si la maladie. psychique est due plutôt à telle cause morale qu'à telle cause physique. Nous avons fréquemment constaté que des causes morales et des causes physiques agissaient simultanément. C'est ce qui a fait dire à Guislain que la division des causes de la folie en morales et physiques lui paraissait peu fondée.

« Il semble, dit notre savant compatriote, qu'on veuille exclure le cerveau; on parle du moral comme si ses manifestations étaient indépendantes de son instrument physique. Le corps est un, et il est impossible d'étudier les actes de l'âme, sans faire intervenir le cerveau, du moins lorsqu'il s'agit des maladies du système intellectuel (1). »

Il est rare que la folie subite, passagère, éclate sans aucune cause; un examen approfondi de la vie du malade et des circonstances de l'accès, fait généralement découvrir une prédisposition naturelle ou acquise, une cause assez puissante pour expliquer l'égarement momentané. Entrons dans quelques détails.

Ellis raconte l'histoire d'un jeune homme qui fut atteint d'aliénation mentale subite et transitoire en sortant d'un bain froid. On sait combien de soldats sont tombés fous dans la retraite de Moscou. Nous avons connu à Evere un ouvrier qui fut pris d'un égarement momentané à la suite d'une exposition prolongée à un froid violent.

L'action du froid sur la production de la folie subite, passagère, est donc incontestable. Quant à l'influence de la grande chaleur, elle est très-marquée. Tout le monde connait cette affection, connue sous le nom de calenture, et qui n'est autre chose qu'une folie instantanée et éphémère. On l'observe fréquemment à bord des navires naviguant sous les tropiques, ou sur les cultivateurs exposés au soleil dans le mois de la canicule. Cette manie est caractérisée par un délire violent, survenant brusquement au milieu de la nuit, avec cris, vociférations, agitation extrême et hallucinations. Ce qui justifie notre manière de voir, c'est la rapidité avec laquelle cessent, sans traitement, tous ces accidents, en (1) Leçons orales sur les phrénopathies.

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