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quoi l'eau ne fut jamais mise en usage par les chirurgiens arabes, qui aimaient à déployer un luxe vain et inutile dans leurs préparations médicinales. Et la preuve que c'est bien là la grande raison de l'oubli dans lequel est tombée cette puissante médication, c'est que le public se porte en foule aux établissements hydrothérapiques et chante les louanges des tuyaux et appareils divers qui lui distribuent l'eau, sans paraitre se douter que c'est à celle-ci seulement qu'il doit la guérison dont il fait hommage aux machines inertes qu'il n'a pas comprises.

La seconde raison de cet oubli, c'est la routine des chirurgiens qui, ne comprenant pas le mode d'action de ce puissant moyen thérapeutique, ne cherchent point à le mettre en pratique, effrayés qu'ils sont par de prétendues répercussions occasionnées par le froid vers les organes internes, par la crainte d'une réaction funeste, de la gangrène,... que sais-je, et d'une foule d'autres choses impossibles quand on emploie méthodiquement cette précieuse médication, par... le dirai-je, par cette considération illusoire qu'on ne se serait pas attendu à voir sortir de la bouche du professeur Roux, parce qu'elle empêche le développement de l'inflammation et que s'opposer à l'inflammation, c'est aller contre le reu de la nature (1). Il serait facile de démontrer au savant professeur, même en se plaçant à son point de vue, l'erreur grossière qu'il commet, si M. le docteur Broca n'était venu rendre cette réfutation inutile en prouvant que l'inflammation n'a rien à voir dans la cicatrisation des plaies, qu'elle y est inutile, qu'elle y est même une complication et par suite un retard quand elle survient (2), ce que j'avais toujours, pour mon compte, regardé comme vrai longtemps même avant la communication de M. Broca, lorsque j'employais le pansement à l'eau dans le traitement des plaies.

La routine des médecins aidant donc aux tendances du public, a fait abandonner le monopole de la médication par l'eau à quelques établissements spéciaux, dits hydrothérapiques, comme s'il n'était possible de profiter que là des bénéfices de cet agent thérapeutique, en raison des nombreux appareils qu'on y étale aux yeux.

C'est là une erreur funeste à la plupart des malades, car elle les prive du plus puissant moyen que la nature nous donne à profusion pour le traitement d'une foule de cas chirurgicaux pour lesquels on est dans l'habitude de ne rien faire, ou même, ce qui est pire encore, de faire une médication complétement irrationnelle; les cataplasmes chauds et l'eau-de-vie camphrée, par exemple, dans le traitement de l'entorse.

Signaler ces erreurs, c'est déjà faire quelque chose pour les dissiper; mais afin de faire davantage encore, je vais essayer d'expliquer la manière d'agir de l'eau froide dans les désordres traumatiques et décrire les appareils très-simples nécessaires à l'application de ce moyen dans la pratique journalière; puis, afin

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que la démonstration soit péremptoire, je ferai en sorte de mettre en lumière, au moyen d'observations cliniques bien recueillies, quelques-uns des points que comporte cette matière, ayant soin, pour aujourd'hui, de choisir les observations de ma pratique, surtout parmi les affections chirurgicales dans lesquelles la médication peut être le plus souvent appréciée, la contusion et tous les désordres traumatiques qui s'y rapportent.

Voyons donc, avant tout, quels sont les phénomènes qui se produisent dans une lésion traumatique de cet ordre abandonnée à elle-même, afin de nous mettre mieux à même de comparer les faits que nous rapporterons plus bas.

Nous serons fort bref dans cette matière pour tout ce qui est du domaine public.

Ces phénomènes sont un peu différents, suivant que la peau est intacte ou plus ou moins intéressée par la cause vulnérante, et suivant l'intensité d'action de cette cause.

Cela différencie de suite la simple contusion de la plaie contuse, et entraine une grande différence dans la gravité du pronostic, le contact de l'air sur les tissus sous-cutanés occasionnant toujours des accidents dont la simple contusion est habituellement exempte.

Celle-ci offre d'ailleurs différents degrés, suivant l'intensité d'action de la cause vulnérante : 1° soit qu'il n'existe qu'une légère déchirure des tissus souscutanés, une simple ecchymose déterminée par une très-petite quantité de sang infiltré dans les tissus; 2° soit que des vaisseaux d'un certain calibre, rompus, aient donné assez de sang pour former collection; 5° soit, enfin, qu'aux désor dres précédents il se joigne l'écrasement des tissus, qui se combinent et se mêlent aux liquides pour former une sorte de bouillie.

Le premier degré de la contusion se caractérise par une douleur plus ou moins vive au moment de l'accident. Cette douleur résulte essentiellement du froissement, de l'attrition des filets nerveux comprimés entre le corps vulnérant et les plans aponévrotiques ou osseux sous-jacents. Elle est d'autant plus violente que l'action vulnérante a été plus forte et que les plans de résistance sont plus rapprochés de la surface cutanée. Cette douleur disparaît peu à peu et est remplacée par un engourdissement qui diminue, lui aussi, progressivement.

En même temps que la douleur, il se produit un gonflement peu considérable accompagné de la couleur noirâtre, livide, qui caractérise l'ecchymose lorsque celle-ci a été produite superficiellement. L'ecchymose n'apparaît, au contraire, qu'au bout de plusieurs heures, d'un et même deux jours, lorsqu'elle siége plas ou moins profondément dans le tissu cellulaire sous-cutané. Ce gonflement résulte du déchirement d'un certain nombre de très-petits vaisseaux capillaires et de l'infiltration dans les tissus des liquides qu'ils ont laissé échapper. La production du gonflement s'explique aisément si l'on réfléchit que chaque vaisseau ouvert laisse passer, par une petite plaie, le liquide qu'il reçoit incessamment

du torrent circulatoire, et que ce liquide pénètre et s'accumule fortement dans les tissus, puisque, par le fait de la contusion, le sang est dévié de son canal et lancé dans un espace sans issue, où il faut bien qu'il reste. Au delà de sa lésion, le canal circulatoire ne sert plus à rien, n'ayant plus de liquide à emporter loin de la partie contusionnée, à moins toutefois que, se trouvant ouvert dans l'un des très-petits foyers d'épanchement, il n'en aspire quelques molécules liquides en vertu de sa capillarité. C'est là l'une des raisons qui font varier le volume du gonflement, mais ce n'est pas la principale; celle-ci, nous la trouvons dans un phénomène anatomico-physiologique de la plus grande importance le rétablissement de la circulation par les vaisseaux collatéraux. Une fois, en effet, que le liquide sorti des vaisseaux s'est infiltré dans tous les vides qu'il a pu rencontrer au milieu des tissus, poussé qu'il est par la force circulatoire du sang, il arrive un moment où la résistance opposée par les tissus à se laisser pénétrer fait équilibre à la puissance de projection du courant circulatoire, et il se produit un arrêt. De là la variation dans le volume du gonflement suivant que cette résistance est plus ou moins grande. Ce temps d'arrêt ne pourrait pas arriver si l'effort circulatoire ne se produisait que sur les vaisseaux compris dans la contusion; car il faudrait de deux choses l'une ou que la résistance des tissus contusionnés cédât, et alors le sang les traverserait pour reprendre son cours; ou que le torrent circulatoire fût arrêté de proche en proche, à partir de l'obstacle jusqu'au cœur. Ce qui, soit dit en passant, me parait être la cause de la mort dans le choléra, le système capillaire tout entier refusant passage au sang. Heureusement, l'effort circulatoire se produit également sur toutes les ramifications capillaires qui naissent du même vaisseau par troncs de plus en plus volumineux à mesure qu'on se rapproche du cœur, et le torrent prend son cours par les vaisseaux perméables situés immédiatement au-dessus de ceux qui se rendent au point contusionné. Lorsque celui-ci renferme un grand nombre de capillaires, et était par conséquent, avant l'accident, traversé par une grande quantité de sang, il faut proportionnellement un nombre de plus en plus considérable aussi de collatérales pour donner passage au liquide dévié de la voie qu'il aurait dû parcourir; c'est-à-dire que si A est un tronc qui se rend à la partie contusionnée C, dans laquelle la circu

N° 4.

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A

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lation est entravée, il faudra que le vaisseau collatéral (no 1) qui émerge immédiatement au-dessus de ceux compris dans le point C, reçoive le sang qui devait traverser ceux-ci. S'il n'est N° 3. pas assez considérable pour y suffire, il est aidé par celui qui vient immédiatement après (n° 2), et successivement par les suivants (nos 3, 4, 5, etc.), en nombre proportionnel au besoin. On conçoit que cela n'est pas sans apporter un certain trouble dans la circulation de la partie et même dans la circulation générale, quand il faut le concours d'un grand nombre de vaisseaux collatéraux pour le rétablissement du cours du sang. Telle est l'une des principales causes de la fièvre traumatique, qui, conséquemment très-limitée

N° 1.

quand la lésion locale est peu importante, et dite nulle alors, s'élève de l'état local jusqu'à l'état général, à mesure que la lésion locale est plus considérable. Il existe donc toujours, suivant nous, de la fièvre traumatique locale avant qu'elle devienne générale, et nous en trouvons la preuve dans la sensation de chaleur accusée par le malade et dans l'élévation de température, constatable au thermomètre, de la partie blessée. La raison physico-physiologique le veut d'ailleurs ainsi, puisqu'il est bien démontré aujourd'hui que la production de chaleur tient au mouvement circulatoire et est proportionnelle à sa vitesse. Or, les considérations qui précèdent prouvent évidemment que, par suite des difficultés qu'il rencontre, le mouvement circulatoire doit être accéléré dans les collatérales; d'où la fièvre locale proportionnée à la lésion.

Ce résultat est diametralement opposé aux conclusions de M. Demarquay (1), qui, par des expériences sur les animaux, a voulu prouver qu'une plaie récente et qu'une plaie qui suppure ont la même température que les mêmes parties avant toute opération et que l'augmentation de chaleur dans la partie malade est consécutive à la fièvre symptomatique du traumatisme. Evidemment, M. Demarquay a pris l'effet pour la cause; de plus, son thermomètre l'a trompé s'il ne lui a fait constater l'augmentation de température de la plaie que consécutivement à celle de l'état général, car, en outre que celle-ci peut ne pas survenir du tout, il est d'observation vulgaire que la partie blessée devient chaude, brůlante, avant toute réaction générale. Le thermomètre lui-même me l'a dit souvent par l'élévation de sa colonne mercurielle, alors que la cuvette avait été placée au contact de la plaie et recouverte d'un corps non conducteur, comme le coton. Or, l'instrument rendait alors parfaitement compte de l'état de la blessure, puisque, placé au même moment sur la peau saine de l'autre membre également bien embourré, il ne pouvait plus atteindre le même niveau. Cela prouve encore combien est vicieux le conseil que donne M. Demarquay relativement à l'emploi de la médication réfrigérante. Nous y reviendrons.

En résumé, douleur, tumeur et chaleur, tels sont les phénomènes caractéristiques de la contusion au premier degré. Nous avons vu comment ces phénomènes se développent; il n'est pas moins important de constater de quelle manière ils disparaissent, pour pouvoir ensuite apprécier ce qu'il y aurait à faire pour venir en aide à la nature médicatrice.

La douleur, avons-nous dit, est promptement remplacée par un engourdissement qui dure plus ou moins longtemps; le gonflement cesse ensuite; enfin, la coloration anormale caractéristique de l'ecchymose disparait la dernière, après avoir passé par une série de couleurs variant du violacé au rouge, puis au jaune plus ou moins verdâtre, envahissant de plus en plus sur les parties saines, à mesure qu'elle change de nuance, et finissant par s'évanouir. Cela demande de trois semaines à un mois.

Ces changements de volume et de nuance permettent de suivre, à travers le

(1) Académie de médecine de Paris, 17 août 1848.

tissu cutané, la rentrée insensible dans la circulation du sang infiltré dans les tissus. Pour cela faire, reprenons les phénomènes d'un peu plus haut.

Après le rétablissement de la circulation au moyen des collatérales, les vaisseaux contus ne donnent plus ou peu passage au courant circulatoire, par suite de leur désorganisation, de leur obstruction; la partie doit donc recevoir moins de sang, et celui-ci être employé à la cicatrisation. Par conséquent, le liquide infiltré dans les tissus n'est plus pressé comme avant l'établissement de l'équilibre de pression dont nous avons parlé, et il est dans les meilleures conditions pour être repris, d'une part, par les vaisseaux sanguins encore ouverts au milieu de lui, en vertu de leur capillarité, ainsi que nous l'avons expliqué (1), et, d'une autre part, par les vaisseaux absorbants, dont le tissu cellulaire est en grande partie composé. Mais il est probable qu'il a besoin de subir un certain changement, une sorte d'analyse avant d'être repris par les vaisseaux absorbants, puisqu'on le voit changer incessamment de couleur en s'étendant, en s'écartant dans tous les sens, à mesure qu'il disparaît. Cela semble si vrai que, dans quelques cas en apparence fort simples et sans qu'on puisse l'expliquer, une portion ne peut pas être résorbée, les parties ne peuvent revenir à leur état primitif et le travail de restitution demeurant inachevé, il faut que la suppuration élimine les portions de tissus qui sont devenues corps étranger.

Aux phénomènes que nous venons d'étudier, le deuxième degré de la contusion joint l'épanchement de sang dans les tissus. On reconnaît celui-ci à une tumeur bleuâtre et livide, plus ou moins circonscrite, fluctuante à son centre qui correspond au siége de l'épanchement, et dure à sa circonférence qui correspond aux tissus dans lesquels le sang n'est qu'infiltré.

La restitution de ce sang à la circulation générale s'effectue par le même mécanisme que dans le premier degré, à part toutefois qu'elle demande beaucoup plus de temps et qu'elle permet habituellement de constater, après la restitution de la partie liquide, la formation d'un noyau dur, qui ne disparaît à son tour qu'après un laps de temps ordinairement fort long.

Quand cette terminaison n'a pas lieu par résolution, il faut alors que l'élimination s'effectue par suppuration, comme nous le disions, il n'y a qu'un moment, pour le premier degré.

Enfin, le troisième degré joint aux phénomènes des deux précédents un broiement de tissus qui le fait bien plus souvent qu'eux se terminer par suppuration. Cette dernière terminaison n'est pourtant pas inévitable, et la résolution peut avoir lieu par le même mécanisme que dans les cas précédents.

A côté de la contusion se placent naturellement les plaies contuses, qui n'en différent que par la solution de continuité de la peau et qui se caractérisent par

(1) Cette capillarité doit être d'autant plus puissante que, ne recevant plus de sang par leur bout périphérique, les vaisseaux sanguins doivent être vides et avoir, par suite, une force d'aspiration d'autant plus considérable.

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