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XIV.

LES HOMMES ET LES CROSES.

209

MARTOREY-LE-POETE. Vous avez rencontré quelquefois, de par la ville, un petit homme, à la tournure hétéroclyte, à la démarche grave et compassée comme un quaker, à l'habit rapé comme un poëte classique, une longue canne sous le bras gauche, un chapeau jadis noir et sur lequel on pouvait à peine soupçonner l'existence de quelques poils, et pardessus tout une longue pipe, le plus souvent veuve de tabac ; car ce petit homme, à la tournure hétéroclyte, à la démarche grave et compassée, à l'habit rapé, était moins en compte-courant avec le marchand de tabac qu'avec le propriétaire du cabaret du coin! Si vous l'avez rencontré quelquefois, et si vous avez été assez heureux pour échapper à son éloquence poétique, remerciez Dieu, faites un voyage à Notre-Dame de Bonsecours; car il vous eût fallu entendre un ramassis de quelques centaines de vers de plus eu plus bizarres, de plus en plus ridicules; car ce petit homme à l'habit rapé, était un poëte, et un poëte d'une rude trempe. Et cependant on prenait parfois plaisir à l'entendre: il ré

cilait ses vers avec une telle emphase, il se croyait remarquable avec tant de bonne foi, que c'était pitié de l'ouïr, que c'était curiosité de le voir. J'ai souvent surpris quelques larmes dans ses yeux, quelques larmes de bonheur, lorsqu'il me voyait attentif à l'écouter: aussi, de si loin qu'il me voyait, accourait-il pour me faire part de

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Un goût tout particulier pour la solitude, la manie de réciter des vers, quelques plaisanteries sur sa burlesque tournure, telles furent probablement les causes primitives du dérangement progressif de son cerveau. La folie de Martorey n'avait rien de méchant: c'était un mélange de sérieux et de comique qui faisait mal à voir : ce pauvre fou était si content lorsqu'il trouvait un auditeur bénévole, un auditeur qui parût satisfait de ses vers! Il se croyait un Racine! lui misérable avorton ! lui, Pygmée, à côté du géant de la poésie ! Il ne laissait passer aucune fête, aucun saint révéré, aucune solennité sans que sa muse n'accouchât de quelque pièce de vers, aussi grotesque que son auteur! Un personnage éminent arrivait-il à Valenciennes? vite, Martorey enfourchait son Pégase étique, écrivassait, rimaillait, rimaillait encore, et présentait bientôt une ode, voire même un poëme, au

personnage éminent, et toujours avec une gravité vraiment comique. Quelque pitoyables que soient ses vers, je ne puis résister à la tentation d'en citer quelques uns. Le lecteur pourra juger jusqu'où peut aller la fureur de versifier:

Bouquet offert avec respect à la gloire céleste du grand Saint-Mar

tin:

Vénérant Saint-Martin, muse à ma voix [propice

A cet élu du ciel offre ton sacrifice;

Il fut de son vivant preux et franc cavalier
A qui l'audacieux n'osait trop se fier.
Ainsi dans les combats, en sa franche car-
[rière

Ne cessa de briller son ardeur guerrière !
Et son air martial primant à son aspect,
Saisissant l'ennemi, le tenait en respect.
Son cœur sensible aussi; dans le cours de
[sa vie,

De soulager le pauvre il eut toujours l'en[vie : En ce, l'histoire dit qu'un jour, de son [manteau,

Séparant la moitié, de l'autre il fit cadeau; Mais à qui s'appliqua ce fait si charitable,

Si rare dans ce tems? ce fut dit-on le diable Qui d'un moderne Job prit l'air humble [et contrit,]

Le suppliant langage et le minable habit.

Le suprême bonheur de Martorey eût été de faire imprimer ses productions poétiques ; c'était sa marotte: mais on ne poussa point la complaisance jusqu'à ce point.

Ajoutez maintenant à cette manie de rimailler, un amour propre d'auteur fort susceptible, une conviction étonnante de son talent, et vous ne serez pas surpris d'apprendre que Martorey se croyait supérieur à Voltaire. Les vers de ce dernier, gravés anciennement sur la pyramide de Denain, étaient surtout l'objet d'une critique con

tinuelle de la part de notre poëte; il fit vingt inscriptions pour remplacer celle de Voltaire, vingt fois par jour il les récitait, et chaque fois il en était plus satisfait; il s'arrêtait, s'extasiait sur chaque mot, chaque pensée, puis, revenant à son idée fixe, il les comparaît à l'inscription de Voltaire... Il fit plus, il en présenta une au préfet, qui se trouvait alors dans nos murs, c'était en 1823, au moment où l'on allait restaurer la pyramide... Comme on peut bien le penser, l'inscription de Martorey n'y figura pas; mais il dut se consoler en voyant qu'on avait aussi supprimé les deux vers de Voltaire: en revanche le nom de M. de Murat y figurait en grosses lettres ! Le nom de M. de Murat sur l'obélisque de Denain ! ! !....

Martorey conserva dans ses derniers momens la fureur de faire des vers: je le vois encore dans un misérable grenier, sur un mauvais grabat; la mort était épandue sur tous ses traits, et cependant il composait.... le malheureux ! il mettait la dernière main au septième acte d'une tragédie !!! à côté était une ode qu'il m'avait adressée et que je conserve bien précieusement; c'est un souvenir de Martorey-le-poète !

Sa vue me rappela le proverbe : « Gueux comme un poète. »

ERN. B.

LA PUCELLE DE LA RUE DES ANGES. — C'était en 1515: une peste cruelle ravageait Valenciennes; jeunesse, rang, beauté, rien ne pouvait préserver de ce

fléau destructeur; la mort marquait du doigt sa victime, et son aveugle rigueur, aussi prompte que le désir, aussi affreuse que sa pensée, portait les coups les plus funestes et les plus inattendus. Si terrible fut ce fléau, qu'au rapport de l'historien d'Outreman, qui donne quelques détails sur cette peste, le nombre des jeunes filles qui moururent, sur la seule paroisse de Saint-Nicolas, s'éleva à quatre cents!

Mais, chose étonnante, cette peste si cruelle, si affreuse que chacun, dans ces tems de superstition, ne manquait pas d'attribuer à la colère divine, et de regarder comme une punition d'en haut, cette peste dit d'Outreman, avait cela de particulier, qu'elle s'attachait principalement aux jeunes personnes du sexe! ce qui ne donnerait pas une idée bien favorable de la sainteté de la jeunesse du seizième siècle. Cependant selon la tradition, au milieu de ce spectacle de désolation, au milieu de cette foule de victimes qu'enlevait cette terrible maladie, une jeune fille de la rue des Anges, qui avait passé ses premières années dans le recueillement et la piété, et voué un culte sincère à la SainteVierge, fut seule préservée de ce fléau destructeur. Un miracle tel que celui-là (car dans ce bon tems là on voyait encore des miracles) ne pouvait passer inaperçu, aussi fit-on dès lors des fêtes, processions et remercîmems auTrès-Haut, et pour conserver la mémoire de ce fait remarquable, le magistrat or

donna que tous les ans, à pareille époque, une procession en rappellerait le souvenir, ce qui donna naissance à une fête dans laquelle la plus jeune personne, la plus ver tueuse de la rue représentait cette vierge.

Le dimanche qui précédait la fète de l'Assomption était consacré à été choisie par les confrères de cette cérémonie. Celle qui avait

Notre-Dame de Miracles, surnommés les Damoiseaux, se revêtissait d'un habillement blanc, garni de rubans bleus, couleur adoptée par la confrérie. On formait à chaque extrémité de la rue des Anges des portiques de verdure, ainsi qu'à la porte de la jeune fille.

Ce jour là, à neuf heures du matin, une députation de confrères arrivait, avec la croix et les drapeaux déployés à la demeure de la vierge choisie; on la conduisait à l'église, où, au milieu d'une office en actions de grâces et en méfoule nombreuse, on chantait un moire du miracle de 1515! La jeune fille, tenant à la main un grand cierge, marchait à la procession au milieu des confrères qui formaient son escorte. Après cette cérémonie, la même députation la reconduisait chez elle avec les mêmes houneurs ; elle recevait en cadeau une corbeille ornée de fleurs et remplie des fruits les plus " beaux et les meilleurs de la saison. La fête se terminait des danses. par

Cette pieuse et touchante cérémonie, dans laquelle on rendait un hommage si éclatant à la piété

et à la vertu, avait cessé plusieurs années avant la révolution. La fille d'un tapissier nommé Aubert fut la dernière que l'on choisit, et quoiqu'elle fût aussi vertueuse qu'elle était belle, elle n'en devint pas moins l'objet de quelques plaisanteries qui empêchèrent d'autres jeunes personnes de s'exposer encore à faire la vierge.

que

Les notables de l'endroit appelaient cette cérémonie la fête de la pucelle de la rue des Anges, et le peuple, dans son grossier langage l'appelait l'fiète del' vierge del' rue d'zanches, parceque la jeune personne en mémoire de laquelle elle avait été instituée, demeurait dans cette rue, celle que et l'on choisissait pour la représenter devait aussi l'habiter. Les mères élevaient leurs filles de manière à mériter ce choix; on formait une espèce de concours, comme pour la Rosière ; cependant aucun prix n'y était attaché ; la corbeille de fruits était plutôt un hommage à la vertu qu'un présent.

ERN. B.

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sur la paille; lorsqu'ils vinrent le lendemain pour l'ensevelir, ils furent surpris de trouver au cadavre un teint vermeil et l'air d'un homme qui sommeille. Les sœurs hospitalières étonnées elles-mêmes, ordonnèrent de laisser ce corps jusqu'à nouvel ordre. M. Brisseau, médecin de l'hôpital, voulut voir quel changement le tems amènerait sur le cadavre: on attendit seize

jours entiers, et aucune altération ne se fit remarquer: voici ce qu'en écrivait M. le docteur Brisseau à un de ses amis:

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« Nous lui trouvâmes le teint « fort beau, les joues et le front « rouges, comme on les a par la << pudeur, les lèvres très vermeil« les; enfin la mine d'un homme qui « dort tranquillement après avoir « bien soupé; ce qui me parut « d'autant plus surprenant que pendant sa maladie, il avait eu « le visage d'un mort, et qu'après << sa mort, il avait celui d'un vi<< vant....Je remarquai que ses << oreilles étaient extrémement rou<< ges tirant sur le cramoisi, et qu'il << avait aux épaules des taches de la « même couleur, de la grandeur «d'une main: il ne me parut rien << que d'ordinaire dans le reste du « corps, sinon qu'il avait les arti« culations des membres très sou<< ples, et sans nulle mauvaise odeur « ........ Tout le reste du corps, ni la <«< bouche même, ni la plaie n'ont << aucune infection, ni odeur, quoi<< que ce soit aujourd'hui le seizième «< jour de sa mort, qu'il ait été plus a de dix jours à terre sur de la paille « et à l'air sous le hangard, son vi

sage no change point encore, pleurant sur le cadavre saint

<< elc >>

Quand le peuple ne peut expliquer un événement, il crie au miracle! c'est ce qui arriva à Tournai, où les gens simples abondaient alors parce que le pauvre la violette était devenu rouge après sa mort, il s'ensuivit que le doigt de Dieu avait passé par là. Bientôt tous les paysans des environs voulurent voir le corps saint; les étrangers affluèrent de France et des Pays-Bas; on arrivait à Tournai à pied, à cheval, en voiture; on s'étouffait dans la rue de l'hôpital, et une garde de six une garde de six mousquetaires qu'on avait mis auprès du cadavre eut bien de la peine à résister à la foule. C'était à qui ferait toucher des linges, des images, des chapelets au corps du Saint la Violette, et ceux qui étaient assez heureux pour y parvenir les emportaient comme de précieuses reliques.

Ce n'est pas tout encore, la nouvelle de cet événement étant parvenue jusqu'au régiment Dauphin les officiers et soldats, surtout ceux de la compagnie de la Violette, voulurent aussi voir leur ancien camarade. Deux de ses officiers qui avaient à se reprocher quelques mauvais traitemens et des punitions infligés légèrement au pauvre la Violette, commencèrent à se les reprocher vivement et à craindre les suites de leur sévérité, envers un soldat devenu Bienheureux ; la peur et les remords les talonnèrent si vivement, qu'arrivés dans l'égli

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poussèrent des gémissemens en se frappant la poitrine et en lui demandant pardon de leur brutalité.

L'archevêque de Cambrai, M. de Brias, fit faire une enquête sur le fait de ce miracle; on dressa procès-verbal du tout, et, après que vingt-trois jours se fussent passés sans que le corps changeât le

moins du monde, on enterra soigneusement et solennellement le pauvre soldat du régiment Dauphin dans une riche tombe, près de l'autel de l'hôpital. Une table de marbre le recouvrit et l'on У grava cette épitaphe.

» Ici git Claude Meret.

" dit la Viole te

« Duquel le corps fut 23 jours exposé a Aupeuple sans corruption

« Son proces dans son tombeau en fait men-. [tion,

« L'an 1692. >>

Deux ans après, le grand Dauphin, fils de Louis XIV, com

mandant en chef l'armée de Flandres, passant à Tournai, voulut voir le tombeau du soldat La Violette; il était fort pressé, cela ne l'empêcha pas de s'arrêter sur cette pierre, d'y faire sa prière et d'adresser aux religieuses des complimens sur leur bonheur de posséder les marques précieuses d'un miracle signalé, dont il se glorifiait lui-même, puisque le soldat la. Violette, devenu l'objet d'une vénération méritée, avait été grenadier dans son propre régiment. A. D.

ANÉEN. Depuis le 8 septem

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se de l'hôpital, ils se jettèrent en bre de l'an 1008 que la ville de Va

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