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plus à moi je n'ai pas craint de te le dire. Penses-tu que celle qui n'a pas menti pour partager une couronne, pourrait mentir au moment d'expirer? Non, j'ai tout avoué; je renouvelle mes aveux. Un homme a pénétré cette nuit jusque dans mon appartement; il n'en est sorti qu'à l'aurore: mais cet homme n'est pas celui-là. Tu me demandes de le nommer: je ne le dois ni ne le yeux. Je suis prête à la mort: je sais que rien ne peut me sauver, et je ne prolonge ces affreux momens que pour t'empêcher de commettre un crime. Je te le jure de nouveau, roi de Dahomai; le sang de cet innocent doit retomber sur ta tête. Fais-le délivrer, et faismoi punir. Je n'ai plus rien à te dire.

Le roi fut frappé des paroles de Bérissa, de l'accent dont elle les prononçait; il n'ordonnait rien; il baissait la tête, et s'étonnait de la répugnance secrète qu'il se sentait cette fois à répandre un peu de sang. Mais réfléchissant que ce nègre s'était accusé lui-même; attribuant à l'amour l'intérêt que Bérissa témoignait pour lui, toute sa fureur renaît. Il fait un signe aux bourreaux: aussitôt le bûcher s'allume, les femmes se mettent en marche avec leurs vases d'eau bouillante, lors qu'un vieillard haletant, couvert de blessures et de poussière, perce la foule tout-à-coup, arrive, tombe aux pieds du roi:

Arrête, lui dit-il, arrête: c'est moi qui suis le cou pable, c'est moi qui ai franchi les murs de ton sérail pour en enlever ma fille. J'étais autrefois le prêtre du dieu qu'on adorait ici; on arracha ma fille de mes bras, on la conduisit dans ton palais. J'ai cherché depuis ce tems l'occasion de la revoir. Cette nuit, je suis parvenu jusqu'auprès d'elle. Vainement elle a tenté de me suivre; tes gardes nous ont aperçus. Je me suis échappé seul à travers les flèches dont tu me vois atteint. Je viens te rendre ta victime; je viens expirer avec celle pour qui seule j aimais la vie.

Il n'avait pas achevé que le roi commande à ses prêtres de détacher les deux malheureux, de les amener à ses pieds. Il interroge Sélico; il veut savoir quel puissant motif a pu l'engager à venir chercher un si douloureux supplice. Sélico, dont le cœur palpitait de joie de retrouver Bérissa fidèle, ne craint pas de tout révéler au

monarque: il lui raconte ses malheurs, l'indigence de sa mère, et la résolution qu'il avait prise de gagner pour elle les quatre cents onces d'or. Bérissa et son père, écoutaient en versant des larmes d'admiration; les chefs, les soldats et le peuple, étaient attendris; le roi sentait couler des pleurs qui jamais n'avaient baigné ses joues : tel est le charme de la vertu, les barbares mêmes l'adorent.

Après avoir entendu Sélico, le roi lui tend la main, le relève; et se tournant vers les marchands Européens que ce spectacle avait attirés: Vous, dit-il, à qui la sagesse, l'expérience, les lumières d'une longue civilisation, ont si bien appris, à un écu près, ce que peut valoir un homme, combien estimez-vous celui-là? Les marchands rougirent de cette question. Un jeune Français, plus hardi que les autres, s'écria: Dix mille écus d'or. Qu'on les donne à Bérissa, répondit aussitôt le roi, et qu'avec cette somme elle n'achète point, mais qu'elle épouse Sélico.

Après cet ordre exécuté sur l'heure, le roi de Dahomai se retire, surpris de sentir une joie qu'il n'avait pas

encore connue.

Farulho, ce même jour, donna sa fille à Sélico. Les nouveaux époux, suivis du vieillard, partirent dès le lendemain avec leur trésor pour aller trouver Darina. Elle pensa mourir de sa joie, ainsi que les frères de Sélico. Cette vertueuse famille ne se sépara plus, jouit de ses richesses; et, dans un pays barbare, offrit longtems le plus bel exemple que le ciel puisse donner à la terre, celui du bonheur et de l'opulence produits par la seule vertu.

LAUSUS ET LYDIE.

Le caractère de Mézence, roi de Tyrenne, est assez connu. Mauvais prince et bon père, cruel et tendre tour-à-tour; il n'avait rien d'un tyran, rien qui an. nonçât la violence, tant que ses volontés ne trouvaient

aucun obstacle: mais le calme de cette âme superbe était le repos du lion.

Mézence avait un fils appelé Lausus, que sa valeur et sa beauté rendaient célèbre parmi les jeunes héros de l'Ausonie. Lausus avait suivi Mézence dans la guerre contre le roi de Préneste. Son père, au comble de la joie, l'avait vu, couvert de sang, combattre et vaincre à ses côtés. Le roi de Préneste chassé de ses états, et cherchant son salut dans la fuite, avait laissé dans les mains du vainqueur un trésor plus précieux que sa couronne, une princesse dans l'âge où le cœur n'a que les vertus de la nature, où la nature a tous les charmes de l'innocence et de la beauté. Tout ce que les grâces éplorées ont de noblè et d'attendrissant, était peint sur le visage de Lydie. A sa douleur mêlée de courage et de dignité, l'on distinguait la fille des rois dans la foule des esclaves. Elle reçut les premiers res◄ pects de ses ennemis, sans hauteur, sans reconnaissance, comme un hommage dû à son rang, dont le sentiment généreux n'était point affaibli dans son âme par l'infor

tune.

Elle entendit nommer son père, et à ce nom elle leva au ciel ses beaux yeux remplis de larmes. Tous les cœurs en furent émus; Mézence lui-même, interdit, oublia son orgueil et son âge. La prospérité, qui endurcit les âmes faibles, parvient à amollir les cœurs altiers, et rien n'est plus doux qu'un héros après le gain. d'une bataille.

Si le cœur farouche du vieux Mézence ne put résister aux charmes de sa captive, quelle fut leur impression sur l'âme vertueuse du jeune Lausus! Il gémit de ses exploits, il se reprocha sa victoire: elle coûtait des larmes à Lydie. Qu'elle se venge, disait-il, qu'elle me haïsse autant que je l'aime; je ne l'ai que trop mé rité. Mais une idée plus accablante encore vint se présenter à son âme ; il vit Mézence étonné, attendri, passer tout-à-coup de la fureur à la clémence. Il jugea bien que l'humanité seule n'avait pas fait cette révolution ; et la crainte d'avoir son père pour rival, fut pour lui un

nouveau tourment.

Dans l'âge où était Mézence, la jalousie suit de près l'amour. Le tyran observa les yeux de Lausus avec

une attention inquiète: il vit s'éteindre en un moment cette joie et cette ardeur qui d'abord avaient éclaté sur le front du jeune héros, vainqueur pour la première fois. Il le vit se troubler; il surprit des regards qu'il n'était que trop aisé d'entendre. Dès ce moment il se crut trahi: mais la nature eut un retour qui suspendit la colère. Un tyran même dans la fureur, s'efforce de se croire juste; et avant de condamner son fils, Mé. zence voulut le convaincre.

Il commença par se déguiser lui-même avec tant d'art, que le prince rassuré crut ne voir dans les soins de l'amour, que les effets de la clémence. D'abord, il affecta de laisser à Lydie toutes les apparences de la liberté; mais la cour du tyran était remplie d'espions et de délateurs, cortège ordinaire des bommes puissans qui, ne pouvant se faire aimer, mettent leur grandeur se faire craindre.

Son fils ne se défendit plus de rendre à la captive un hommage respectueux. Il mêlait à ses sentimens un intérêt si délicat, si tendre, que Lydie commença bientôt à se reprocher la haîne qu'elle croyait avoir pour le sang de son ennemi. De son côté, Lausus se plaignit d'avoir contribué aux malheurs de Lydie. Il prit les dieux à témoins qu'il ferait tout pour les réparer. Le roi mon père, dit-il, est aussi généreux après la victoire qu'intraitable avant le combat; satisfait de vaincre, il ne sait point opprimer: il est plus facile que jamais au roi de Préneste de l'engager à une paix glorieuse pour l'un et pour l'autre. Cette paix tarira vos larmes, belle Lydie; mais effacera-t-elle de votre souvenir le crime de ceux qui vous les font répandre? Que n'ai-je vu couler tout mon sang, au lieu de ces précieuses larmes !

Les réponses de Lydie, pleines de modestie et de grandeur, ne laissaient voir à Lausus qu'une tranquille reconnaissance; mais dans le fond de son cœur elle n'était que trop sensible au soin qu'il prenait de la consoler. Elle rougissait quelquefois de l'avoir écouté avec complaisance; mais l'intérêt de son père lui faisait une loi de ménager un tel appui.

Cependant leurs entretiens plus fréquens tous les jours, devenaient aussi plus animés, plus intéressans, plus intimes; et l'amour perçait insensiblement à-tra

E

vers le respect et la reconnaissance, comme une fleur qui, pour éclore, entr'ouvre le tissu léger dont elle est enveloppée.

Trompé de plus en plus par la fausse tranquillité de Mézence, le crédule Lausus se flattait de voir bientôt son devoir d'accord avec son penchant; et rien au monde, à son avis, n'était plus facile que de les concilier. Le traité de paix qu'il avait médité, se réduisait à deux articles, à rendre au roi de Préneste sa couronne et ses états, et à faire de son hymen avec la princesse le lien des deux puissances. Il communiqua ce projet à Lydie. La confiance qu'il y avait mise, les avantages qu'il en voyait naître, les transports de joie que l'idée seule lui en inspirait, surprirent à l'aimable captive un sourire mêlé de larmes. Généreux prince, lui dit-elle, puisse le ciel accomplir les vœux que vous faites pour mon père ! Je ne me plaindrai pas d'être le gage de la paix et le tribut de la reconnaissance. Cette réponse touchante fut accompagnée d'un regard plus touchant encore. Le tyran fut instruit de tout. Son premier mouvement l'eût porté à sacrifier son rival. Mais ce fils était l'unique appui de sa couronne, la seule barrière entre son peuple et lui: le même coup achevait de le rendre odieux à ses sujets, et lui enlevait le seul défenseur qu'il pût opposer à la haine publique. La crainte est la passion dominante des tyrans. Mézence prend donc le parti de dissimuler. Il fait venir son fils, luí parle avec bonté, et lui ordonne de se préparer à partir dès le lendemain pour la frontière de ses états, où il avait laissé l'armée. Le prince fit un effort sur son ame pour renfermer sa douleur, et partit, sans avoir eu le tems de recevoir les adieux de Lydie.

Le jour même du départ de Lausus, Mézente avait fait proposer au roi de Préneste les conditions d'une paix honorable, dont la première était son mariage avec la fille du vaincu. Ce monarque infortuné n'avait point hésité à y consentir; et le méme envoyé qui lui offrit la paix, rapporta son aveu pour réponse.

Lausus avait à la cour un ami qui lui était attaché dès l'enfance. Une ressemblance singulière avec le prince avait fait la fortune de ce jeune homme appelé Phanor Mais ils se ressemblaient encore plus par le caractère que

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