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tant qu'il restait quelque chose à ses ennemis, tant que luimême n'aurait pas de part, comme la bourgeoisie, au butin de la victoire. La constitution se trouva donc placée entre ceux qui avaient perdu et qui s'efforçaient de reprendre et ceux qui avaient gagné et s'efforçaient encore d'envahir; elle demandait aux premiers de céder quelque chose, aux seconds de ne pas tant désirer. Mais, exposée aux coups des deux partis qu'elle empêchait de se prendre corps à corps, elle fut renversée, et périt non par ses énormes défauts, mais dans la lutte révolutionnaire.

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SITUATION DES ROYALISTES

§ II. COMPOSITION DE L'ASSEMBLÉE. A L'INTÉRIEUR ET A L'EXTérieur. DÉCRETS CONTRE LES ÉMIGRÉS ET LES PRÊTRES REFRACTAIRES. LE ROI REFUSE SA SANCTION. — L'Assemblée législative était composée de sept cent quarantecinq députés, presque tous choisis dans la classe moyenne et dévoués à la révolution; ceux de la droite et de l'extrême droite se nommaient généralement Feuillants, ceux de la gauche et de l'extreme gauche Jacobins. La droite était formée des constitutionnels, lesquels s'appuyaient sur la garde nationale et les au torités départementales; ils mettaient toute la révolution dans la constitution, et croyaient que celle-ci était suffisante pour sauver celle-là; représentants de la bourgeoisie, ils voulaient son triomphe en s'alliant aux anciens privilégiés et en écartant le peuple du pouvoir. Ses membres les plus remarquables étaient Mathieu Dumas, Girardin, Lemontey, Ramond, Pastoret, etc., et son homme d'État hors de l'Assemblée était la Fayette. L'extrême droite n'était distinguće de la droite ellen.ême que par son attachement plus prononcé pour le roi et ses liaisons avec la cour; mais elle voulait la constitution, toute défectueuse qu'elle la trouvât. La gauche était composée d'hommes résolus à sauver la révolution, même aux dépens de la constitution, et qui se trouvèrent entraînés jusqu'à la république; mais ils manquaient d'unité de vues et ne formaient pas un parti compacte; représentants de la burgeoisie, ils voulaient son triomphe en s'alliant au peuple contre les classes privilégiées. Ses membres les plus remarquables étaient Vergniaud, Guadet et Gensonné, députés de la Gironde, orateurs pleins d'enthousiasme et de véhémence, d'où le parti prit le nom de Girondins; Brissot, publiciste fécond; Condorcet, philosophe aux idées supérieures. Son homme politique hors de

l'Assemblée était Pétion, républicain froid et dissimulé, qui avait une grande popularité. A l'extrême gauche, et occupant en petit nombre les gradins supérieurs de l'Assemblée, ce qui fit donner à ce parti le nom de Montagne, se trouvaient les représentants de la multitude et des clubs, Bazire, Chabot, Merlin de Thionville, auxiliaires des Girondins pour sauver la révolution, mais voulant la sauver uniquement au profit du peuple. Ses hommes politiques hors de l'Assemblée étaient Robespierre, qui dominait les Jacobins par son rigorisme dogmatique et sa réputation d'intégrité; Danton, surnommé le Mirabeau de la populace, homme d'action et d'audace, qui dominait le club des Cordeliers. Le centre de l'Assemblée n'avait ni les vertus ni les lumières du centre de l'Assemblée constituante: sa modération passait pour de la peur, et il vota presque toujours avec la gauche.

L'Assemblée étant ainsi composée, on voit que des deux partis extrêmes qui s'avouaient les ennemis de la constitution, c'està-dire les républicains et les royalistes, les premiers y avaient seuls quelques représentants; conséquemment le parti de l'ancien régime n'avait aucun moyen d'action légal, et il ne pouvait chercher la victoire que par des voies illégitimes, c'est-à-dire par la guerre civile et la guerre étrangère.

A l'intérieur, son système était toujours de pousser au mal pour amener le retour du bien il confondait dans une même haine tous les membres de l'Assemblée, et ne faisait aucune distinction entre la Fayette, Pétion et Robespierre; mais comme au jour de son triomphe il lui faudrait, disait-il compter avec les Feuillants et non avec les Jacobins, il ne cherchait qu'à affaiblir les premiers et à fortifier les seconds. Ainsi les constitutionnels voulaient porter à la mairie de Paris la Fayette, toujours adoré de la bourgeoisie: la cour, qui n'appréciait nullement ce caractère loyal et généreux, fit jouer toutes ses intrigues contre lui, et lui opposa Pétion. « La Fayette, disait la reine, ne veut être maire de Paris que pour être maire du palais. » Il fut donc écart, à la grande joie des Jacobins, qui voyaient en lui un autre Cromwell. Paris fut donné aux Girondins par l'élection de Pétion, et Pétion fit servir perfidement sa place à renverser la constitution et le trône.

Les royalistes portaient dans toutes leurs manoeuvres le même esprit d'aveuglement: ils soldaient des journaux, ils payaient

des motions et des applaudissements dans les clubs, ils cherchaient à gagner quelques chefs populaires, comme Danton; mais tout cela tournait contre eux, et ils n'avaient qu'un moyen efficace d'embarrasser la révolution, les troubles religieux. « Les prêtres et surtout les évêques, dit Ferrières, employaient toutes les ressources du fanatisme pour soulever le peuple des campagnes et des villes contre la constitution civile du clergé. On répandait des instructions destinées au peuple, où l'on disait qu'on ne pouvait s'adresser, pour les sacrements, aux prêtres intrus; que tous ceux qui y participaient devenaient coupables de péché mortel; que ceux qui se feraient marier par les prêtres intrus ne seraient pas mariés... Ces écrits produisirent l'effet qu'en attendaient les évêques: des troubles éclatèrent de toutes parts. » Dans le Gévaudan, le Poitou, la Bretagne, pays où la classe moyenne était peu nombreuse, les villes petites, les campagnes dépendantes de la noblesse, les paysans se portèrent à des violences contre les prêtres constitutionnels et les chassèrent des églises. La guerre civile devint imminente.

A l'extérieur, la conduite des royalistes était encore plus hostile et menaçante. Léopold et Frédéric, ayant vu l'empressement de Louis XVI à accepter la constitution, étaient restés immobiles, et ils protestaient même de leurs intentions pacifiques; l'Angleterre paraissait résolue à garder la neutralité; il n'y avait que l'Espagne, la Suède et la Russie qui témoignassent une malveillance peu redoutable. Mais les émigrés n'en continuaient pas moins leurs apprêts de guerre; les frères du roi avaient protesté contre l'acceptation de la constitution, qu'ils disaient n'être pas sincère, protestation qui avait fait grand bruit et encouragé l'émigration; les journaux royalistes se vantaient follement des deux mille officiers qui avaient déjà abandonné l'armée, des quinze mille gentilshommes rassemblés à Coblentz, des quatre cent mille étrangers qui s'apprêtaient à les soutenir.

Louis désirait ardemment le « retour des émigrés, qui aurait fait revivre le parti royaliste entièrement désorganisé; » il sentait tout le danger de leurs bravades; il voyait le peuple qui était plein de défiance, les journaux et les clubs qui parlaient déjà de trahison, l'Assemblée qui allait être entraînée à des lois de rigueur qu'il était résolu d'avance à ne pas sanctionner. Il fit donc une proclamation aux réfugiés de Coblentz [1791, 14 octobre], pour les assurer de son adhésion libre et sincère à la

constitution et les engager à revenir en France. Cette proclamation ne fut pas écoutée des émigrés, qui étaient convenus de regarder comme forcées toutes les démarches du roi, sans s'inquiéter de la position périlleuse où ils le mettaient en le taxant ainsi de mensonge. Les princes eux-mêmes s'en étaient expliqués à Louis en ces termes : « Si l'on nous parle de la part de ces genslà (l'Assemblée), nous n'écouterons rien; si c'est de la vôtre, nous écouterons, mais nous irons droit notre chemin. Ainsi, si l'on veut que vous nous fassiez dire quelque chose, ne vous gênez pas (1). >>

En face des manœuvres royalistes à l'intérieur et à l'extérieur, l'Assemblée dut commencer la tâche que lui avait laissée l'Assemblée constituante, c'est-à-dire préparer la guerre; et, pour cela, elle prit sur-le-champ une position nettement révolutionnaire et sortit des voies constitutionnelles, qu'elle trouvait insuffisantes. D'ailleurs, comme elle voyait le roi entouré de prêtres réfractaires et qu'elle soupçonnait sa correspondance secrète avec Coblentz (2), elle voulait savoir ce qu'elle pourrait attendre ou craindre de lui dans la lutte qu'elle engageait. Elle s'occupa d'abord de l'extérieur, et décréta [9 novembre]: 1o que le comte de Provence était sommé de rentrer dans le royaume avant deux mois, sous peine de perdre son droit éventuel à la régence; 2o que les Français rassemblés au delà du Rhin étaient suspects de conjuration; que s'ils étaient encore en état de rassemblement au 1er janvier prochain, ils seraient poursuivis comme coupables et punis de mort; les revenus des contumaces devaient être perçus au profit de la nation, sans préjudice des droits des femmes et des enfants.

Le roi sanctionna le premier décret et opposa son veto sur le second. Pour atténuer l'effet de ce veto, il fit une nouvelle proclamation aux émigrés, les engageant à faire cesser les défiances par leur retour, leur prouvant sa liberté par son veto, les menaçant de mesures sévères. Cela ne ramena ni les émigrés, qui continuèrent leurs rassemblements, ni le peuple, qui conclut sur-le-champ qu'il était impossible au roi de ne pas faire cause commune avec les ennemis de la révolution. « En refusant de sanctionner le décret contre les émigrants, dit Camille Desmou

(1) Pièces de l'armoire de fer.

(2) Mém. de madame Campan, t. 11, p. 172,

lins, le roi sanctionne leurs criminels projets... Avant peu la nation se trouvera placée entre la nécessité de se laisser égorger ou celle de désobéir, c'est-à-dire entre la servitude et l'insurrection... La prétendue sincérité du roi est une dérision. »

L'Assemblée fut très-irritée du veto royal; mais elle persista dans la voie qu'elle suivait, et elle chercha à se garantir de la guerre civile par des mesures extra-légales contre les prêtres réfractaires. Aucune considération religieuse ne pouvait l'arrêter car elle était, plus encore que l'Assemblée précédente, imbue d'idées voltairiennes, et les Girondins disaient hautement: « Notre Dieu c'est la loi, nous n'en connaissons pas d'autre. » Elle décréta [29 nov.]: que les prêtres insermentés seraient privés de la pension qui leur avait été donnée en indemnité de la vente de leurs biens; qu'ils ne pourraient plus excercer le culte, même dans des maisons particulières; qu'ils étaient déclarés suspects de révolte et mis sous la surveillance des autorités. S'il survenait des troubles religieux dans la commune qu'habitait un réfractaire, celui-ci pouvait être changé de résidence par les autorités départementales, lesquelles devaient envoyer à l'Assemblée la liste des prêtres insermentés.

Ces mesures iniques étaient réellement de la persécution. Tout le parti constitutionnel se souleva contre elles; le directoire de Paris supplia le roi de les empêcher, et Louis y mit son veto en disant: « On m'ôtera plutôt la vie que de sanctionner un tel décret. » Il était parfaitement dans la constitution en s'opposant à des lois qui en violaient tous les principes; mais il n'était pas dans la révolution: son veto sur les émigrés et sur les prêtres apportait, pour ainsi dire, la guerre étrangère et la guerre civile; et dès lors tout fut rompu entre lui et le peuple. Ce n'était pas la force légale qui lui manquait, c'était le force d'opinion: son pouvoir, quelque absurdement restreint qu'il fût, aurait peut-être suffi dans des temps ordinaires; mais la situation était tellement révolutionnaire, qu'en faisant un légitime usage de sa prérogative, il passait pour traître. Le peuple s'inquiétait peu si les mesures proposées étaient constitutionnelles : il était envers les royalistes ce que nous l'avons vu au seizième siècle envers les protestants, plein de défiance et de fureur, voulant lier les mains à ses ennemis, croyant tout juste et bon contre eux, criant à la trahison contre le pouvoir qui n'avait pas toutes ses passions. Pour obtenir sa confiance, il

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