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Le Roi à M. Barillon.

20 Fevrier, 1685. MONSIEUR ONSIEUR BARILLON, vos deux lettres des 12, 17, ib. de ce mois m'ont étés rendues par le courier que vous m'avez dépêché, et j'ay appris avec étonnement et un déplaisir bien sensible la mort si subite du Roi d'Angleterre; ce n'a pas été néanmoins une petite consolation pour moi, d'être informé par ces mêmes lettres, de toutes les graces que Dieu a faites à ce prince sur la fin de ses jours, et du bonheur qu'il a eu d'en profiter si dignement. [On tiendra cependant fort secret de ma part tout ce que s'est passé dans ses derniers moments.]

Je vous addresse la lettre que j'écris de ma main au Roi son frère, et vous ne sauriez trop lui exprimer en la lui rendant de ma part, combien je m'intéresse à tout ce qui le touche, et le plaisir que je me ferai tousjours de procurer ses avantages et sa satisfaction.

Observez bien quelle est la disposition présente des esprits tant à la cour, où vous êtes, que dans la ville de Londres, et à la campagne ; quel mouvement se donnent les cabales opposées à l'autorité royale, et à la Religion Catholique ; quelles sont les intrigues du Prince d'Orange et du Duc de Monmouth; qui en sont les principaux promoteurs ; si leurs factions sont puissantes; quelles mesures prend le Duc d'York.

[Quelle peut être la force du party Catholique en Angleterre.]

Sur le fait de la religion, s'il prétend faire une proclamation, qui donne le libre exercise à chaque religion, et par conséquent aux Catholiques? S'il ne fera pas mettre en liberté les Seigneurs Catholiques détenus dans la Tour; à qui le dit Roi distribuera les principales charges; quelles mesures. il prend pour s'assurer des ports de mer, et places les plus importantes; s'il peut se confier aux troupes entretenues aux dépens de la couronne ; si les principaux commandans sont fort attachés à ses intérêts; qui sont ceux dont il se doit défier, ou sur qui il peut faire un fondeur certain?

[Quel changement il fait parmi les officiers des dites troupes; quel est le fonds, qu'il a pour les entretenir.]

Ainsi appliquez vous à être parfaitement informé, et à me rendre un

compte exact de tous les moyens, qu'a le dit Roi de maintenir son autorité, et de tout ce qu'il doit appréhender, ensorte que je puisse être bien averti, et je formerai mes résolutions sur vos avis.

Comme je suis très-satisfait de la conduite que le Comte de Sunderland a tenue, depuis qu'il est rentré dans l'administration des affaires, vous devez lui rendre auprès du Roi d'Angleterre tous les bons offices qui dépendront de vous, et même faire connoître, si vous le jugez nécessaire, que sa conservation me sera très-agréable. Vous pouvez aussi assurer la Duchesse de Portsmouth de la continuation de ma protection.

Je viens de donner ordre qu'on vous fasse remettre présentement par lettres de change jusqu'à la somme de cinq cens mille livres, afin que vous puissiez assister le Roi d'Angleterre, selon les plus pressants besoins qu'il en pourra avoir dans le commencement de son gouvernement, m'assurant que vous vous conduirez en cela, avec toute la prudence nécessaire pour rendre ce secours le plus utile qu'il le pourra, au bien de ses affaires, et le lui faire considérer comme une preuve la plus essentielle de mon amitié, qui va au-devant de ce qui lui peut être nécessaire dans la conjoncture présente.

Je ne doute pas, qu'il ne soit assez porté, par son propre intérêt, à empêcher que le Prince d'Orange, ou le Duc de Monmouth, ne passent en Angleterre ; mais si, contre mon opinion, il vous paroissoit disposé à y consentir, vous ne sauriez trop lui représenter, combien il lui importe de prendre de bonnes mesures, pour empêcher qu'ils ne puissent y aborder, et se joindre aux cabales opposées à l'affermissement de son autorité. En un mot, les desseins du Prince d'Orange non seulement sont incompatibles avec la sûreté de sa personne et de son état, mais aussi avec les liaisons qui peuvent s'entretenir avec les Rois de France et d'Angleterre.

Je reçois encore présentement par la voye de Londres, vos lettres de 12, 14, et 15 °. qui m'informent principalement des circonstances de la maladie et de la mort du feu Roi d'Angleterre ; et comme elles me font voir aussi que la fermeture des ports n'avoit été ordonnée qu'afin d'empêcher que le Prince d'Orange ou le Duc de Monmouth ne prissent prétexte de la maladie du feu Roi pour passer en Angleterre, je ne doute pas que le Roi

d

à présent régnant ne prenne encore plus de soin, à empêcher qu'aucun d'eux n'y aille susciter de nouveaux troubles contre son gouvernement; et il ne pourroit point se relâcher sur cette précaution sans se faire un préjudice considérable, et s'exposer à de grands périls.

Dans l'état présent des affaires d'Angleterre, je n'ay pas cru pouvoir charger Milord d'Aran d'une lettre pour le Roi, d'autant plus, que celle que je lui ay écrite sur notre affliction commune, et sur son avènement à la couronne, étoit même contre l'usage, et que ce n'étoit que par un pur motif d'amitié, que j'ay passé par-dessus les regles, qui m'auroient obligé d'attendre qu'on m'auroit fait part de ce changement; c'est pourquoi je désire, que vous informiez le Roi de la raison pour la quelle je n'ai pas donné des lettres au Milord; et qu'au surplus vous lui rendiez tous les bons offices que vous pourrez, pour lui procurer auprès du nouveau Roi tous les avantages qui lui peuvent convenir, le regardant comme une personne qui a tousjours fait paroître tout l'attachement pour le service du Roi, que lui pouvoit permettre le zéle qu'il avoit pour le feu Roi d'Angleterre, et qu'il continuera d'avoir pour le Roi d'à-présent.

Je ne reponds point aux articles de votre lettre qui regardent les plaintes que font les Anglois au sujet de quelques vaisseaux de cette nation qui ont été pris et amenés à Toulon; car je m'assure que les ordres que j'ai donnés pour les faire relâcher, et tout ce que je vous ai écrit, aura pleinement satisfait le Roi d'Angleterre, et fait cesser tout sujet de plainte de ses sujets.

Le Roi à M. Barillon.

26 Fevrier, 1685.

MONSIEUR BARILLON, votre second courier m'a rendu vos lettres des 18 et 19° de ce mois, dont la première m'informe exactement de tout ce qui s'est passé de plus considérable pendant les quatres jours de la maladie du feu Roi d'Angleterre, et l'autre, de la résolution qu'a prise le Roi d'à-présent de convoquer un nouveau parlement, et de l'assembler dans le mois de Mars prochain. Je n'avois rien à désirer sur le premier point, à quoi vous n'ayez pleinement satisfait; je vous dirai aussi, qu'après avoir

donné des marques particulières au Roi d'Angleterre, de la part que je prencis à sa douleur, je l'ai témoigné aussi publiquement, en faisant cesser d'abord dans ma cour les divertissements de bal et d'opéra, et en prenant ensuite le deuil, que j'ai résolu de porter aussi long-tems que le feu Roi l'a gardé pour la mort de la feue Reine mon épouse.

Vous avez vu par ma dépêche du 20 de ce mois, que j'ai prévenu la demande qui vous a été faite par le Roi d'Angleterre d'un secours d'argent, et que vous êtes présentement en état de le faire au-delà de ce qu'il pouvoit espérer. J'approuve aussi la résolution qu'il a prise de convoquer un nouveau parlement, pour l'assembler au mois de Mars, et les raisons sur lesquelles il se fonde me persuadent qu'il ne pouvoit pas prendre, un meilleur parti, ayant d'ailleurs trop bonne opinion des sa sagesse, pour douter qu'il puisse rien arriver qui soit capable de le détacher des liaisons qu'il a prises avec moi.

Comme le Sieur D'Avaux m'écrit que le Duc de Monmouth est parti de la Haye la nuit du 20°. fort secrètement, pour passer en Angleterre, je m'assure que j'apprendrai par vos premières lettres quelles mesures aura prises la Cour où vous êtes pour s'opposer aux desseins que peut avoir ce Duc, et que vous me pourrez donner en mêmes temps une partie des éclaircissements que je vous ai demandés par ma dépêche du 20°, y ayant bien de l'apparence que les cabales du Prince d'Orange et du Duc de Monmouth ne demeureront pas sans action dans ce commencement de règne, et qu'il pourroit aussi être troublé par les différentes sectus, qui ont intérêt d'empêcher l'établissement de notre religion.

J'ai fait choix du Maréchal de Lorge pour aller faire compliment au Roi d'Angleterre sur son avènement à la couronne, et sur la mort du feu Roy son frère. Je ne puis pas douter que la cour où vous êtes ne soit satisfaite de ce que je vous ai mandé par ma dépêche du 12°, et par la précédente, au sujet des vaisseaux Anglois qui font leur commerce avec la ville de Gênes, et j'ay donné ordre que le dernier qui a été envoyé à Toulon soit relâché, et qu'à l'avenir il n'y en ait aucun qui soit détourné de sa route, ensorte qu'aussitôt que mes ordres auront pû être rendus à ceux qui commandent mes vaisseaux, il n'arrivera plus rien qui puisse donner sujet de plainte aux Anglois.

Je vous envoye une lettre pour la Duchesse de Portsmouth, et vous pouvez lui confirmer, en la lui rendant, les assurances que je lui donne de ma protection.

M. Barillon au Roy.

26 Fevrier, 1685.

Jɛ reçûs avant hier la dépêche de votre Majesté du 20 de ces mois, par le

retour du courier que j'avois dépêché; j'allai à l'instant trouver le Roi d'Angleterre ; je lui donnai la lettre de la main de votre Majesté, qu'il eût la bonté de me faire lire; il me parut recevoir avec une entière sensibilité les témoignages de l'amitié de votre Majesté; je crus n'en devoir pas faire à deux fois, et ne pas différer à l'informer du soin que votre Majesté avoit eu, d'assembler en si peu de tems des lettres de change pour la somme de cinq cent mille livres, et de me les envoyer afin que j'en puisse faire l'usage qui conviendroit à son service. Ce Prince fût extrêmement surpris, et me dit, les larmes aux yeux, "Il n'appartient qu'au Roi votre maître d'agir d'une manière si noble et si pleine de bonté pour moi; je vous avoue, que je suis plus sensible à ce qu'il fait en cela, qu' à tout ce qui peut arriver dans la suite de ma vie; car je vois clairement le fonds de son cœur, et combien il a envie que mes affaires prospèrent; il a été au-devant de ce que je pouvois désirer, et a prévenu mes besoins; je ne saurois jamais reconnoitre assez un tel procédé ; témoignez lui ma reconnoissance, et soiez garant de l'attachement qui j'aurai toute ma vie pour lui."

Je ne saurois, Sire, exprimer quelle joie eût ce Prince de voir une si prompte et si solide marque de l'amitié de votre Majesté, et la promptitude avec la quelle votre Majesté avoit envoyé une somme aussi considé rable. Je lui dis, que pour ne rien dérober à ce qu'il devoit à votre Majesté, je lui avouerois franchement, que dans le trouble où je me trouvois au moment de la mort du feu Roi d'Angleterre, je n'avois songé qu'à dépêcher un courier pour en informer votre Majesté, et que je ne lui avois pas représenté combien il importoit de lui envoyer un prompt secours ; que si en cela j'avois fait un manquement, il étoit bien réparé par ce que votre Majesté a fait. Le Roy d'Angleterre m'interrompit, et dit, qu'il

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