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que comprend l'histoire philosophique. De grands princes ont beaucoup contribué à ces rapides progrès et à ces glorieux succès, par leur protection et par toutes sortes d'encouragements.

Je ferais scrupule de répandre des ombres sur ce riant tableau, et de montrer, comme il ne me serait que trop aisé de le faire, qu'il s'en faut bien que les Académies aient, ni au dedans l'agrément, ni au dehors l'utilité qu'on pourrait s'en promettre. Au fond, les causes que j'en alléguerais sont moins dans les Académies mêmes, que dans les hommes, dans le cœur humain. La concorde et l'union sont rares; elles supposent une franchise, une cordialité, des sentiments qui n'existèrent jamais dans la plupart des individus, et que l'envie et la jalousie, l'orgueil et l'intérêt, étouffent plus ou moins dans les autres. Il faudrait d'ailleurs, pour que des académiciens se prêtassent mutuellement tous les secours qu'ils peuvent et doivent se fournir, qu'au lieu de ces lectures, rarement intéressantes, ou qui ne le sont jamais que pour le plus petit nombre d'assistants, et cela en supposant qu'ils y prêtent une attention dont à peine sauve-t-on quelquefois les apparences, il faudrait que chaque discours n'offrit rien qui ne pût être saisi, au moins dans ses résultats, par ceux qui l'entendent; et qu'ensuite on fit sur ce qui a été lu des remarques judicieuses et décentes. Mais, à parler franchement, il n'y a presque point de

savants qui sachent exercer la critique, et il y en a moins encore qui sachent la soutenir. Je me rappelle à ce sujet une anecdote que je tiens de M. Maupertuis. L'abbé Gedouyn, connu par ses belles traductions, demanda à l'Académie Française la permission de lui lire, dans ses assemblées ordinaires, celle de Quintilien à laquelle il travaillait, et pria qu'on lui fit part des remarques qui se présenteraient. Il commença, en effet; mais il ne put aller au-delà de la seconde lecture, en partie excédé par les observations vétilleuses de ses confrères, en partie trop vif et trop sensible pour savoir se rendre de bonne grâce toutes les fois que le cas l'exigeait. Je ne vois point de remède à cet inconvénient, parce qu'il n'y a point de secret pour refondre l'homme.

Mais j'abrége; et laissant l'homme tel qu'il est, je me livre à une idée de spéculation, qui est permise dans toutes les espèces du genre auquel mon sujet appartient. Je suppose les Académies aussi parfaites qu'elles pourraient être, composées de membres éclairés, judicieux, impartiaux, unis ensemble par les liens de l'estime et de l'amitié, et je demande quel est le plus grand avantage qui puisse résulter de leurs efforts réunis. C'est toujours ma question originaire. Je distingue; et comme, dans l'énoncé de cette question, j'ai ajouté le mot d'actuel à celui d'avantage, je remonte d'abord au premier bien que les Académies étaient

appelées à faire dans leur institution même, au siècle où elles ont été fondées; et ce siècle, comme nous l'avons insinué, ne remonte pas au-delà du précédent.

L'ennemi qu'elles avaient en tête, et dont la défaite faisait la matière de leurs triomphes, c'était l'ignorance. Mais quelle ignorance? Je saisis de nouveau ici deux points de vue. D'abord celui de l'ignorance privative, de cet état dans lequel on ne sait rien, parce qu'on ne veut rien savoir, et qu'on méprise les sciences. Qu'on se rappelle quels ont été les préjugés à cet égard; nous les avons vus, je parle de ceux d'entre nous dont la carrière est à son déclin, nous les avons vus encore assez fortement enracinés; et je ne sais si on peut les regarder comme pleinement détruits. Le savoir étant regardé comme synonyme de la pédanterie, tous ceux qui aspiraient à quelque genre de distinction, auraient cru s'avilir, contracter une espèce de rouille, de crasse, en devenant érudits, en se mettant au fait des notions de la grammaire, de la logique, de tout ce qu'on enseigne dans les colléges, dans les universités. Les nobles ne connaissaient point de dérogeance plus marquée que celle de savoir quelque chose. Les militaires enchérissaient sur eux; à leur avis, on ne pouvait bien manier l'épée qu'en foulant aux pieds la plume. Le connétable Anne de Montmorenci, qui a fait une si grande figure sous plusieurs règnes,

l'un des plus illustres personnages de cette maison, qui se glorifie du titre de premier baron chrétien, était un cacique ou pis encore, un vrai chef de sauvages, dur, barbare, ignorant jusqu'à avoir de la peine à signer son nom. Le sexe n'aurait fourni alors à Molière, ni Précieuses ridicules, ni Femmes savantes : il avait des grâces, il avait du génie, cela ne lui a jamais manqué : mais il n'avait point de connaissances proprement dites. J'en atteste les cours de Catherine de Médicis, de Henri iv, de Louis XIII, et même de Louis xiv. Dans celle-ci, mesdames de Sévigné et de Maintenon ne peuvent être regardées que comme des femmes prodigieusement spirituelles; et madame Deshoulières, la comtesse de la Suze, et quelques autres qui ont excellé en divers genres de poésies délicates et galantes, ne changent rien à ma thèse. Quelqu'une s'émancipait-elle au-delà de ces bornes, Boileau, quoique injuste dans les traits de satire qu'il a décochés à ce sujet, ne laissait pas de se monter au ton du siècle, en voulant imprimer du ridicule à la dame que Roberval fréquentait. Il reste peutêtre à décider, s'il n'aurait pas mieux valu, et ne vaudrait pas mieux encore, par rapport au sexe, qu'il fût demeuré en-deçà par rapport au savoir, que d'aller au-delà de certaines bornes qu'on peut regarder comme circonscrites par l'esprit, le goût, la finesse du sentiment, l'élégance du style, le langage des passions, l'expression du cœur. Pour

l'ordinaire, la délicatesse de ses organes n'en permet pas davantage; les agréments de la société, les besoins de la vie, le bien des familles en exigent encore moins.

Ne dissimulons rien. Louis xiv, l'objet de tant d'admiration, la matière de tant d'éloges, l'Apollon et l'Auguste de son siècle, avait un grand sens, mais il ne savait rien de rien. Philippe, duc d'Orléans, son frère, parlait perpétuellement sans rien dire. Il n'a jamais eu d'autres livres que ses heures, que le Tay, son maître de chapelle et en même temps son bibliothécaire, portait dans sa poche. Colbert, ce grand ministre, n'était pas plus Mécène, que son maître était Auguste; il était guidé dans ses distributions par des sots, ou par sa vanité qui se sentait flattée de se faire louer à trois cents lieues de lui. Les Tallement, les Chapelain, les Cassagne, les Boyer et les Le Clerc étaient ses illustres. Son abbé Gallois n'estimait que le grec. Son bibliothécaire Baluze n'excellait qu'à lire de vieux parchemins. Tous ces gens-là ne cherchaient qu'à faire valoir leurs amis. Pendant ce temps-là, Patru, le dictateur de l'éloquence française, Le Fèvre de Saumur, le plus habile critique et littérateur de son temps, Bouillaud et Auzout, aussi versés dans les mathématiques et la physique qu'on pouvait l'être alors, et bien d'autres savants du premier ordre, mouraient de faim. N'avais-je pas raison de dire que les mêmes objets offrent des

DICTIONN. ENCYCLOP. TOME I.

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