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considérablement déprimées et le patient offre tous les traits d'une profonde anémie qui, dans cette affection, est caractéristique par sa constance et par la rapidité avec laquelle elle se manifeste.

La physionomie, quoique calme, reste empreinte de tristesse; les yeux sont généralement un peu encavés, présentant parfois une légère injection. Pour le reste, la langue plus nette, redevient plus humide; une diarrhée légère persiste parfois pendant deux ou trois jours; l'appétit se prononce et le malade semble entrer en convalescence.

Cette rémission complète, pendant laquelle la plupart des fonctions reprennent leur évolution physiologique, bien que la rate et le foie restent sensiblement engorgés, se prolonge pendant un temps qui varie de deux à dix ou quatorze jours. Très-rarement elle n'a qu'une durée de 24 heures (cependant j'ai, depuis quelques jours, observé un certain nombre de cas de cette espèce), lorsque, tout à coup, sans aucune infraction aux prescriptions hygiéniques, le malade se sent pris d'un nouveau frisson et de tous les symptômes qui avaient marqué le premier accès. La peau devient de nouveau brûlante, le pouls s'accélère rapidement et la respiration, courte et haute, augmente de fréquence. Dans les conditions les plus favorables, cette nouvelle période pyrexique, toujours moins intense que la première, ne dure que deux à six jours, au bout desquels se manifeste de nouveau une sueur critique suivie d'une rémission qui, le plus souvent, est définitive.

La convalescence est dès lors commencée.

Cependant, le nombre des accès qui, le plus généralement, est de deux, peut s'élever à trois et même jusqu'à quatre, et, chaque fois, entraîner un affaissement plus considérable.

La persistance du volume de la rate que j'ai vue, dans quelques cas, se dessiner visiblement au-dessous des cartilages costaux, est l'un des indices les plus certains de l'imminence d'un nouvel accès.

Le pouls, dans toute la durée de l'affection, est généralement faible et mou, et même dans le maximum d'intensité de l'accès, l'impulsion du cœur est en quelque sorte plus lâche. Les bruits sont sourds, prolongés, souvent accompagnés d'un souffle doux au premier temps.

La mort, lorsqu'elle ne survient point par collapsus après le premier ou le second accès, a lieu, dans un grand nombre de cas, par suite de complication pneumonique ou de marasme résultant d'une entérite catarrhale opiniâtre. Assez souvent aussi, quand elle atteint un malade qui a déjà traversé un premier ou un second accès, elle résulte d'un œdème subaigu des méninges.

D'autres fois, lorsque la mort frappe d'une manière que l'on pourrait appeler aiguë, tout ce que l'on peut dire, c'est que la vie s'éteint dans une hyposthénie complète. Le malade présente un affaiblissement progressif du pouls qui perd en même temps sa fréquence; dans quelques cas, je l'ai vu tomber à 44 et même à 35 pulsations par minute. En même temps aussi on constate une diminution rapide de la caloricité organique, la peau se refroidit; il semble qu'il y

ait défaillance de toutes les forces vitales, jusqu'au moment où la vie aban

donne complétement le corps.

C'est ce processus ultime que M. le Dr Herrmann a caractérisé par l'expression de paralysie du cœur et c'est, de tous les genres de mort, le plus fréquent dans la fièvre récurrente.

La convalescence de cette maladie est constamment longue et difficile. Sa durée n'est guère moindre de un mois à six semaines. Une anémie profonde, et qui ne paraît pas en rapport avec les pertes relativement peu considérables qu'a éprouvées le malade, persiste pendant un temps fort long, en dépit des moyens les plus généralement efficaces dans d'autres circonstances. La face reste pâle, décolorée, terreuse, le regard triste, la démarche abattue, les lèvres et toutes les muqueuses offrent une transparence blême ; le malade se trouve radicalement affaibli. Souvent aussi se manifeste un œdème des extrémités et une certaine bouffissure de la face, accompagnés d'un souffle léger vers la base du coeur, sans que néanmoins les urines se montrent toujours dans ce cas albumineuses. Formes. Outre la forme simple que je viens de décrire, on peut encore établir comme variétés spéciales de la fièvre récurrente les formes cholérique et bilicuse, toutes deux extrêmement graves.

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Dans la forme cholérique, le malade qui présente souvent dès les premiers jours un facies caractéristique, plus ou moins cyanosé, tombe, aussitôt la rémission du premier accès, ou tout au moins après le second, dans une algidité prononcée ; les yeux s'encavent, la voix s'altère, le pouls se ralentit et devient de plus en plus misérable; la peau pâle, violacée et comme granitée se refroidit sans cependant perdre complétement son élasticité; il semble que la circulation s'anéantit en même temps que la respiration devient profonde et anxieuse.

Très-souvent il survient des vomissements et des selles qui pourtant n'ont rien de caractéristique et jamais il n'y a, comme dans le choléra vrai, anurie complète. Les crampes des mollets n'existent pas non plus..

C'est au milieu de ces symptômes, accompagnés d'anxiété, de douleur à l'épigastre et parfois d'un léger délire, que la vie s'éteint par anéantissement dans l'espace de deux ou trois jours.

Dans la forme bilieuse, qui quelquefois survient d'emblée, les symptômes ordinaires de la forme simple sont accompagnés d'une céphalalgie généralement plus intense. Le délire est aussi plus fréquent, la face est plus congestionnée et un peu bouffie, les conjonctives sont légèrement injectées; il y a plus souvent aussi anxiété épigastrique, douleur vers la région du foie, bien que cet organe ne soit point toujours aussi fortement augmenté de volume que l'on serait tenté de le croire.

Plus fréquemment aussi que dans la forme simple, il existe des nausées, des vomissements bilieux qui quelquefois vont jusqu'à l'hématémèse et dans presque tous les cas il y a diarrhée. La langue tend aussi plus souvent que dans la forme simple à se dessécher; elle est généralement rouge sur les bords et sur la pointe, offrant un enduit gris-jaunâtre à sa base.

Bien que l'habitude générale du corps présente une teinte safranée intense et que les urines décèlent la présence de la matière colorante de la bile, les selles restent néanmoins colorées et rarement le liquide biliaire cesse complétement de fluer dans l'intestin, circonstance qui semble dénoter une sorte d'hypercrinie congestive du foie, une véritable polycholie, plutôt qu'un obstacle catarrhal ou autre à l'excrétion de la bile. C'est aussi ce que confirme, dans la plupart des cas, l'autopsie.

Lorsque l'évolution de la maladie doit être favorable, la plupart de ces symptômes sont peu prononcés. L'affection se juge, soit par des sueurs profuses, soit plus rarement par des selles ou des urines copieuses, fortement colorées, et il arrive souvent que, du jour au lendemain, on trouve la teinte ictérique complétement modifiée.

D'autres fois, lorsque la maladie doit avoir une issue funeste, il survient des vomituritions bilieuses ou sanguinolentes, des hoquets, du délire; il y a mussitation, carphologie, puis le malade tombe dans un état de stupeur qui va jusqu'au coma. Le pouls se ralentit et s'affaiblit rapidement, la peau devient froide et aride et la mort arrive dans l'espace de trois ou quatre jours.

Comme on le voit, la maladie présente, dans cette forme, plusieurs symptômes communs avec la fièvre jaune; seulement dans celle-ci, la rate n'offre jamais l'augmentation de volume qui caractérise la fièvre récurrente. De plus, dans le vomito la prostration est rarement aussi radicale que dans cette dernière affection. Il n'existe point surtout ces rémissions tranchées qui constituent le caractère différentiel le plus saillant de la fièvre récurrente.

Mortalité. Au point de vue de la léthalité dans les différentes formes de la fièvre récurrente, on peut admettre que, si dans la forme simple, la mortalité n'est, au minimum, que de 10%, cette proportion s'élève à 60 % dans la forme bilieuse. La relation de cette dernière comparée au chiffre de la fièvre récurrente simple a été dans l'épidémie actuelle d'environ 12 %. Quant à la forme cholérique qui s'est montrée surtout vers les derniers temps de l'épidémie, le nombre des décès s'est élevé à une proportion à peu près égale que dans la forme ictérode, mais le rapport de ces cas à ceux de forme simple ayant été peu considérable, on peut établir, d'après les évaluations de la plupart des praticiens qui ont attentivement suivi toutes les phases de l'épidémie, que la mortalité a oscillé entre 15 et 18%, c'est-à-dire que, en moyenne, elle a été de 1/6 des malades atteints. Complications. Parmi les phénomènes qui, sans être un symptôme essentiel, constant, de la maladie, se sont néanmoins produits dans quelques cas, le délire a été observé à des périodes très-diverses de la fièvre récurrente. Chez un petit nombre, un délire furieux se manifestait au plus fort de la pyrexie, puis cessait brusquement après un ou deux jours. Chez d'autres, et ce sont les cas les plus fréquents, la divagation survenait dans le stade de rémission, mais, le plus souvent le trouble de l'intelligence était peu prononcé et se bornait à une rêvasserie tranquille de laquelle le malade paraissait s'étonner lorsqu'on l'interrogeait. Les épistaxis, qui sont toujours un accident fâcheux dans la fièvre récurrente,

se sont montrées chez plusieurs malades, surtout au plus fort de l'épidémie, indistinctement à toutes les périodes. Dans beaucoup de cas il fallut recourir au tamponnement.

Les complications les plus ordinaires sont, après les pneumonies qui passent rapidement au troisième degré, les congestions passives vers les organes encéphaliques qui amènent un œdème sous-arachnoïdien parfois considérable des méninges. Assez souvent aussi une douleur gravative vers les lombes indique un état de forte hypérémie du côté des reins. Les urines dans ces cas sont parfois légèrement albumineuses, d'autres fois très-chargées de sels ammoniacaux et d'acide urique.

L'entérite catarrhale est aussi une complication fréquente et souvent funeste parce qu'elle affaiblit rapidement le malade et qu'elle résiste à la plupart des traitements. La lésion porte surtout sur la partie inférieure de l'intestin et jamais on ne rencontre l'ulcération caractéristique des plaques de Peyer.

Il y a quelques semaines, les complications de parotidites étaient assez fréquentes. Elles sont aujourd'hui devenues fort rares, de même que les gangrènes par thrombose artérielle dont j'ai cependant observé deux cas, l'un suivi de mort, l'autre de guérison. La mortification frappe comme d'ordinaire les extrémités, les orteils, les doigts, les mains, souvent aussi le nez et les oreilles. Mais dans ces dernières circonstances, l'influence du froid qui, dans les climats du Nord, va souvent jusqu'à déterminer la congélation de ces parties, m'a paru avoir joué un certain rôle.

Les conjonctivites catarrhales ont été assez fréquentes à l'hôpital provisoire d'Ismaïloff, sans que cependant l'on puisse dire que ce phénomène appartient réellement à la fièvre récurrente.

L'apparition de roséoles a été de même signalée par quelques auteurs, mais cette éruption qui n'a été que rarement remarquée dans certaines formes d'épidémies, est due bien plutôt à une immixtion de fièvre typhoïde.

Traitement. La quinine et les diverses préparations de quinquina sont restées presque toujours impuissantes à prévenir les accès, voire même à diminuer leur intensité dans l'épidémie de Saint-Pétersbourg. Ces médicaments n'ont paru réellement utiles que dans la période de rémission, à titre de toniques, pour relever les forces défaillantes.

le

Dans ces circonstances, l'association de stimulants diffusibles, tels que camphre ou le musc, s'est montrée favorable surtout dans la forme cholérique. Parmi les nombreux moyens dont on a successivement essayé l'emploi, le remède qui a paru le plus généralement efficace et dont on a usé en quantités énormes pendant l'épidémie, c'est l'acide chlorhydrique dilué. Cet acide se prescrit généralement à la dose de 2 à 4 grammes dans une infusion d'ipéca, associé dans certains cas à quelques gouttes de laudanum.

L'eau de chlore a agi également avec d'assez constants avantages. La glace, les affusions froides, les douches ont quelquefois aussi rendu de très-utiles services. Dans l'entéro-colite catarrhale, la plupart des agents ordinaires auxquels on

a eu recours, tels que les opiacés, le bismuth, le ratanhia, le nitrate d'argent, le calomel, les sels neutres, n'ont exercé qu'une action fort douteuse.

On a eu recours avec le plus d'avantages pendant la convalescence aux préparations de fer, au vin, aux analeptiques.

Quant aux déplétions sanguines, le génie épidémique régnant a dû en faire proscrire à peu près complétement l'emploi. La tendance générale, surtout dans l'épidémie actuelle de fièvre récurrente, est celle d'une atténuation extrême du sang, d'une oligocythémie prononcée dans laquelle les pertes de sang n'ont généralement eu que des résultats négatifs ou funestes.

Contagiosité. - La fièvre récurrente paraît être contagieuse. Sur 300 individus dont se compose le personnel du vaste hôpital d'Aboukhoff, 50 environ, d'après le médecin en chef, M. Herrmann, contractèrent la maladie. Des 24 médecins qui desservent le même établissement, plusieurs tombèrent malades et l'un d'eux succomba à la fièvre récurrente. A l'hôpital d'Ismaïloff, d'après M. Metzler, sur 32 médecins 13 furent atteints.

La transmission paraît se faire également par le simple contact des vêtements ainsi que semble le démontrer cette circonstance que, à Aboukhoff, deux des employés préposés à l'emmagasinage des hardes furent pris de la maladie à laquelle l'un d'eux succomba. Cependant je me hâte d'ajouter que chez quelques-unes des personnes atteintes, la maladie paraît avoir plutôt revêtu les caractères de la fièvre exanthématique. Mais d'autres circonstances témoignent aussi pour la contagiosité de l'affection récurrente; c'est d'abord ce fait, que, dans un très-grand nombre de cas, des familles entières ou des escouades d'ouvriers logeant ensemble ont été pris de fièvre récurrente; c'est ensuite cette remarque que le nombre des malades a sensiblement diminué depuis que l'administration a imposé de diriger sur les hôpitaux les individus atteints dans les logements encombrés.

Autant les rechutes sont fréquentes, autant les récidives proprement dites sont rares dans la fièvre récurrente; aussi peut-on établir que, de même que pour la plupart des fièvres éruptives ou typhiques, une première attaque préserve d'une seconde. Mais on a vu, dans plusieurs cas, des malades convalescents de fièvre récurrente être pris de typhus et quelquefois, mais beaucoup plus rarement, des individus contracter une fièvre récurrente après un typhus. Anatomie pathologique. La fièvre récurrente est incontestablement l'une des maladies qui offrent les résultats les plus curieux à l'autopsie et qui laissent après elles les altérations les plus remarquables.

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Indépendamment de la décomposition rapide du cadavre, de la diffluence ou d'une sorte de dissolution du sang et de la coloration jaune intense qui pénètre tous les tissus dans la forme ictérode, je signalerai comme caractères les plus communs, lorsque le malade a succombé dans la période pyrexique ou au premier accès, un état d'hypérémie prononcée de la rate, du foie et des reins qui se montrent constamment augmentés de volume, au moins dans les premiers temps de la maladie.

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