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neuse qui attaque particulièrement les chevaux ou les moutons et qui n'atteint les hommes que par inoculation. Quoique cette affection ait en effet régné, il y a quelques mois, dans certains gouvernements de la Russie, ce n'est pourtant pas plus cette dernière maladie que la première qui, depuis quelques mois, a surchargé de plusieurs milliers l'obituaire habituel de Saint-Pétersbourg.

La vérité est que deux maladies ou, suivant certaines opinions, deux variétés d'affections typhiques, dominent, depuis près d'une année, la constitution médicale de cette ville et que, relativement à l'une de ces formes qui a reçu le nom de fièvre récurrente ou de fièvre à rechutes, la plupart des médecins, surpris par l'apparition inattendue de cette maladie jusque-là inconnue dans la localité, n'ont point dès le principe constaté sa nature.

Elle fut reconnue d'abord par M. le professeur Botkine, à l'hôpital des cliniques et par M. Herrmann, à l'hôpital d'Aboukhoff.

Quant à la seconde affection, elle n'est autre que le typhus proprement dit, ou typhus exanthématique, dont les caractères ont été déjà suffisamment étudiés et décrits par un grand nombre d'auteurs.

Il n'en est pas de même de la fièvre récurrente, sur laquelle la littérature médicale ne possède guère de monographie bien faite, à part les observations de Cormack et de Jenner, et surtout le travail de Griesinger, qui étudia cette maladie au Caire en 1851.

Je dois à l'excellent accueil de mes confrères de Saint-Pétersbourg, ainsi que à la haute bienveillance de S. Exc. M. de Wolouieff, Ministre de l'Intérieur de Russie, d'avoir pu observer et suivre avec toutes les facilités possibles sur plusieurs centaines de malades dans les différents hôpitaux de Saint-Pétersbourg et, par conséquent, sur des catégories diverses d'individus placés dans des conditions différentes, les caractères et les symptômes de cette curieuse maladie dont je vais essayer de tracer le tableau.

Historique. La fièvre récurrente, qui constitue le type essentiel de l'épidémie actuelle, n'avait guère été observée jusqu'à ce jour à l'état épidémique en Russie. Il semble bien s'être présenté, l'an dernier, à Odessa, certain nombre de cas d'une affection ressemblant à cette maladie et, en 1864, M. le docteur Pelikan père, observa à Moscou une affection qui avait, avec la forme bilieuse de la fièvre récurrente, de grandes analogies, mais, dans ces deux circonstances, si tant est que l'affection fût réellement identique, elle ne frappa qu'un nombre trop peu considérable de personnes pour que l'on puisse réellement lui donner le nom d'épidémie.

C'est en Écosse et en Irlande que la maladie fut observée pour la première fois en 1842 et 1843, et décrite sous le nom de Relapsing-fever par Cormack et par Donavan. En 1847, une affection typhoïde, que l'on a voulu aussi rapporter à la fièvre récurrente, fut observée dans la Haute-Silésie et en Gallicie; mais, d'après les renseignements qui m'ont été fournis ici même par les médecins autrichiens chargés d'étudier l'affection régnante, et dont l'un, M. le docteur Jankowski, pratique depuis nombre d'années en Gallicie, la fièvre typhoïde qui

a régné dans ces contrées n'a aucune espèce de ressemblance avec la fièvre récurrente de Saint-Pétersbourg. Enfin, en 1851, cette dernière maladie fut observée en Égypte par Griesinger, qui en traça une description généralement exacte, mais qui considéra à tort cette maladie comme endémique au Caire et qui, malheureusement, ne put donner aux recherches anatomo-pathologiques tous les développements désirables.

Sous le rapport de la marche générale de la maladie, on a observé que, dans toutes les épidémies, la fièvre récurrente était accompagnée du typhus exanthématique et de la fièvre typhoïde. Chaque fois qu'elle a sévi, sa durée a toujours été longue, et chaque fois aussi l'affection s'est étendue sur un nombre considérable d'individus.

Il est à remarquer, d'autre part, que la maladie qui, jusqu'à ce jour, ne s'est montrée que dans certaines contrées paludeuses ou voisines des mers, est toujours survenue à la suite d'hivers rigoureux ou pendant des années de disette, alors que la misère des campagnes amenait vers les grandes villes un brusque accroissement de population pauvre.

L'épidémie de Saint-Pétersbourg commença à se déclarer au mois d'août 1864. Dès le mois de mai de la même année, on vit les typhus exanthématiques et les fièvres typhoïdes qui, depuis l'hiver précédent, régnaient en assez grand nombre, diminuer peu à peu et revêtir un autre caractère, jusqu'à ce que, ainsi qu'il arrive dans la plupart des épidémies, la maladie dont les symptômes avaient été d'abord méconnus, s'accusa nettement et absorba, pour ainsi dire, toutes les autres manifestations morbides. Elle se montra à son apogée en janvier, époque à laquelle il y eut tout à coup encombrement considérable de malades dans les nombreux hôpitaux de la capitale.

Des locaux supplémentaires ayant été alors établis et des mesures énergiques largement prises par le gouvernement russe qui, dans ces circonstances, n'épargna aucuns sacrifices pour l'improvisation rapide d'hôpitaux provisoires, le nombre des malades diminua peu à peu.

D'après les relevés officiels du mouvement dans les différents hôpitaux que compte Saint-Pétersbourg, il y eut, depuis le commencement de l'épidémie jusqu'à la fin de février :

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De ces chiffres sont naturellement exclus les cas assez nombreux qui se sont déclarés à domicile et qui, relativement aux années précédentes, ont contribué à élever considérablement le nombre des décès. Aussi, d'après les évaluations des médecins placés dans les meilleures conditions pour être bien informés, peut-on porter à environ 18,000, le nombre total des personnes atteintes jusqu'à ce jour (15 mai 1865) par la fièvre récurrente de Saint-Pétersbourg, sur une population de 550,000 âmes.

Pendant le mois de mars dernier (du calendrier russe), c'est-à-dire du 12 mars au 12 avril, il y eut, d'après les données officielles, dans les hôpitaux de Saint-Pétersbourg :

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Pendant le mois d'avril (style russe) c'est-à-dire du 12 avril au 12 mai, le mouvement dans les seize hôpitaux tant civils que militaires de Saint-Pétersbourg a été :

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Aujourd'hui, grâce aux mesures efficaces qui ont été prises par le département des affaires médicales, l'épidémie paraît vouloir entrer dans une période décroissante. Cependant, une augmentation subite dans le nombre et dans la gravité des cas s'est produite depuis quelques jours.

Etiologie. Voulant me borner, pour le moment, à tracer la physionomie de l'affection nouvelle dont les caractères n'ont été jusqu'aujourd'hui observés en Europe que par un nombre très-limité de praticiens, je ne m'arrêterai point à discuter ici sa nature probable, non plus que son étiologie qui, de même que celle de presque toutes les épidémies, se réduit en réalité à de simples conjectures.

Outre les influences fâcheuses d'un renchérissement excessif des denrées alimentaires, il faut faire, sans doute, entrer en ligne de compte dans le développement de la maladie actuelle la mauvaise qualité des eaux alimentaires que, dans certains quartiers de Saint-Pétersbourg, quelques gens du peuple puisent, par incurie, dans les canaux où se déversent une partie des eaux ménagères et autres. A ces causes, il faut ajouter, comme expliquant la recrudescence récente de la maladie, les rigueurs du carême, que les Russes observent avec une grande sévérité, et, surtout, l'altération de l'air des habitations, hermétiquement closes, par suite des froids excessifs de l'hiver et dans lesquelles l'atmosphère se charge de vapeurs et d'émanations organiques dont la chaleur des poêles favorise la décomposition putride.

N'oubliez point surtout que j'écris sous le ciel de Saint-Pétersbourg et que, indépendamment des rigueurs du climat, la nature du sol est ici des plus défavorables à la santé. Il a fallu la volonté énergique d'une conception puissante,

commandant à un grand peuple, pour faire surgir cette magnifique et grandiose cité des marais sur lesquels elle repose. Entrecoupée par de nombreux canaux, placée au fond du golfe de Finlande, au sud-ouest d'un lac immense, le lac Ladoga, et assise aux bouches de la Newa, Saint-Pétersbourg est exposée, tantôt aux vents froids et secs qui soufflent du nord-est et de l'est, du fond de la Sibérie, tantôt à l'air humide qui arrive de la Baltique et soumise toujours à l'influence des effluves du sol. A des hivers très-longs et d'une rudesse extrême succèdent généralement, pendant les mois d'été, des chaleurs accablantes, le soleil restant à l'horizon pendant un temps beaucoup plus long que dans nos latitudes.

Il y a là, on le voit, plus de raisons qu'il n'en faut pour expliquer l'insalubrité du climat et l'intensité avec laquelle y sévissent la plupart des épidémies. Mais aucune parmi toutes ces causes, dont l'influence existe et a existé dès longtemps, ne rend parfaitement compte du développement spécial de telle maladie plutôt que de telle autre.

Sans doute on pourrait ici, avec plus ou moins de fondement, tour à tour accuser les miasmes, les effluves, les germes organisés, les aberrations de l'électricité ou l'absence d'ozone. Bien des observations, bien des spéculations se présentent aux investigateurs. Mais, vous le savez, mon cher confrère, ce qui constitue trop souvent la science, c'est l'incertitude, pour ne point dire l'ignorance des savants.

Je me contenterai donc actuellement de vous donner la description exacte et précise des symptômes de la maladie, tels que je les ai observés, sur place, par moi-même, et tels que me permettent de les résumer les renseignements que j'ai puisés non pas seulement auprès de plusieurs confrères qui avaient observé l'épidémie dès sa première apparition, mais dans les notes recueillies au lit des malades et dans les amphithéâtres des différents hôpitaux que j'ai fréquentés. Symptômes, marche, terminaison. - La fièvre récurrente ne parait guère avoir de prodrômes bien caractérisés. Très-souvent elle frappe à l'improviste, sans aucuns symptômes prémonitoires, des individus jusque-là bien portants. Elle débute généralement par un ou plusieurs frissons, suivis de céphalalgie frontale gravative peu intense, rarement de vomissements, plus souvent de nausées.

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Il y a, dès le principe, accablement, prostration considérable, douleurs plus ou moins aiguës dans les articulations.

Bientôt, la peau devient chaude, sèche, brûlante; la température du corps s'élève graduellement pendant quatre, six ou huit jours, au point que le thermomètre placé dans l'aisselle accuse 38, 40 et même 41° C. Je l'ai vu même s'élever jusqu'à 41,8° C. En même temps, le pouls augmente de fréquence; il atteint de 120 à 130 et jusqu'à 150 pulsations par minute. Le nombre des inspirations, qui varie de 30 à 40 par minute, est en relation avec l'intensité de cet état fébrile qui s'accompagne d'un profond brisement, d'un sentiment de faiblesse extrême, de douleurs dans les membres, parfois aux deux épaules et de sensibilité dans les hypochondres, particulièrement à gauche, où la pression éveille une certaine douleur. Parfois aussi j'ai constaté l'existence d'une hyperesthésie cutanée des parois thoraciques et abdominales.

Le malade, incapable de se tenir debout, s'abandonne dans une dédolation complète; il éprouve des vertiges avec bourdonnements d'oreilles, chaleur et battements vers la tête et s'affaisse sur lui-même lorsqu'on veut le faire marcher. La face est quelquefois légèrement injectée, présentant toujours un fond terreux, grisâtre, un abattement profond des traits qui cependant n'expriment jamais l'hébétude de la fièvre typhoïde. Les yeux présentent presque toujours le sillon orbitaire et parfois, mais pas constamment, une certaine dilatation des pupilles. Il y a anorexie complète, soif, insomnie, parfois délire. La langue est généralement humide, large, chargée à sa base d'un léger enduit blanchâtre. Souvent il existe de la constipation pendant les premiers jours, suivie ensuite de selles naturelles ou d'une légère diarrhée. Les urines sont ordinairement concentrées et acides.

Souvent j'ai constaté des émanations ammoniacales très-sensibles dans l'atmosphère exhalée par les malades.

En même temps la rate se montre constamment augmentée de volume. Elle peut s'accroître du triple ou se trouver même quadruplée, et il m'est arrivé, dans plusieurs cas, de lui trouver 18 à 25 centimètres dans un sens sur 10 à 15 dans l'autre. Le plus ordinairement aussi le foie est plus ou moins augmenté de volume et le malade accuse vers l'épigastre une sensation douloureuse.

Vers le quatrième ou le sixième jour, au plus tard le huitième, le malaise augmente, la chaleur et l'accélération du pouls sont à leur maximum ; il y a oppression épigastrique, dyspnée, anxiété ; le malade étendu dans le décubitus dorsal éprouve le sentiment d'un état très-grave.

Souvent, dès le troisième jour apparaît une coloration ictérique plus ou moins prononcée; mais cette teinte d'un jaune-safrané, qui commence par les sclérotiques et qui envahit toutes les parties du corps, ne se montre parfois que dans le second paroxysme. La langue tend après quelques jours à se dessécher au centre. Mais il n'existe ni gargouillement iliaque, ni ballonnement du ventre qui est au contraire souple et déprimé.

Il n'y a en général aucune trace d'éruption vers la peau.

C'est au plus fort de cette pyrexie que survient, ordinairement le sixième ou le huitième jour, une transpiration profuse, abondante, qui quelquefois ne dure que quelques heures mais qui, le plus souvent, se prolonge pendant un ou deux et même trois jours. Cette crise, durant laquelle le pouls et la respiration restent généralement avec toute leur fréquence, est d'ordinaire précédée ou suivie de quelques selles molles ou liquides.

Dès lors, une brusque rémission se manifeste dans tous les symptômes. La fièvre tombe, l'apyrexie devient complète, la peau reprend sa fraîcheur en même temps que le nombre des pulsations et des inspirations s'abaisse d'une manière remarquable dans l'espace de quelques heures.

Le malade se sent mieux; il éprouve un certain soulagement; la céphalalgie qui n'est jamais très-forte cesse complètement. La rate ainsi que le foie diminuent lentement de volume. Mais toujours, dans tous les cas, les forces restent

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