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les finances, non dans les institutions. Il s'ensuivit que la direction des états généraux fut livrée aux passions des partis, que la résistance fut plus violente parce qu'elle croyait la cour d'accord avec elle, que le mouvement fut plus hardi parce qu'il croyait la cour contre lui, et qu'enfin le peuple, devant cette inertie de la royauté qu'il taxait de mauvaise foi, le peuple prit seul l'initiative de la révolution.

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- LE TIERS

§ II. DISPUTE POUR LA VÉRIFICATION DES POUVOirs. ÉTAT SE DÉCLARE ASSEMBLÉE NATIONALE. Le gouvernement, en donnant la double représentation au tiers, n'avait rien prononcé sur la délibération par tête, qui semblait la conséquence de cette double représentation: il désirait même la délibération par tête pour les questions de finances, afin de vaincre la résistance des privilégiés et la délibération par ordre pour les questions politiques, afin d'empêcher les envahissements du tiers: solution trop complexe pour être acceptée par personne. Aussi, dès le premier jour et quand les âmes étaient encore pleines de bienveillance, la lutte commença à ce sujet, mais non pas directement: ce fut à l'occasion de la vérification des pouvoirs des députés, question tout accessoire et de formes, qui impliquait pourtant celle de la délibération par tête ou par ordre.

Les membres du tiers état, qui occupaient, à cause de leur nombre, la salle des séances générales, firent savoir aux députés de la noblesse et du clergé, qui occupaient deux salles voisines, qu'ils les attendaient pour procéder en commun à la vérification des pouvoirs [1789, 6 mai]. La noblesse répondit que, les trois ordres formant trois assemblées distinctes, chacun d'eux devait vérifier séparément les pouvoirs de ses députés; en effet, elle se mit à l'œuvre, et aussitôt après se déclara constituée. Le clergé fit une réponse semblable, mais sans procéder à la vérification; et il proposa des conférences entre les commissaires des trois ordres pour lever la difficulté. Ces conférences furent acceptées; et là les deux premiers ordres déclarèrent qu'ils renonçaient à leurs priviléges en matière d'impôts, mais qu'ils refusaient entièrement la délibération par tête. C'était le comité du comte d'Artois et de la reine qui dirigeait et excitait ces résistances, dans l'espoir d'annuler dès l'abord les états généraux en y jetant la dissension. Les conférences furent rompues. La noblesse persista dans la vérification séparée, et décréta que « la délibération · par ordre et la faculté d'empêcher, que les ordres ont tous divisé

ment. sont constitutives de la monarchie. » Le clergé était disposé à prendre une résolution semblable, mais il reçut une dépulation solennelle des communes qui « l'invitaient, au nom du Dieu de paix et dans l'intérêt national, à se réunir au tiers pour aviser aux moyens d'opérer la concorde si nécessaire au salut de la chose publique [27 mai] ; » alors il se remit à délibérer et il penchait vers la réunion, lorsque le roi fit rouvrir les conférences entre les commissaires des trois ordres, en proposant un plan de conciliation. Le clergé adopta ce plan; la noblesse le rejeta; le tiers persista dans son système d'inertie, et refusa de prendre aucune mesure qui pût le faire considérer comme étant constitué: conduite admirable, qu'on ne pouvait attendre d'hommes si neufs dans la vie politique, et d'autant plus courageuse que les opinions révolutionnaires n'avaient pas encore la sanction matérielle de la force. La cour commença à prendre l'alarme; Paris était dans une vive agitation et accusait l'aristocratie d'une conspiration pour faire échouer l'assemblée des états; la disette augmentait; des bandes de gens affamés, qu'on appelait brigands, parcouraient les campagnes, en pillant les fermes et les châteaux; la bourgeoisie commençait à se liguer pour protéger les propriétés et soutenir ses députés. Le moment était décisif pour le tiers état s'il faiblissait une seule fois, il était perdu; il fallait qu'il s'emparât violemment du pouvoir législatif et franchît résolument le pas révolutionnaire. Alors, et sur la proposition de Syeyès, député de Paris, qui démontra aux communes qu'elles ne pouvaient rester plus longtemps dans l'inaction sans trahir leurs devoirs, il fut décidé que « les deux ordres seraient invités, tant individuellement que collectivement, à se réunir au tiers, pour assister, concourir et se soumettre à la vérification commune des pouvoirs [12 juin]. » Cette invitation ayant été faite et une adresse ayant été envoyée au roi pour expliquer la résolution de l'assemblée, on commença la vérification des pouvoirs, tant des absents que des présents. Alors trois curés du Poitou vinrent se réunir au tiers; le lendemain il en arriva six autres, et le peuple vit commencer sa victoire.

La vérification étant faite, l'assemblée, sur le point de se déclarer constituée, recula devant la dénomination d'états généraux qui la rejetait dans un passé odieux et était devenue tout à fait fausse : alors, et sur la proposition de Syeyès, elle reconnut « qu'elle était déjà composée de représentants envoyés direc

tement par les quatre-vingt-seize centièmes de la nation; et qu'une telle masse de députation ne pouvait rester inactive par l'absence des députés de quelques bailliages ou de quelques classes de citoyens. » Elle déclara donc « que l'œuvre commune de la restauration nationale pouvait et devait être commencée sans retard par les députés présents, et qu'ils devaient la suivre sans interruption comme sans obstacle [17 juin]. » Puis elle prit le nom d'Assemblée nationale, « comme le seul qui lui convînt, soit parce que les membres qui la composaient étaient les seuls représentants légitimement et publiquement connus et vérifiés, soit parce qu'ils étaient envoyés directement par la presque totalité de la nation, soit parce que la représentation étant une et indivisible, aucun député, dans quelque ordre ou classe qu'il fût choisi, n'avait le droit d'exercer ses fonctions séparément de la présente assemblée. »>

Après cette « démarche hardie qui tranchait des questions jusque-là indécises, et changeait l'assemblée des états en assemblée du peuple (1), » elle vota une adresse au roi et à la nation, et tous ses membres firent le serment solennel de « remplir avec zèle et fidélité les fonctions dont ils étaient chargés. » Puis elle arrêta que les contributions, n'ayant pas été consenties par la nation, étaient illégales; mais qu'elles continueraient provisoirement à être perçues comme par le passé, à moins que l'Assemblée ne fût dissoute. Ensuite elle plaça la dette de l'État sous la sauvegarde de l'honneur national. Enfin elle déclara qu'elle allait chercher des remèdes à la disette et à la misère publique. § III. SERMENT Du Jeu de paume. SÉANCE ROYALE. -La cour fut stupéfaite de tant de fermeté, d'audace et d'habileté, ct elle se vit perdue quand, le lendemain, le clergé, à la majorité de 149 voix contre 115, décréta sa réunion au tiers état. Les nobles, le parlement, les princes, la reine, firent cause commune, et effrayèrent le roi des usurpations menaçantes de la bourgeoisie. Necker s'inquiéta des violences qu'on méditait, et conseilla d'arrêter la marche illégale du tiers état par une séance royale dans laquelle le pouvoir ferait la révolution lui-même en accordant tout ce que l'opinion demandait, et en ordonnant la réunion des ordres en une seule assemblée. La cour appuya ce projet, mais en le modifiant de telle sorte qu'elle en fit un

(1) Mignet, Hist. de la Révolution, t. 1, p. 52.

coup d'état contre-révolutionnaire; et encore y procéda-t-elle avec sa frivolité ordinaire et par des détours puérils. Ainsi, au lieu de frapper « les factieux » par l'apparition subite du roi dans leur assemblée, elle voulut que la majesté du trône se déployât tout entière, et l'on remit à trois jours la séance royale. Mais, pour empêcher la réunion du clergé au tiers, on ferma la salle des états, sous prétexte de préparatifs à faire pour la séance annoncée. C'était Bailly, savant modeste et courageux, qui présidait l'assemblée : averti du coup qu'on méditait, il ne craignit pas de désobéir, et se présenta, avec une foule de députés, à l'hôtel des états; mais il fut repoussé par les troupes qui garnissaient la salle et les portes [20 juin]. Les députés protestèrent contre cet attentat et se rassemblèrent par groupes sur l'avenue de Paris, au milieu de la foule qui partageait leur colère, pendant que les courtisans, aux fenêtres du château, riaient de leur déconvenue. Les uns voulaient qu'on allât à Marly, où était le roi; les autres, qu'on tînt la séance sur l'esplanade du château. Une voix cria : « Au Jeu de paume! » et tous, bravant les périls d'une réunion qu'une autorité plus habile eût dispersée par la force, se rendirent dans la salle indiquée (1), dont le peuple garnit les entours. Là un député du Dauphiné, Mounier, prenant la parole : « Blessés dans nos droits et notre dignité, dit-il, avertis de toute la vivacité de l'intrigue et de l'acharnement avec lesquels on pousse le roi à des mesures désastreuses, nous devons nous lier au salut public et aux intérêts de la patrie par un serment solennel. » Alors le président, montant sur une table, prononça ce serment : « Nous jurons de ne jamais nous séparer de l'Assemblée nationale, et de nous réunir partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides ! » Et tous, les bras tendus vers Bailly, au milieu des acclamations du peuple, s'écrièrent : « Nous le jurons ! »>

Cette scène fut un nouveau sujet d'épouvante pour les courtisans, qui crurent couper court à toute réunion en louant la salle du Jeu de paume. Alors les députés s'assemblèrent dans l'église Saint-Louis [22 juin]; là cent quarante-huit membres du clergé et deux de la noblesse vinrent se réunir à eux, et tous

(1) Rue du Jeu de paume. La salle existe encore.

s'ajournerent au lendemain, pleins d'inquiétude du coup d'État qu'on annonçait.

La cour avait garni de troupes et d'artillerie le château, les places, les abords de l'hôtel des états; et ce fut au milieu d'un appareil militaire destiné à imprimer la terreur que le roi sc rendit à l'Assemblée [23 juin]. Il y parla avec une sévérité inaccoutumée et d'un ton de menace qui n'avait nulle portée dans sa bouche : « J'ordonne, dit-il, que la distinction des trois ordres de l'État soit conservée en son entier; les députés formant trois chambres, délibérant par ordre, et pouvant avec l'approbation seule du souverain délibérer en commun, peuvent seuls être considérés comme formant le corps des représentants de la nation. En conséquence, je déclare nulles les délibérations prises par le tiers état, comme illégales et inconstitutionnelles. » Puis il défendit aux députés de s'occuper des questions qui regardaient les droits antiques et constitutifs des trois ordres, la forme de constitution à donner aux prochains états, les propriétés féodales et seigneuriales, etc. Enfin il proposa à leur examen et adopta à l'avance les innovations suivantes : consentement des impôts et des emprunts par les représentants de la nation, publicité des recettes et des dépenses, abolition des priviléges en matière d'impôts, liberté individuelle et liberté de la presse, établissement d'états provinciaux, abolition de la corvée, des douanes intérieures, etc. Après ces concessions, qui arrivaient encore trop tard, il ajouta : « Je puis dire sans illusion que jamais roi n'en a fait autant pour aucune nation : secondez-moi donc dans cette belle entreprise, sinon je ferai seul le bien de mes peuples, je me considérerai seul comme leur véritable représentant.....>> Et il termina en disant : « Je vous ordonne de vous séparer tout de suite, et de vous rendre demain matin dans les chambres affectées à vos ordres pour y reprendre vos séances. >>

Louis sortit; la noblesse et une partie du clergé le suivirent; le tiers resta en place, étonné, sombre, incertain. Alors Mirabeau se leva : « Messieurs, j'avoue que ce que vous venez d'entendre pourrait être le salut de la patrie, si les présents du despotisme n'étaient toujours dangereux. Quelle est cette insultante dictature? L'appareil des armes, la violation du temple national pour vous commander d'être heureux! Qui vous fait ce commandement? votre mandataire! Qui vous donne des lois impérieuses? votre mandataire! lui qui doit les recevoir

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