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Samuel Johnson, d'ailleurs sévère pour Milton, a voulu prouver qu'on avait exagéré la froideur de l'accueil que reçut le Paradis perdu : il allègue le suffrage de Dryden, qui s'en déclara l'admirateur; mais, en dépit de ce suffrage, le génie de Milton fut méconnu par le public, et son poème resta sans lecteurs...

Voltaire fut le premier qui le fit connaître en France: il le jugea avec son goût exquis et moqueur, et il en traduisit quelques vers du style d'un poète. Dupré de Saint-Maur, long-temps après, fit paraître une traduction en prose du Paradis perdu. Le sage Rollin, sur cette version incomplète, mais élégante, conçut pour le poète anglais une admiration qu'il a exprimée dans le Traité des Études. Racine le fils, qui d'abord avait mis en vers faibles quelques passages de la traduction de Dupré de Saint-Maur, sentit le besoin d'étudier le poète dans sa langue; et ce travail produisit une traduction du Paradis perdu, qui est fidèle, écrite avec goût, et accompagnée de notes instructives. D'autres traductions estimables ont paru de nos jours; mais le monument qui a naturalisé parmi nous la gloire et le génie du poète

anglais, c'est la traduction en vers de Delille. Nulle part, Delille n'a montré un plus riche et plus heureux naturel, plus d'originalité, de chaleur et d'éclat. Les négligences, les incorrections même abondent, il est vrai, dans cet ouvrage, écrit avec autant de promptitude que de verve. Le caractère antique et simple de l'Homère anglais disparaît quelquefois sous le luxe du traducteur. Ce n'est pas toujours Milton, mais c'est toujours un poète.

REMARQUES D'ADDISON

SUR

LE PARADIS PERDU,

EXTRAITES DU SPECTATEUR,

Cedite, Romani scriptores; cedite, Graii.

Rien n'est si ennuyeux que les disputes de mots. Je n'entrerai donc point ici dans la question qu'on agite depuis quelques années, si le Paradis perdu de Milton peut être appelé un poème héroïque. Il ne tiendra qu'à ceux qui ne veulent pas lui donner ce titre, de le nommer un poème divin. Il suffit, pour sa perfection, qu'il renferme toutes les beautés de la plus haute poésie. Au reste, ceux qui prétendent que ce n'est pas un poème héroïque, n’a vancent rien de plus à son désavantage que s'ils disaient qu'Adam n'est pas Énée, et qu'Ève n'est point Hélène.

Je vais examiner l'ouvrage suivant les règles de la poésie épique; et je verrai s'il est inférieur à l'Iliade ou à l'Énéide, eu égard à toutes les beautés qui sont essentielles à ce genre d'écrire.

La première chose à observer dans un poème épique, c'est la fable, qui tire sa perfection de la sublimité du sujet, et plus encore de l'arrangement que l'on donne à l'action. Cette action doit avoir trois qualités : il faut qu'elle soit une, entière, et grande. Considérons à présent

l'action de l'Iliade, de l'Énéide et du Paradis perdu, dans ces trois divers points de vue.

Homère, pour conserver l'unité de son action, se transporte au milieu des choses, comme Horace l'a observé. S'il eût remonté jusqu'à l'œuf de Léda, ou s'il eût commencé même à l'enlèvement d'Hélène ou à l'ouverture du siége de Troie, il est évident que le poème aurait été un tissu d'actions différentes. Pour éviter ce défaut, il commence par la discorde des chefs, et il entrelace avec art, dans le cours de l'ouvrage, un récit des choses importantes qui ont rapport à son sujet, et qui se sont passées avant cette fatale dissension.

De même Virgile nous présente d'abord son héros dans les mers de Toscane, à la vue de l'Italie, parce que l'action qu'il s'agit de célébrer n'est autre que son établissement dans le Latium; mais, comme il était nécessaire que le lecteur fût informé des aventures qui lui étaient arrivées à la prise de Troie et dans le cours de ses voyages, Virgile les fait raconter à son héros, par forme d'épisode, dans le second et le troisième livre de l'Énéide. Les évènemens qu'il y rapporte sont antérieurs à ceux du premier livre; mais, pour conserver l'unité de l'action, ils ne vont qu'après dans la disposition du poème. Milton, à l'imitation de ces deux grands poètes, commence son Paradis perdu par un conseil infernal, où les démons conspirent la chute de l'homme, qui est l'action principale.

A l'égard de la bataille des anges et de la création du monde, qui précèdent suivant l'ordre des temps, et qui, selon mon idée, auraient entièrement détruit l'unité de sa principale action, s'il les eût racontées dans un ordre

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