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qu'à proférer ces paroles imposantes: Feu M. de Carandon, mon père........ Corée n'attendait pas qu'elle achevât, pour avouer qu'il avait tort.

Il mourut assez jeune, et lui laissa deux enfans. En mourant, il croyait devoir régler le partage de ses biens, mais M. de Carandon avait pour maxime, lui dit-elle, qu'afin de retenir les enfans sous la dépendance d'une mère, il fallait la rendre dispensatrice des biens qui leur étaient destinés. Cette loi fut la règle du testament de Corée ; et son, héritage fut mis en dépôt dans les mains de sa femme, avec le droit fatal de le distribuer à ses enfans comme bon lui semblerait. De ces deux enfans, l'aîné faisait ses délices: non qu'il fût plus beau, plus heureusement né que le cadet; mais elle avait couru le danger de la vie en le mettant au monde. Il lui avait fait éprouver le premier le plaisir d'être mère; et sétait emparé de sa tendresse, qu'il semblait avoir épuisée: elle avait enfin, pour l'aimer uniquement, toutes les mauvaises raisons que peut avoir une mauvaise mère.

Le petit Jacquaut était l'enfant de rebut: sa mère ne daignait presque pas le voir, et ne lui parlait que pour le gronder. Cet enfant, intimidé, n'osait lever les yeux devant elle, et ne lui répondait qu'en tremblant. Il avait, disait-elle, le naturel de son père, une âme du peuple, et ce qu'on appelle l'air de ces gens-là.

Pour l'aîné, qu'on avait pris soin de rendre aussi volontaire, aussi mutin, aussi capricieux qu'il était possi ble, c'était la gentillesse même: son indocilité s'appelait hauteur de caractère: son humeur, excès de sensibilité. On s'applaudissait de voir qu'il ne cédait jamais quand il avait raison: or, il faut savoir qu'il n'avait jamais tort. On ne cessait de dire qu'il avait du mérite et qu'il avait l'honneur de ressembler à madame sa mère. Cet aîné, appelé M. de l'Etang (car on ne crut pas qu'il fût convenable de lui laisser le nom de Corée); cet aîné, dis-je, eut des maîtres de toute espèce: les leçons étaient pour lui seul, et le petit Jacquaut en recueillait le fruit; de manière qu'au bout de quelques années, Jacquaut savait tout ce qu'on avait enseigné à M. de l'Etang, qui en revanche ne savait rien.

Les bonnes, qui sont dans l'usage d'attribuer aux enfans tout le peu d'esprit qu'elles ont, et qui rêvent tout le matin aux gentillesses qu'ils doivent dire dans la journée; les bonnes avaient fait croire à madame, dont elles connaissaient le faible, que son aîné était un prodige. Les maîtres, moins complaisans, ou plus maladroits, en se plaignant de l'indocilité, de l'inattention de cet enfant chéri, ne tarissaient point sur les louanges de Jacquaut. Ils ne disaient pas précisément que M. de l'Etang fût un sot; mais ils disaient que le petit Jacquaut avait de l'esprit comme un ange. La vanité de la mère en fut blessée; et par une injustice qu'on ne croirait pas être dans la nature, si ce vice des mères était moins à la mode, elle redoubla d'aversion pour ce petit malheureux, devint jalouse de ses progrès, et résolut d'ôter à son enfant gâté l'humiliation du parallèle.

Une aventure bien touchante réveilla cependant en elle les sentimens de la nature; mais ce retour sur elle-même l'humilia, sans la corriger. Jacquaut avait dix ans, de l'Etang en avait près de quinze, lorsqu'elle tomba sérieusement malade. L'aîné s'occupait de ses plaisirs, et fort peu de la santé de sa mère. C'est la punition des mères folles, d'aimer des enfans dénaturés. Cependant on commençait à s'inquiéter: Jacquaut s'en aperçut; et voilà son petit cœur saisi de douleur et de crainte l'impatience de voir sa mère ne lui permet plus de se cacher. On l'avait accoutumé à ne paraître que lorsqu'il était appelé; mais enfin sa tendresse lui donna du courage. Il saisit l'instant où la porte de la chambre est entr'ouverte; il entre sans bruit, et à pas tremblans, il s'approche du lit de sa mère. Est-ce vous, mon fils, demanda-t-elle ? Non, ma mère, c'est Jacquaut. Cette réponse naïve et accablante pénétra de honte et de douleur l'âme de cette femme injuste ; mais quelques caresses de son mauvais fils lui rendirent bientôt tout son ascendant, et Jacquaut n'en fut dans la suite, ni mieux aimé, ni moins digne de l'être.

A peine madame Corée fut-elle rétablie, qu'elle reprit le dessein de l'éloigner de la maison: son prétexte fut que de l'Etang, naturellement vif, était trop susceptible de dissipation pour avoir un compagnon

d'étude, et que les impertinentes prédilections des maîtres pour l'enfant qui était le plus humble ou le plus caressant avec eux, pouvaient fort bien décourager celui dont le caractère plus haut et moins flexible, exigeait plus de ménagement. Elle voulut donc que de l'Etang fût l'unique objet de leurs soins, et se défit du malheureux Jacquaut, en l'exilant dans un collége.

A seize ans, de l'Etang quitta ses maîtres de mathématiques, de physique, de musique, etc. comme il les avait pris: il commença ses exercices, qu'il fit à-peuprès comme ses études; et à vingt ans, il parut dans le monde avec la suffisance d'un sot, qui a entendu parler de tout, et qui n'a réfléchi sur rien.

De son côté, Jacquaut avait fini ses humanités, et sa mère était ennuyée des éloges qu'on lui donnait. Eh bien! dit-elle, puisqu'il est si sage, il réussira dans l'église; il n'a qu'à prendre ce parti.

Par malheur, Jacquaut n'avait aucune inclination pour l'état ecclésiastique: il vint supplier sa mère de l'en dispenser. Vous croyez donc, lui dit-elle avec une hauteur froide et sévère, que j'ai de quoi vous soutenir dans le monde? Je vous déclare qu'il n'en est rien. La fortune de votre père n'est pas aussi considérable qu'on l'imagine: à peine suffira-t-elle à l'établissement de votre aîné. Pour vous, monsieur, vous n'avez qu'à voir si vous voulez courir la carrière des bénéfices, ou celle des armes: vous faire tonsurer ou casser la tête, accepter, en un mot. un petit collet ou une lieutenance d'infanterie, c'est tout ce que je puis faire pour vous. Jacquaut lui répondit avec respect, qu'il y avait des partis moins violens à prendre pour le fils d'un négociant. A ces mots, mademoiselle de Carandon faillit à mourir de douleur d'avoir mis au monde un fils si peu digne d'elle, et lui défendit de paraître à ses yeux. Le jeune Corée, désolé d'avoir encouru l'indignation de sa mère, se retira en soupirant. et résolut de tenter si la fortune lui serait moins cruelle que la nature. Il apprit qu'un vaisseau était sur le point de faire voile pour les Antilles, où il avait dessein de se rendre. Il écrivit à sa mère pour lui demander son aveu, sa bénédiction et une pacotille. Les deux premiers articles lui furent amplement accordés; mais le dernier avec économie.

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Sa mère, trop heureuse d'en être délivrée, voulut le voir avant son départ, et en l'embrassant lui donna quelques larmes. Son frère eut aussi la bonté de lui souhaiter un heureux voyage. C'étaient les premières caresses qu'il avait reçues de ses parens: son cœur sensible en fut pénétré: cependant il n'osa leur demander de lui écrire. Mais il avait un camarade de collége dont il était tendrement aimé : il le conjura en partant, de lui donner quelquefois des nouvelles de sa mère.

Celle-ci ne fut plus occupée que du soin d'établir son enfant chéri. Il se déclara pour la robe: on lui obtint des dispenses d'études; et bientôt il fut admis dans le sanctuaire des loix. Il ne fallait plus qu'un mariage avantageux. On proposa une riche héritière; mais on exigea de la veuve la donation de ses biens. Elle eut la faiblesse d'y consentir, en se réservant à peine de quoi vivre décemment, bien assurée que la fortune de son fils serait toujours en sa disposition.

A l'âge de vingt-cinq ans, M. de l'Etang se trouva donc un petit conseiller tout rond, négligeant sa femme autant que sa mère: ayant grand soin de sa personne, et fort peu de souci des affaires du Palais. Il se rendit à Paris, où des dissipations de tout genre ébranlèrent sa fortune, et sa jeune épouse à qui ce voyage avait déplu, demanda d'être séparée de biens d'un mari qui l'abandonnait sa dot, qu'il fallut rendre, le mit encore plus mal à son aise.

Comme il est humiliant de décheoir, il se piqua d'honneur, et ne voulut rien rabattre de son faste: de sorte qu'au bout de quelques années il se trouva ruiné. Il en était aux expédiens, lorsque madame sa mère, qui n'avait pas mieux ménagé sa réserve, lui écrivit pour lui demander de l'argent. Il lui répondit qu'il était désespéré; mais que, loin de pouvoir lui envoyer des secours, il en avait besoin lui-même. Déjà l'alarme s'était répandue parmi leurs créanciers, et c'était à qui se saisirait le premier des débris de leur fortune.Qu'ai-je fait, disait cette mère désolée ? je me suis dépouillée de tout, pour un fils qui a tout dissipé.

Cependant, qu'était devenu l'infortuné Jacquaut? Jacquaut, avec de l'esprit, la meilleure âme, la plus jolie figure du monde, et sa petite pacotille, était arrivé

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heureusement à St. Domingue. On sait combien un étranger, de bonnes mœurs et de bonne mine, trouve aisément à s'établir dans les îles. Le nom de Corée, son intelligence et sa sagesse lui acquirent bientôt la confiance des habitans. Avec les secours qui lui furent offerts, il acquit lui-même une habitation, la cultiva, la rendit florissante: le commerce, qui était en vigueur, l'enrichit en peu de tems, et dans l'espace de cinq ans, il était devenu l'objet de la jalousie des veuves et des filles les plus belles et les plus riches de la colonie. Mais hélas! son camarade de collége, qui jusque-là ne lui avait donné que des nouvelles satisfaisantes, lui écrivit que son frère était ruiné, et que sa mère, abandonnée de tout le monde, était réduite aux plus affreu ses extrémités. Cette lettre fatale fut arrosée de larmes, -Ah! ma pauvre mère, s'écria-t-il, j'irai vous secourir. Il ne voulut s'en fier à personne. Un accident, une infidélité, la négligence ou la lenteur d'une main étrangère, pouvaient la priver des secours de son fils, et la laisser mourir dans l'indigence et le désespoir. Rien ne doit retenir un fils, se disait-il à lui-même, quand il y va de l'honneur et de la vie d'une mère.

Avec de tels sentimens, Corée ne fut plus occupé que du soin de rendre ses richesses portatives. Il ven. dit tout ce qu'il possédait ; et ce sacrifice ne coûta rien à son cœur. Mais il ne put refuser des regrets à un trésor plus précieux qu'il laissait en Amérique, Lucelle, jeune veuve d'un vieux colon qui lui avait laissé des biens immenses, avait jeté sur Corée un de ces regards qui semblent pénétrer jusqu'au fond de l'âme et en démêler le caractère, l'un de ces regards qui décident l'opinion, qui déterminent le penchant, et dont l'effet subit et confus est pris le plus souvent pour un mouvement sympathique. Elle avait cru voir, dans ce jeune homme, tout ce qui peut rendre heureuse une femme honnête et sensible; et son amour pour lui n'avait pas attendu la réflexion, pour naître et se développer. Corée, de son côté, l'avait distinguée entre ses rivales, comme la plus digne de captiver le cœur d'un homme sage et vertueux. Lucelle, avec la figure la plus noble et la plus intéressante, l'air le plus animé, et cependant le plus modeste, un teint brun, mais plus frais que les roses, des cheveux d'un noir d'ébène, et des dents d'une

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