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Si tu veux du contentement pour un jour, fais-toi raser; pour la semaine, va à des noces; pour le mois, achète un bon cheval; pour six mois, achète une belle maison; pour l'année, épouse une belle femme; pour deux ans, fais-toi prêtre; pour toute la vie, sois sobre.

Le même sujet a été traité par un poète allemand :

<< Veux-tu du contentement pour un instant? bois frais quand tu as soif; pour quelques minutes? mange un bon morceau, regarde un beau cheval qui ne t'appartient pas, un joli minois, un pied mignon, ou un tableau d'un grand maître; pour une heure ou deux ? assiste à un beau spectacle, lis un bon ouvrage tout nouveau, écoute une symphonie; attends ta belle et jeune maîtresse avec confiance, à un premier, à un second, ou même à un troisième rendez-vous; ou livretoi, couché sur des fleurs, auprès d'une source pure, à de douces rêveries, en contemplant un beau ciel; pour une soirée ? passe-la dans un cercle peu nombreux d'amis choisis et sûrs, que tu voies rarement et que tu aies souvent obligés, et de femmes belles sans y prétendre, raisonnables sans s'en douter, que tu ne fréquentes pas habituellement; pour toute une journée ? fais une bonne action en te levant, et projettes-en une autre pour l'après-midi ou pour le lendemain; pour la semaine? va aux noces de l'un de ces amis et l'une de ces amies dont je te parlais tout à l'heure; pour le mois? séjourne dans leur campagne avec eux; chasse, pêche, et voisine; pour six mois? achète une campagne à côté de la leur, plante, recueille, ou bâtis; pour un an? épouse leur sœur, une beauté que tu aies vue éclore, et que tu idolâtres depuis trois lunes; pour deux ans? ajoute au reste un domaine où tu aies des vassaux à qui

tu veuilles faire bénir ton nom; pour toute la vie? jouis modérément de tout ce que mon cœur te souhaite, et saches t'occuper.»>

CONTES.

Faire des contes bleus,

de

des contes pareils à ceux qu'on trouve dans ces petits livres couverts de papier bleu, qui sortaient en si grand nombre, vers la fin du seizième siècle, des presses Jean Oudot, imprimeur à Troyes en Champagne, et qui composaient, avec les almanachs de Pierre l'Arrivey, autre imprimeur à Troyes, ce qu'on nommait la Bibliothéque bleue.

Troyes est une des plus anciennes villes de France où l'on ait imprimé des cartes à jouer. Cette alliance de la dominoterie et de la Bibliothéque bleue, fournit, en 1746, le sujet d'une mascarade qui fut exécutée à Troyes par deux hommes d'une haute taille. L'un avait une simarre de papier bleu, enrichie d'une garniture formée de titres de tout format de la Bibliothèque bleue, tirés en noir et en rouge; l'autre portait un habit galonné sur toutes les tailles, de cartes à jouer alternativement noires et rouges.

CONVERSATION.

Du temps faut parler
Pour propos renouveler.

Le temps beau, bon ou fâcheux,

Est l'entretien de qui n'a mieux.

Les conversations sur le changement de temps sont aussi la ressource des personnes qui ne connaissent qu'imparfaitement celles devant qui elles parlent.

Pour briller dans les conversations, il faut ressembler à ces gens riches qui ont tout leur bien en argent

comptant, avoir une merveilleuse présence d'esprit et une heureuse mémoire, qui fournisse, avec autant de promptitude que d'abondance, les termes et les expressions.

Les gens qui savent peu parlent beaucoup, et les gens qui savent beaucoup parlent peu. Il est naturel de croire qu'un ignorant trouve important tout ce qu'il sait, et le dise à tout le monde; mais un homme instruit n'ouvre aisément son répertoire; il aurait trop à dire; et comme il voit encore plus à dire après lui, il se tait.

pas

Descartes gardait ordinairement le silence dans les sociétés nombreuses, et Thomas fait le portrait de cet homme célèbre en disant qu'il avait reçu de la nature des richesses intellectuelles en lingots, mais non en monnaie courante.

La Fontaine avait dans le monde un air emprunté, pesant et niais, et le conteur inimitable ne savait de bouche faire aucune description des objets qu'il venait de voir.

Le grand Corneille était ennuyeux dans un cercle; il ne parlait pas même correctement une langue qu'il possédait mieux que personne.

Nicole disait un jour d'un homme sémillant : « Il l'emporte sur moi dans le salon de compagnie, mais il se rend à discrétion sur l'escalier. >>

Le peu de connaissance que Du Marsais avait des usages du monde, lui donnait une naïveté qui, alliée avec le génie, faisait dire à Fontenelle : « C'est le nigaud le plus spirituel, et l'homme d'esprit le plus nigaud que je connaisse. >>

«Il faut, disait J. J. Rousseau (Confessions, Liv. III), que je sois de sang-froid pour penser. Qu'on juge de ce que je dois être dans la conversation, où, pour parler

à propos, il faut penser à la fois et sur-le-champ à mille choses. La seule idée de tant de convenances, dont je suis sûr d'oublier au moins quelqu'une, suffit pour m'intimider. Je ne comprends pas même comment on ose parler dans un cercle; car à chaque mot il faudrait passer en revue tous les gens qui sont là; il faudrait connaître tous leurs caractères, savoir toutes leurs histoires, pour être sûr de ne rien dire qui puisse offenser quelqu'un. Là-dessus, ceux qui vivent dans le monde ont un grand avantage : sachant mieux ce qu'il faut taire, ils sont plus sûrs de ce qu'ils disent, encore leur échappe-t-il souvent des balourdises. Qu'on juge de celui qui tombe là des nues; il lui est presque impossible de parler une minute impunément. >>

Marmontel, dans la conversation, était si peu aimable, qu'on disait : Je vais lire ses Contes pour me dédommager de l'ennui de l'entendre.

Jamais homme ne fut plus différent de lui-même que Buffon quand il écrivait et quand il parlait. Dans la conversation, où il faut bien qu'on improvise, son langage, même sur des objets qui auraient pu l'élever, était familier comme celui d'un bourgeois de la rue Saint-Denis; il semblait se soulager de la magnificence de son style.

La conversation de Montesquieu, au contraire, n'était pas inférieure à ses écrits.

Fénélon, Fontenelle et Voltaire avaient aussi le talent de la parole à un haut degré.

Les Épitres à une femme sur la conversation, par madame de Vannoz, née de Sivry, pourraient nous fournir quelques extraits, si nous n'avions pas le poëme de J. Delille, la Conversation, publié à Paris, chez Michaud, en 1811. Ce poëme est une galerie de por

traits. Dans les deux premiers chants se trouvent les personnages ridicules, les exemples à éviter; le troi

sième offre des modèles à suivre.

Parmi les personnages ridicules, prenons l'homme qui, sans être interrogé, vous conte

L'histoire du collége et celle du couvent;
Comment son fils, sa fille, y sont couverts de gloire;
Pour gagner le prix de mémoire,

Son cadet a dit rondement

Sa grammaire et son rudiment.

Aglaé, sa plus jeune fille,
Si sémillante, si gentille,

Ce matin n'a pas dit deux mots;

Charle a brisé son char, et François ses grelots:

Antoine a mal aux dents, et sa chère Julie
Avec un peu d'humeur a mangé sa bouillie.

Passons à l'homme ombrageux.

Jamais sur son visage un rayon d'allégresse;
Dans son périlleux entretien,

Malheur à qui s'engage! Il s'afflige d'un rien;
Un rien l'offusque, un rien le blesse.
Pour mieux évacuer la bile qui l'oppresse,
Son humeur vagabonde a partout des relais :
Après sa femme, il gronde ses valets;
C'est pour vous gronder qu'il vous aime;
Laissez-le seul, il se gronde lui-même.

La conversation était de tous les plaisirs qu'on goûte à Paris, celui dont madame de Staël regrettait le plus amèrement la perte, lorsqu'elle fut exilée par ordre de Bonaparte. (Voyez les pages 6 et 7 des OEuvres inédites: Dix années d'exil.) « La conversation française n'existe qu'à Paris,» dit le même auteur (chap. 10, page 60).

Madame Scarron, en contant une histoire, ne trouvait-elle pas moyen de faire oublier à ses convives que le rôti manquait?

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